le 01.02.12 | 01h00
Un historique s’en va. Décédé lundi dernier à l’âge de 86 ans, le moudjahid et ancien secrétaire général du FLN, Abdelhamid Mehri, a été inhumé, hier après-midi, au cimetière Sidi Yahia, à Alger.
Toujours humble, l’homme a voulu le rester même après sa mort en choisissant d’être enterré non pas au carré des martyrs d’El Alia, mais parmi des citoyens «anonymes», dans un cimetière communal des hauteurs d’Alger. Une foule nombreuse, composée de membres de sa famille, de ses proches, de ses amis, de personnalités nationales politiques, d’historiques, de moudjahidine, l’a accompagné à sa dernière demeure. Tous ont tenu à rendre un vibrant hommage à ce militant infatigable qui n’a cessé de lutter, jusqu’à la dernière minute de sa vie, pour réaliser l’objectif suprême de la guerre de Libération nationale : la liberté et la démocratie pour les Algériens. Un idéal qu’il n’a pas vu se réaliser, malheureusement.
Parmi les présents aux funérailles, il y avait notamment d’anciens ministres et chefs de gouvernement tels que Mouloud Hamrouche, Mokdad Sifi, Ahmed Taleb El Ibrahimi et Ali Benflis, d’anciens hauts responsables de l’Etat à l’image de l’ex-président de la République Chadli Bendjedid, l’ex-président du Haut-Comité d’Etat, Ali Kafi, le général à la retraite Khaled Nezzar. Les présidents du Conseil de la nation Abdelkader Bensalah, de l’APN Abdelaziz Ziari, du Conseil constitutionnel Boualem Bessaieh et des membres du gouvernement lui ont aussi rendu un dernier hommage.
Des représentants des partis politiques et organisations nationales étaient également présents à l’enterrement. Ils livrent leurs témoignages sur un homme charismatique, qui a marqué le passé et même le présent d’une Algérie qui se cherche encore.
Le premier secrétaire national du FFS, Ali Laskri, évoque, en effet, «un homme qui a été de tout temps un grand militant». «Il a voulu réaliser quelque chose pour son pays, malheureusement il est parti sans le concrétiser», soutient-il. Le président de la Ligue algérienne pour la défense des droits de l’homme (Laddh), Mostefa Bouchachi, parle des qualités intrinsèques de Si Abdelhamid : «Je l’ai vu il y a deux ou trois mois. C’est un grand homme, un grand militant qui a lutté pour la libération de l’Algérie, mais aussi pour construire un Etat de droit. L’Algérie a perdu aussi un homme très sage, qui pouvait être l’arbitre, qui pouvait rassembler. Il est parti malheureusement sans voir le programme du 1er Novembre achevé. Il avait de l’amertume et de la déception.»
Compagnon de lutte de Abdelhamid Mehri durant la Révolution, Rédha Malek espère que les nouvelles générations «poursuivront le combat dans le cadre de son idéal». «Nous venons de perdre un ami, quelqu’un qui est resté fidèle à ses principes, à son idéal et à la patrie algérienne. Il a occupé des postes de responsabilité très élevés. Il s’est distingué par sa pondération et son intelligence politique. Ce qui le caractérisait : sa disponibilité, son ouverture d’esprit et son dévouement. Il était véritablement un exemple», dit-il.
L’ayant côtoyé, l’ancien chef de gouvernement Mokdad Sifi se rappelle encore des moments qu’il avait partagés avec le défunt, à la fin des années 1980 : «J’ai eu la chance de l’approcher, de travailler avec lui. A la fin des années 1980, en tant que chargé de mission au niveau du gouvernement, j’ai été chargé, avec si Abdelhamid et le chef du gouvernement, de procéder à la séparation entre le parti FLN et l’Etat (…). J’ai trouvé en Abdelhamid Mehri un homme ouvert, sympathique, simple, direct et souple. Ce sont des qualités qu’on trouve rarement réunies chez une seule personne. Il est pour moi un repère historique, un repère de sagesse et de dialogue.»
De son côté, le secrétaire général de l’Organisation nationale des moudjahidine (ONM), Saïd Abadou, qui a lu l’oraison funèbre, a salué l’engagement militant de ce monument historique et «ses positions politiques qui se sont toujours avérées justes».
- Mohammed El Korso, professeur associé, Alger II : «Un homme, une icône»
Les uns derrière les autres, ils s’en vont silencieusement, mais dignement, en cette veille du cinquantième anniversaire de la restauration de l’indépendance nationale, comme pour dire à la génération post-indépendance : «A vous d’assumer pleinement vos responsabilités.»
Le 22 janvier nous a quittés le moudjahid Belhadj Bouchaïb, dit Si Ahmed, l’un des architectes du 1er Novembre 1954. Aujourd’hui, l’Algérie et tous les hommes épris de liberté à travers le monde arabe et musulman, accompagnent en sa demeure éternelle Si Abdelhamid Mehri, un combattant de la Révolution et de l’après-indépendance. Faut-il voir dans cette révérence de l’homme de Sant’ Egidio un message en cette veille des élections législatives redoutées et espérées à la fois par les uns et par les autres ? A défaut d’une lecture prospective politique, elle-même expression d’une léthargie intellectuelle, relevons que la symbolique est là aussi chargée de sens.
Cette force tranquille — pour reprendre une expression d’ailleurs mais qui sied fort bien à Si Abdelhamid — s’est forgée dans le dur combat libérateur en externe contre la France coloniale et en interne dans la recherche d’un consensus entre les différentes tendances et forces du/au pouvoir de 1954 à ce jour. Il a été jusqu’à sa mort l’homme passerelle, l’homme des convictions toujours remises à plat, comme une invite permanente pour une remise en cause de soi et des autres pour le bien de cette Algérie pour laquelle il a vécu. Du verbe réfléchi et responsable, il fera son arme pacifique, de son engagement sans contrepartie, une constance et de ses convictions, une ligne de conduite. Il aura accompli son devoir de citoyen et d’homme politique jusqu’à son dernier souffle. En remettant à la commission des réformes son propre diagnostic, il lui indiquait les chemins qui lui semblaient les plus efficients pour une sortie de crise pacifique et salvatrice, non pas pour échapper à la hantise réductrice du Printemps arabe, mais pour édifier, par la voie démocratique, consensuelle et profondément démocratique, un Etat de droit pour cette Algérie de demain. L’histoire du temps qui s’efface a retenu son exclusion définitive de la sphère politique, suite à un coup d’Etat dit «scientifique», suite à ses prises de position inspirées par une actualité meurtrière. L’histoire du temps long retiendra qu’il a été l’homme qui a refusé que le FLN soit un parti alibi et qu’il a surtout été l’homme de tous les combats en Algérie, au Maghreb, au Machreq, particulièrement en Palestine, etc. En un mot, des mondes arabe et musulman.
Marginalisé par le pouvoir, ses analyses et conseils étaient sollicités et sa présence dans les cérémonies officielles recherchée. Par ses analyses historiques et politiques, par sa présence intellectuelle dans les forums, dans les débats, toutes tendances partisanes confondues, dans les universités, par sa carrure et sa sagesse légendaire, il a marqué le monde de la politique de son sceau et a semé au sein des jeunes et des moins jeunes les germes d’un courant de pensée qui demande à être mis en valeur par une fondation savante qui porterait son nom et sa griffe. N’a-t-il pas élevé au rang de sacerdoce le dialogue et la tolérance ? L’homme est passé, laissant derrière lui une icône.