Blog de Moudjahed

Oranie profonde

17
avr 2023

Introduction

L’histoire à l’Ouest (Maghreb) de l’Afrique du Nord musulmane au XVIII siècle fut déconcertante !
Il n’y a aucun développement régulier dans son fouillis historique.
Seule sa géographie peut en partie nous l’expliquer.
En tout les cas !
Les frontières actuelles n’existaient pas, elles ne sont pas l’œuvre des musulmans.
Sa situation géographique lui a donnée l’avantage d’une double façade maritime : l’océan atlantique à l’Ouest et la méditerranée au Nord par où ont pénétrer les influences étrangères ( Espagnole, Turque et plus tard Française) qui ont participé à son histoire saccadée de guerre sainte.
Le Maghreb est la région la plus favorisée de l’Afrique du Nord, entre la méditerranée, l’océan Atlantique et le Sahara .
On y trouve quatre zones de végétation. :
-Celle du tell ou les fortes précipitations permettent la forêt verte qui recouvre la totalité de l’Afrique du Nord, elle est typiquement méditerranéenne : arbustes et arbres toujours verts, l’olivier, le grenadier, la vigne, les chênes, le pin et le genévrier.
-La zone des hauts plateaux ou dominent la steppe d’alfa et de chih (plantes rustiques des hauts plateaux): l’une fourragère et l’autre aromatique ,coincée entre deux grandes chaînes montagneuses (l’Atlas tellien et l’Atlas Saharien)
Ces montagnes disposées en amphithéâtre engendrent des cours d’eau ou oueds (1) plus ou moins longs.
Ces derniers ! Avec leurs nombreuses ruptures de pente ont un régime irrégulier durant l’année.
L’oued qui limite le ribat (2) des Chérifs (3), prend naissance dans ces montagnes pour finir dans l’océan à l’extrême sud-ouest du Maghreb.
-Et enfin ! au Sud, c’est le désert aride ou début du grand Sahara.

Notes :
(1)Rivières
(2)Couvent
(3)Des puritains

Introduction (suite et fin )

On observait dans ce Bled (1), que les anciens appelaient «Numidie» et que les arabes qui l’ont conquis : « Maghreb » ou pays du couchant , une dualité géographique qui a joué un rôle prépondérant dans son passé ancien et a façonné sa trame historique.

Cette dualité est formée par le Tell (2) et le désert avec la présence de deux mondes opposés par leurs tendances politiques :
Le goût du pouvoir central ou de la petite république d’une part
et celui de l’anarchie et la tradition tribale d’autre part.

Cette dualité joue en permanence un rôle primordial dans la vie politique du Maghreb : association, conflit ou heurts des tribus rivales.

On l’ appelle aussi les hauts plateaux « bled el ghanem » (4) car ils se caractérisent par leur principale production : le petit cheptel : fait d’ovins et de caprins.

Notes :
(1)Contrée
(2)Littoral.
(3)Plante fourragère de la steppe.
(4)pays du mouton.

LE ROMAN DES NOBLES BÉDOUINS
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Dans l’océan de sable qui entourait les tentes de la tribu, un homme courrait à perdre haleine.
Il se dirigeait vers celle du chef qui prenait le repas matinal en compagnie de ses gens, en conseil de famille pour les taches du jour.
Ce dernier, plein de senteurs humides de Chih (1) , s’est déjà levé voilà un bon moment. Arrivé à hauteur de la tente, il s’écria :
« Chidi Chidi! (2)» en hurlant avec un accent soudanais, un malheur est arrivé! »
Alertés par le bruit de la course et le dernier cri, le maître et ses gens accoururent au devant de la tente.
Ils reçurent dans les bras le jeune serviteur noir qui, suffocant, s’est plié à genoux pour reprendre son souffle.
Les yeux écarquillés et la bave blanche aux coins des lèvres contrastaient avec son visage d’anthracite, ruisselant de sueur.
Le Maître l’aida à se relever sur ses jambes ensanglantées, lacérées par les feuilles sèches et tranchantes comme des lames de rasoir des arbustes trapus d’alfa qu’il a enjambé lors de sa course, et lui dit d’un ton ferme et sec :
« Tait toi ! Et arrête de pleurnicher comme une femme ! Que se passe t’il ? »
Le jeune serviteur noir, contenant sa peur, répondit en essayant de se faire comprendre :
« Chidi ! Chidi !
C’est dans la tente de ta hourma (3)!
Et c’est « jilla » le coupable. » Le chef s’exclama de colère, redoutant encore un acte irréfléchi de son jeune cadet et espérant que ce n’est pas si grave de la part de ce fils si difficile et rebelle à son autorité ; c’était pour lui un mauvais exemple dans la tribu – son autorité est ébranlée quelque part .
« Qu’a t’il fait encore ? »
Le jeune serviteur répéta ce que lui a recommandé de dire la plus jeune des femmes, c’est à dire la belle mère de « jilla » encore en noces :
« il a crevé l’œil de ta jeune femme avec une pierre qu’il lui a lancée avant de s’enfuir à travers l’oued, laissant le troupeau libre à lui même! »

Notes
(1)Plante aromatique de la steppe.
(2)Sidi ! Maitre 2 fois
(3) Harem

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Le maître, d’un revers de la main, jeta le pan droit de son burnous de poils de chameau sur son épaule gauche et se dirigea sans un mot vers la tente de son harem, laissant pantois ses gens autour du serviteur étalé devant eux
Toutes les femmes de la tente du harem étaient dehors et entouraient la jeune Chadia que Jilla appelait « Chadia » (1) par moquerie.
Elle gémissait tenant un foulard blanc sur œil droit.
« Il m’a aveuglé ! Il m’a aveuglé ! » Répétait ‘elle sans cesse en gémissant à souhait.

La mère de jilla : OUM EL KHEIR (2) qui est l’aînée de toutes ; lui répondait furieuse :
» tu mens !
Tu n’as rien !
Montre ton œil aux autres pour voir !
Tu détestes JILLA depuis le début de ton mariage avec SIDI notre maître.»
Sur ce !
Celui ci arriva et fait écarter ses femmes et esclaves pour s’enquérir du mal qu’a fait jilla à sa préférée.
Cette dernière appliquait le mouchard, bien fort sur son œil et refusait de le montrer.
Le maître prit CHADIA par le bras et l’entraîna vers son coin personnel dans la tente en ordonnant aux autres de se disperser.
Là ! À l’abri des regards et des oreilles :
il demanda :
« qu’as tu mon ange ?
Montre moi ta blessure ! C’est si grave ?
Est ce vrai que tu ne vois rien avec ton œil ? »
Tout en parlant : il lui écarta la main pour constater le mal et surprise !
Chadia n’avait rien, juste une bosse au dessus des sourcils, faite sûrement par le projectile de jilla.
Tout content !
Il roucoula à sa jeune femme :
« tu n’as rien ! Dieu merci ! Ne pleure pas !
–Je suis là maintenant et je vais chercher jilla et le punir devant toi !
– Juré ! »

Notes :

(1)Guenon
(2)Mère du bien

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C’est aux couffins du désert qu’est installé le campement des tentes de la tribu de SIDI père de JILLA.
La tente, la plus majestueuse de toutes est celle de la choura ou Dar el hak (1 ) avec ses beaux tapis de laine multicolores qui couvraient son parterre et ses hauts pieux de pin qui la hissaient.
La toile de la toiture est tissée à la main par toutes les femmes de la tribu, son ouvrage est départagé entre elles, sous la direction de celles du harem.
Elle est faite de poils de chèvres mêlés avec de la laine, parfaitement imperméable pendant la pluie.
A chaque achoura après l’aid adha (2) : elle est changée dans une grande cérémonie.
Car c’est la maison de dieu et de tous et sans distinctions de rang ou de situation sociale parmi les gens libres ou esclaves.
La prière du vendredi s’effectue en son intérieur, toujours ouverte aux réfugiés en son sein et aux hôtes étrangers.
Mais ! Jamais un feu ne s’est allumé dans son enceinte.
Certes ! On peut manger ou séjourner dedans sans y dormir.
Elle recevait aussi les banquets des baptêmes ou mariages et même servir d’office de lavoir mortuaire.Son enceinte est sacrée.
Nul n’a le droit d’élever la voix, ni commercer ou tenir des propos blasphématoires C’est comme une mosquée.
Habituellement, les gens de la tribu prient chez eux ou rassemblés pour le Maghreb sur la tahtaha (3) qui se trouve à proximité.
Cette place est couverte de nattes d’alfa et souvent entretenue.

Notes :
(1)Dar Choura (maison du conseil) ou Dar hak (maison du droit).
(2Achoura : c’est le 10 éme jour après la fête du sacrifice d’abraham
(3 )place publique

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C’est aussi, dans cette tente que se passent les réunions du conseil qui règle les différents litiges rencontrés dans la confrérie
Tout ce farouche et belliqueux monde de nomades la respectait en la vénérant comme lieu de paix, de droit et d’hospitalité.
Elle sert aussi d’école coranique dans deux classes : pour les enfants de moins de dix ans, le matin et pour les talibans (4) plus âgés, l’après midi.
Les classes sont assurées par des derrars (5) qui eux même
récitaient devant les talebs (6) ou docteurs de la foi, tout le Kitab (7).
On trouve aussi des livres dont d’antiques manuscrits qui sont précieusement sauvegardés et mis à la disposition de tout lecteur ou réciteur, désirant les lire ou les consulter avec l’interdiction de les prendre avec soi. Car bien habous (8) C’est à dire appartenant à toute la communauté tribale.

Les tentes de toute la tribu de Sidi, étaient groupées en formation stratégique d’une forteresse en toile, autour de la tente de la « choura » (conseil) ou « dar el hak » maison du droit, dans une vaste étendue de la steppe, tout prés d’une guelta (grande marre) formé par le niveau bas de l’oued.
Nécessité bédouine, oblige.

Notes :

(1)étudiants
(2instructeurs
(3)enseignants
(4)livre sacré (coran).
(5)Indivis de droit religieux !

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La tente de la choura est le centre du campement de toutes les tribus. Juste à coté d’elle sont plantées celles de « Ahl el beit » (gens du maitre ) : formées par celle de « Lalla » Oum elkheir et Jilla et la tente de Jellou leur ainée et enfin celle du harem . Un peu à l’écart, il y a les huttes de chaumes ou d’alfa des Khoudems (serviteurs) de Sidi, de son harem et de la tente de la Choura.
Après viennent les tentes des « Ahl dar » tribus alliées ou cousines éparpillées dans le site élevé, choisi par Sidi en personne.

Vu d’en haut, le site formait plusieurs cercles de tentes espacées l’une de l’autre par des allées.
Celle de la choura est le pivot central.
Tout en bas, autour de la guelta ,hors du périmètre du campement , sont dressés épars , les enclos du cheptel et des chevaux .
Ceux ci sont cernés par des haies artificielles d’alfa liées entre elles par des cordes tressées de la même plante .
Ces hautes haies protégeaient du regard et du vent les bêtes.
Les chevaux ne sont ramenés que le soir !
Chaque cheval est parqué prés de l’enclos de son maitre .
Toute la journée , ils sont soit montés , soit attachés devant les tentes .
Le cheval est admiré , respecté et bien entretenu .
On brosse leur robes et on peigne avec amour leur crinières.
Il est considéré comme un membre de la tribu .
Son hennissement réjouis les cœurs .
Gare à celui qui le cravache sans raison !
Sa laisse est toujours longue pour plus de liberté dans son mouvement . Devant chaque enclos, sont attachées solidement des chiens de garde.

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Ce jour là ! bien avant l’incident ; Jilla s’est levé, dés l’aube comme d’habitude ;a enfilé sa Djellaba noire rayée de laine sur sa abbaya ( longue chemise de nuit ) et s’est dirigé vers la sortie de la tente de sa mère .
Cette dernière était accroupie devant le feu et pétrissait des galettes de nbessas ( petits fours de semoule au beurre ) sur un tadjine en terre cuite , posé sur les braises directement , mis en équilibre par trois grandes pierres de rocaille .
Quoique faisant partie du harem, elle était aussi sa LALA (maîtresse) attitrée, car elle était la première épouse de Sidi.
Elle avait sa propre tente avec ses deux fils : Jellou, son aîné de trente ans et Jilla.
Celui ci !
Posa tendrement, un baiser sur sa tète, cernée d’un foulard coloré, tel le
plumage d’un coq de campagne.
Elle retournait les petits triangles sur le tadjine brûlant en rafraîchissant ses doigts en les suçant.
Le beurre de brebis rosissait les petits fours et les rendait cramoisis.
– fais tes ablutions et ta prière et viens prendre ton ftour ! (déjeuner du matin) ordonna t’elle à son fils , mal réveillé .
– J’attends que mon khadem (esclave noire) me ramène du lait. »
– Elle ne tarderas pas à venir « précisa t’elle, pressée d’en finir avec sa corvée familiale pour rejoindre ses taches de maîtresse du harem.
Jilla sortit et décrocha l’outre d’eau des deux troncs de pins croisés sur le seuil qui servaient d’entrée.
Il remplit une écuelle d’argile cuite et partit derrière un talus de touffes d’alfa.
Il s’accroupit en relevant sa djellaba et sa chemise, une brise glaciale pénétras ses reins : il eut une grimace et changea de position, mettant le talus derrière lui.
Ce geste va changer le cours de sa vie et toute sa destinée.
A quelques mètres de là !
Se dressait la tente du harem.
Il vit une femme, s’étirant les bras en croix, les cheveux découverts devant le seuil de cette dernière.
Il reconnut Chadia, la nouvelle femme de Sidi.
« Sacrilège ! pensa t’il, elle se fout de notre honneur ! , la garce ! ».
Pensant n’être vue de personne, Chadia bailla et s’étirait à en mourir de plaisir, exhibant l’épaule droite nue

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Les chorfas !
Arabes originaires de la région de Yanbo3, en Arabie, installés dans la Vallée du Draa au XIV e siècle ,sont les descendants de Hassan ben `Alî, fils aîné de Ali et Fatima Zahra (nobles descendants du prophète) .
Leur confrérie comptait environ huit cents hommes.

Primitivement, ils s’étaient installés dans ces parages, surtout afin de se mettre en sûreté, la proximité de l’oued et les bons pâturages, convenait aussi.
Les chorfas craignaient pour leurs descendants, depuis le kharidjisme (hérésie islamique venant d’orient).
Ils vivaient dans la crainte perpétuelle de tout étranger dans leur territoire, d’où la surveillance permanente de leur campement par des sentinelles de nuit comme de jour.
La garde est effectuée surtout par les ahl dar (membres de la confrérie) sous la direction de Sidi lui même.
Les veilleurs de nuits dont la vigilance est très sollicitée, doivent faire chaque matin le point, en rapportant le moindre fait nocturne à Sidi.
Quant aux gardiens, ils sont dans l’obligation de faire leur rapport du jour à Sidi, chaque soir, après la prière du Maghreb.

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Le campement qui date seulement de la derrière transhumance d’automne, à cet endroit de la steppe, près de la guelta ( retenue d’eau) , avait pris l’aspect d’un village permanent .
Les tentes en tissus de poils de chèvres et de laine de moutons, couvraient un large espace, dressées sur des pieux en pin ; consolidées à leurs bases par de grosses pierres qui tenaient les cordes de soutien du toit, étaient percées d’un trou qui laissait passer la fumée des feux domestiques.
Les serviteurs allaient et venaient, chargées de cruches de lait chaud de la traite matinale des chèvres ou donnaient à manger aux chiens de garde des enclos.
Les vieilles femmes avec des fichus sur la tête, balayaient devant les seuils de leurs tentes avec des balais de feuilles de palmier -nains.
Tous ces travaux devraient être finis avant le lever du soleil, juste après le départ des bergers.
Ces derniers, déjà dehors, gravement accroupis autour des feux allumés en plein air, palabraient à voix basse.
Le village paraissait calme, à part quelque bêlement de brebis cherchant son petit ou le jappement joyeux d’un chien qui recevait sa ration qui se faisaient entendre au loin.
Mais !
Il était facile de deviner qu’il s’est passé quelque chose d’extraordinaire, car malgré l’heure peu avancée –le soleil dorait à peine l’horizon –le village semblait refuser de s’éveiller avec les départs des troupeaux, souvent bruyant de clameurs.
Sidi et ses gens étaient réunis autour du thé matinal, établissant l’ordre du jour habituel des pâturages et de la surveillance du campement.

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Jilla écourta ses ablutions avec précipitation .
Vexé par l’attitude impudique de sa nouvelle belle mère .
Il lui lança avec colère son écuelle vide , qui s’écrasa en morceaux , à deux pas d’elle .
Surprise , par le fracas de l ‘ustensile d’argile cuite , elle disparait dans la tente du harem .
–Cette dévergondée ? mérite une correction , jugea tout bas , Jilla en pressant le pas vers la tente de sa mère .
Oum el Kheir , vit l’air renfrogné de son fils : on ne peux jamais cacher à un mère ses sentiments .
– Qu’as tu ? ou est l’ écuelle des ablutions ? questionna t’elle , inquiète .
Jilla déroula le tapis des prières en direction de la Kaaba de la Mecque sans répondre à sa mère , tout en annonçant sa prière de l’aube ,:d’une voix grave en élevant les mains .
– Allah wa akbar !
– Allah wa akbar !
(Dieu est Grand ! Dieu est Grand !) .
Om el Kheir se tut et réfléchis sur le tempérament de son jeune fils .
Jilla semblait très sérieux pour son age , il n’avait que douze ans et agissait en homme mur .
La métamorphose du caractère de son fils commença dés qu’il a compris et senti son rang .Sidi l’a désigné comme son successeur dans la tribu ,lors de son baptême de ses septièmes jours , toute les tribus étaient réunies , pendant la décision de Sidi .
On fêta l’événement avec du méchoui et du couscous en abondance.
Ce jour là Jilla fut sacré “Emir” ( prince ) à jamais .
Cette charge semblait lourde pour le fils d’Oum el Kheir qui faisait des fois des excès d’autorité avec son pére sur certains problèmes secondaires.
D’où les nombreux incidents engendrés par Jilla.

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Oum el Kheir craignait pour son fils de la part des autres membres des tribus qui essayaient de le mettre frontalement avec l’autorité régnante de Sidi .
Jilla ayant terminé sa prière, s’affairait à enfiler ses sandales en caoutchouc à lanières qu’il croisait jusqu’à ses genoux sur son séroual à pattes longues.
Il prit son bâton de conducteur de troupeaux de brebis et s’approcha de sa mère qui finissait de bouillir le lait rapporté par la servante
Il prit un petit bessas (gâteau traditionnel) en forme de triangle et le croqua sans plaisir et d’un ton grave, il annonça à sa mère
–« Cette Chadia ? Veux nous déshonorer et c’est moi qui la tuerai ! »
Il lui raconta ce qu’il a vu dehors.
Oum el kheir, dont l’inquiétude grandissait en elle, répliqua effarée :
–« mais ! Pourquoi ? Tant de soucis pour rien ! et en plus il n’y a pas une âme qui vive dehors, pendant cette heure ?
Personne ne l’a vue ! Sauf toi ! Tu la surveille ou quoi ? »
« Non ! Mère chérie ! Je ne la surveille nullement, c’est elle qui s’exhibe tout le temps sans pudeur, pendant l’absence de Sidi. »
« Je l’ai aperçue à plusieurs reprises sans que je le veuille !
Elle se fout de nous et de nos coutumes ! Car ce n’est pas une Chérifa ( de rang noble) ! »
« Et tu sais très bien ! Que sa tribu était très contente de se débarrasser d’elle lorsque Sidi l’a demandé en mariage ?
Ses gens étaient ravis d’accepter, malgré l’âge avancé de Sidi ! ».
« Ils ont eu toujours peur pour leur honneur : c’était une fille légère et récalcitrante, même instable. »

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Pendant que Jilla tenait ce discours à sa mère , le lait bouilla et déborda sur le feu en l’éteignant totalement , la fumée des braises mouillées mit en colère Oum el Kheir qui répondit sèchement :
« Arrête de dire des bêtises ! Et ne fait pas d’une bagatelle, un drame…»
Et ordonna en lui rappelant ses devoirs :
« Et puis n’oublie pas qu’elle est la femme de ton père et qui est aussi le chef de nos tribus.
donc ! c’est ta seconde mère par alliance et tu lui doit le respect total ! ».
« Justement ! Souligna Jilla, c’est pour ça que la tuerais de mes propres mains. »Il se leva et sortit sans attendre.Laissant sa mère affalée devant le feu qui fumait.
Le ftour (petit déjeuner matinal) avec Jilla fut lamentablement gâché.
C’était un des moments les plus chers d’Oum el kheir avec son fils .
D’habitude, c’était très agréable comme instant passé ensemble, de la journée.
Lui, qui n’arrivait au groupement que vers le crépuscule avec le retour des troupeaux.
Elle languissait de son absence et craignait pour lui chaque jour que dieu fait.
Elle implorait toujours dieu en soupirant :
« Allah ! Mohammed sidna ! Protégez mon fils ! »

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Jilla, mécontent de son réveil, s’en alla, d’un pas pressé, rejoindre les enclos ; ses moutons y sont parqués par centaines, il n’a jamais su leur nombre exact.
Souvent, des brebis ou des béliers des autres tribus se mêlaient aux siens.
Il ne s’apercevait de leur présence que quand les males se cognaient avec bruit se disputant une femelle, ou par le bêlement incessant d’une brebis n’ayant pas trouvé son ou ses petits.
Quant aux bêtes silencieuses, elles pouvaient rester inaperçues pendant des mois entiers.
Cela n’inquiétait nullement les propriétaires.
Les bêtes sont toutes marquées, chaque tribu avait son signe de reconnaissance particulier.
Qui coupait, en deux le lobe de l’oreille droite, qui sectionnait la queue à trois doigts : leurs agneaux, dés leur deuxième jour.
D’autres plus ingénieux et cruels, perçait l’oreille de la pauvre bête d’un ou deux trous au fer rouge.
Le troupeau de Jilla, paraissait indemne de toute marque.
Mais ! Dés qu’il y a litige sur la propriété de la bête :
Sidi en personne tranchait sur son appartenance. Lui seul avait le secret. Et c’est dans son cheptel qu’on puisait les bêtes destinées au sacrifice du mouton d’Abraham. Le rite exigeait que l’offrande doive être saine et indemne de toute infirmité, amputation ou maladie.
L’abatage des femelles est formellement proscrit et interdit.
On n’égorgeait jamais une vieilles brebis : par respect à son âge et surtout pour son lait : on dit qu’elle préserve la race et donne par conséquent de bons béliers.
Les jeunes sont vénérées, gare à celui qui les égorge ou touche à leurs toisons.Ce n’est qu’après avoir mis bas, qu’elles sont tondues et leur laine offerte aux jeunes mariées pour filer leur Kssa (couverture en laine colorée) de noces.
Dans le troupeau, il y a toujours un bélier ou une brebis noire, ça portait bonheur disaient les bergers.
Ils sont surtout prisés par les vieilles fileuses de laine.
Quant aux chèvres : elles sont séparées des moutons, car leurs cornes pointues sont très craintes.
Elles conduisent merveilleusement les troupeaux en les devançant.
Leur lait était toujours abondant et leurs chevreaux sont de régals méchouis. Celles de Sidi sont racées : ramenées spécialement du m’zab pour leur lait et leur long et dur poil : elles ressemblent à des gazelles et leurs boucs sont de magnifiques conducteurs

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La région où naquit Jilla était, par conséquent, un carrefour naturel pour le commerce transsaharien et une région pastorale très riche.
C’était aussi un carrefour stratégique, car aucun trajet, en temps de paix ou de guerre, ne pouvait éviter cette région.
Du nord au sud, de l’est à l’ouest, elle commandait l’accès des routes de l’empire vers l’Afrique noire.
La ville la plus proche est Zagora et la plus éloignée au sud dans le désert aride : c’est la légendaire Tombouctou.
C’ est le chemin du trafic caravanier entre Bilad el Soudan (actuels pays du Sahel), le Maghreb et l’Europe.
Le commerce avec le soudan historique se basait sur le troc.

La principale monnaie d’échange était les barres de sel échangées contre l’or.
Il y avait aussi d’autres produits de troc comme les denrées communes très sollicitées par les communautés du désert notamment les métaux ( barres de fer, laiton, étain), les ustensiles de cuivre, les chevaux et selles, les cotonnades, le papier à écrire, la verrerie, la céramique, maroquinerie et autres articles utiles.
En contre partie les importations comprenaient l’or, les plantes médicinales, les plumes d’autruche, l’ivoire , le bois d’ébène et l’ambre

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Les tribus de l’au-delà de l’ oued Draa (2). à 0um el assel ,(2) étaient renommées pour leur tradition réformiste, la pureté de leur religion et la noblesse de ses origines bédouines.
A la fin du règne almohade et des débuts Mérinides et plus précisément Saadiens, cette région était un centre intellectuel de haute théologie musulmane ; par conséquent un lieu de dissidence et de révolte ; elle formait les meilleurs commandeurs de guerre sainte et se vantait aussi de fournir un nombre important de contingents de combattants de la foi. Les généraux musulmans d’orient et du Maghreb qui soutinrent la croulante dynastie almohade et les réformistes purs qui l’abattirent recrutèrent leurs hommes de cette région du Draa et de la Moulouya.
Pendant longtemps, le Draa s’est trouvé sur le passage de guerres tribales pour le contrôle du trafic des caravanes du soudan vers le Nord hispano maure.
En dépit de la richesse du commerce des caravanes, les bédouins de cette région étaient des puritains et haïssaient le despotisme des rais de taifas et leurs mœurs religieuses et de gouvernance du makhzen.
Les succès de leurs guerres saintes et la fondation de leur brillant empire resta, à jamais, gravé dans la mémoire de chacune des tribus locales.
La future libération de tout le Maghreb des forces étrangères existait déjà à l’état embryonnaire dans les foyers bédouins musulmans, lorsque Jilla vint au monde.

Note :
(1 ) Fleuve du sahara
(2) Contrée prés dé Tindouf

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Jilla est né le premier jour du carême musulman en 1802 dans la tribu des chourafas, l’une des tribus bédouines éparpillées dans la hamada , au-delà du Draa, ainsi nommée d’après la belle rivière qui coule en méandres dans un régime irrégulier des hauts sommets de l’atlas saharien et traverse tout le Draa pour se jeter à l’océan atlantique à l’ouest extrême du Maghreb.
Elle forme la limite naturelle entre les montagnes du nord et le sahara .
La montagne garde ses libertés ante- islamiques.
Cette irruption de la vie nomade dans l’Afrique « utile » devait avoir des conséquences incalculables.
Modifiant durablement les genres de vie, elle prépare et annonce la colonisation des puissances étrangéres
La conquête arabe, on le sait, ne fut pas une tentative de colonisation, c’est-à-dire une entreprise de peuplement.
Elle se présente comme une suite d’opérations exclusivement militaires, dans lesquelles le goût du lucre se mêlait facilement à l’esprit missionnaire. Le courant réformateur islamique venant d’Orient (Arabie) s’imposa de force dans le Maghreb-extrème pour s’accentuer dans l’Andalousie conquise par les Maghrébins musulmans.

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Il y a bien longtemps, des hommes voilés, venant du désert envahirent le Maghreb extrême (actuel Maroc) dés 1085 et six ans plus tard tout le l’empire ibéro maghrébin tomba entre leurs mains.
Au même moment par la voix saharienne ils s’emparent du trafic du soudan.
L’Ifriqiya (Tunisie) et le Maghreb central (Algérie) furent ravagées par les béni-hillals , arabes nomades lancés par les Fatimides en bérbérie .
Les dévastations de ces derniers ruinèrent la partie la plus riche d’Afrique du Nord.
Les almoravides vainqueurs à Zellaca en 1086 enlèvent Valence et l’ensemble de l’Espagne musulmane tombe en leur pouvoir.
Les almohades remplacent les almoravides ; amollis par la douceur de l’Andalousie ; et s’emparent de toute l’Afrique du nord, de Gabès à Barca (Barcelone).
Pour être une fois de plus supplantés par les Mériniyines (Mérinides).
Ces musulmans des hauts plateaux (chérifs orthodoxes) ont fait tout leur possible pour reprendre l’essor de la guerre sainte, mais, en vain !
La civilisation hispano- mauresque naît avec les almoravides, se développa sous les almohades pour déjà s’altérer sous la dynastie des Mérinides.
La tribu de Sidi descendait de cette dynastie et ses aïeux étaient tous des docteurs de la foi.
Sidi avait en tète toutes ces histoire de ses ancêtres , mille fois répétées par son père, pendant les nuits d’été, au clair de la lune : lorsque ils couchaient dehors , dans les pâturages avec leurs bêtes.
Deux dates! bien précises; lui revenait à l’esprit constamment.
La chute de Cordoba (Cordoue) en 1248 et La chute de Gharnata (Grenade), c’était en 1492.
La première date fatidique fut la chute de Cordoue en 1248.
Le quatrième sultan almohade : Mohammed el nassir est battu à la bataille de las navas de Tolosa en 1212.
La fusion de la castille et du Léon, accélère la chute de cordoba, murcia (Murcie) et ichbillia (Séville) en 1248.

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L’Afrique du Nord se morcelle dangereusement à nouveau et passe dés 1269 entre les mains des Mérinides bédouins des hauts plateaux.

Son ancêtre : leur premier sultan cruel et orthodoxe a fait de grands efforts pour la guerre sainte , et a laissé à son successeur un grand legs religieux avec lequel, il reconstitua l’empire de l’atlantique au golfe de Gabes .
Mais! échoua en 1340 dans sa politique de reconquête andalouse sur les bords du Rio Salado et même battu à Kairouan par une coalition arabe
La seconde année fatidique fut la chute de Gharnata (Grenade) en 1492 avec la décadence des musulmans du maghreb (afrique du nord) et de tous les arabes ; a ruiné les derniers espoirs d’un empire musulman ibéro-maghrebin et marqué le renversement définitif du rapports des puissances entre chrétiens et musulmans, surtout avec l’avènement du nouveau monde (Amériques ) les routes sahariennes et la méditerranée sont délaissées au profit des turcs et des pirates ottomans.

Cette situation amène le Maghreb à s’isoler de la civilisation humaine naissance dont les ancêtres ont apporté les ingrédients en Andalousie.
Le commerce des caravaniers à travers le désert va diminuer et les difficultés économiques agitent les nomades dans les steppes.
Les centres religieux du désert sont renforcés de toute la faiblesse du Maghreb sédentaire.
Les chorfas se multiplient et prennent la tète des résistances locales.
Le culte des saints, les Zaouias et les confréries sont autant de sujets d’agitation.
Cette agitation religieuse et xénophobe contribue d’ailleurs à faire pénétrer l’islam dans les montagnes ou les cultes anté islamiques sont tenaces et conservent des racines vivaces.

Dans ce désordre, loin de toute autorité centrale, les Chorfa n’arrivent pas à grouper autour d’une idée religieuse ou politique pour récupérer l’Andalousie.
L’espoir de le maintenir au delà de djebel tarik ibn ziad (Gibraltar) s’éteint à jamais.

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Les berbères occupent les montagnes et les plaines d’alentour en les cultivant et élevant des bovins rustiques et habitent dans des huttes en chaumes.
Tandis que les arabes nomades, plus nombreux, errent au gré des pâturages pour leur cheptel fait de troupeaux de moutons et chèvres et quelques dromadaires, sur l’immense étendue de la steppe.
Ces immenses steppes étaient inaccessibles aux infidèles, venant des mers, qui ne se sont jamais aventurés à l’intérieur du pays profond, occupé par les bédouins hostiles et xénophobes
Quant aux montagne ! c’est le fief par excellence des berbères .
L’islamisation et la toute première arabisation furent d’abord citadines .
La religion des conquérants s’implanta dans les villes anciennes que visitaient des missionnaires guerriers puis des docteurs voyageurs, rompus aux discussions théologiques.

le roman des nobles bédouins
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La conversion des Berbères des campagnes, Sanhadja ou Zénètes, se fit plus mystérieusement.
Ils étaient certes préparés au monothéisme absolu de l’Islam par le développement récent du christianisme , mais aussi ! par un certain prosélytisme judaïque dans les tribus nomades du Sud.
Quoi qu’il en soit, la conversion , souvent plus pour des raisons politiques que par conviction, répandit l’Islam dans le peuple.
Les Berbères sont à leur tour assujettis par les Arabes lors de la conquête .
De cette époque date la structuration en castes de la société steppique :
Au sommet de la pyramide :
se trouvent les tribus libres, principalement d’origine arabe, qui forment la caste des guerriers ou « chérif ».
Ensuite viennent ceux qui, ayant été vaincus au combat, n’ont pas le droit de porter les armes et qui, généralement d’origine berbère, se sont réfugiés dans la pratique du commerce ou les études religieuses: les « marabouts » .
Puis les Noirs se partagent entre esclaves affranchis, mais tributaires, cultivant les oasis, ou « haratines », et enfin ! les esclaves domestiques, ou « abid ».

A suivre !

LE ROMAN DES NOBLES BÉDOUINS

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SIDI était docteur et chevalier de la foi en même temps : c’est un guerrier hors pair !
Toute la tribu des CHORFAS reposait sur ses épaules .
Choisi par son père « feu SI CHERIF » comme successeur :
il maintenait sa gouvernance avec une réelle diplomatie et l’élargissement de son harem .
Ces deux exigences sont nécessaires pour le contrôle de l’espace .
SIDI savait que dans le territoire de sa tribu ,le milieu pastoral est vraiment saturé .
L’accès aux ressources : eau d’abreuvage et pâturages , ne saurait être libre ou indifférencié entre les diverses tribus qui les entourent.
Les rapports de force jouent en permanence , le contrôle de l’espace est donc l’une des conditions de survie pour la famille
Qui dit contrôle !!dit sécurité ! partant de là , il y a possibilité pour le cheptel de se développer et la tribu de satisfaire ses besoins vitaux , donc ! d’exister .
Ceux qui n’ont pas les moyens politiques et militaires de contrôler leur espace pastoral , sont dominés par les autres.
Ils sont contraints :
-soit de se soumettre et partager une partie de la production animale et les points d’eau , ce qui peut mette en danger la survie des familles , pendant les mauvaises années.
-soit de plier bagages et tentes et s’exiler vers d’autres espaces.
C’est pourquoi l’importance du harem est vitale.SIDI ne cesse d’élargir ses alliances en toute occasion .
Le nombre des demis frères de JILLA dépasse facilement les jours du mois .
Il ne fait que perpétuer la tradition de son père et de ses aïeux .

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Sidi, en sortant de la tente de son harem, resta un moment pensif,
méditant la fuite de Jilla .
« Ou peut il aller ? »
« Iras t’il jusqu’ à cette chaîne montagneuse, si lointaine et dangereuse ? »
Un sourire se dessina sur ses lèvres.
« Il n’ira pas plus loin que le ravin, creusé par l’oued en dévalant vers les terres incultes.
C’est la frontière du territoire de la tribu ! Nul n’a osé la franchir !
Et ce ne sera pas un gamin de douze ans qui s’y aventurera.
On colportait : que des brigands, voleurs ; égorgeurs et violeurs y régnaient impitoyables.
Ces montagnes étaient une barrière naturelle ,séparant la steppe et les hautes terres ou ils étaient installés ,il y a fort longtemps , du temps de feu son père » le CHERIF » et sa petite famille et d’autres tribus , fuyant les turcs , qui les ont rejoints.

Un jour ! Son père le patriarche CHERIF mort il y a une vingtaine d’années lui a confier une toute autre histoire sur ces contrées inconnues

.« Mon fils ! Ne répète jamais ce que je vais te dire : Laisse tes gens craindre ces montagnes .
Ils resteront toujours rassemblés autour de ta protection et ton autorité !
Ils t’obéiront et ton honneur sera sauf !
Car moi-même ! Je viens de ces majestueuses montagnes vertes et protectrices.
On était libres, riches et cultivés.
Nos maisons étaient en dur, dans le roc même.
Mon aïeul était craint et respecté. Les membres de sa famille étaient :
soit des docteurs soit des chevaliers de la foi pendant les guerres saintes. »
S’enorgueillit à dire, SI Chérif à son fils SIDI .

Maintenant dans la steppe ! l y a plus d’une trentaine de tribus , qui y vivent dans l’abondance des pâturages et le gouvernement juste des chorafas , maitres actuels de la steppe toute entière .
Les quelques tentes du début de l’exil ne furent qu’un lointain souvenir en comparaison avec le nombre des tentes actuel .

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« L’installation des turcs ottomans en Afrique du Nord suscite l’immobilisme total et l’anarchie des tribus ; qui se replient sur elles même et digèrent mal l’abandon du rêve de l’empire musulman qui atténuait leur énergie religieuse et leurs ardeurs belliqueuses.
Avant leur arrivée, les femmes et leurs enfants ont fui emportant avec eux, juste quelques peaux de vache et leurs bijoux, en poussant devant eux leur maigre cheptel, fait de chèvres et de moutons, abandonnant tout sur place.
La famille princière, c’est-à-dire moi, ta grande mère et tes quatre tantes faisions partie des premiers fuyards. »
a précisé SI CHERIF à son fils SIDI .

SI CHERIF mort en 1800 fut le père de SIDI et grand père vénéré de JILLA .
Cet aïeul eut une longue vie : presque un siècle de dévouement pour sa famille et la tribu décimée par la guerre sainte et c’était lui , l’artisan du groupement des tribus léguées à son fils SIDI .

Ce dernier a une soixantaine d’années derrière lui , et Jilla n’a que 18 ans : car nous sommes en 1820 de l’ année grégorienne

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Son père Si Chérif lui a confié sous le sceau du secret cette triste vérité :

« Nous méprisions cette hamada du haut de nos montagnes ! avec nos grandes bêtes , des vaches et des taureaux et notre fortune. »

C’est cet océan d’alfa, tant décrié, qui fut notre refuge et nous sauva de la mort certaine et de la perte de nos biens. »

« Cet oued ? disait Le chérif :
—S’appelait autrefois Saguia hamra (rivière rouge) et prenait naissance dans les premières terres d’exil de nos ancêtres d’où partirent les premiers contingents de chevaliers qui pacifièrent l’Extrême-Maghreb et unifièrent les taifas (principautés) en terre andalouse. »

« Je n’ai fait que sauvé l’honneur de la famille princière en protégeant ta grand mère et tes quatre tantes et élargit le clan à partir de rien ; maintenant, tout ce groupement de tribus est à toi ! ».

« J’ai donné mes sœurs aux autres tribus comme épouses : une par tribu : pour protéger notre rang et notre fortune .

« Nos aïeux étaient des chevaliers de la guerre sainte !
Mais , ont dilapidés le patrimoine commun du clan des chorfas en abandonnant leurs familles pour la guerre sainte ou petit djihad

« .Par contre notre père L’aguelid Mohand fut un bâtisseur et est mort chez lui, au milieu des siens et c’était le grand djihad.
Les paroles du père résonnaient encore dans la tête de SIDI avec toute leur véracité.

« Et ce morveux de jilla veut casser d’une pierre , l’édifice construit avec tant de dévouement et de sacrifices »
pensa SIDI en se rappelant du geste de son fils qui a pris la fuite ce matin.

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SIDI, en méditant les histoires de son feu père « le chérif de la hamada » ne s’est pas aperçu d’Oum el kheir (mère du bien) qui s’est approchée de lui sans bruit et avec crainte.

Dés qu’il sentit sa présence, il se retourna et la vit décoiffée et les pieds nus. Elle se mis à genoux en s’agrippant à son burnous et en implorant :
« SIDI ! SIDI ! ne fais rien contre jilla ! Ce n’est qu’un gamin Et puis, CHADIA n’a rien ! Juste une bosse sur son arcade droite ! Je l’ai déjà soigné et fit un bandage avec mon foulard et une écorce d’oignons que j’ai mis sur le feu un moment et appliqué sur sa plaie bénigne.»
Elle s’est tue et resta pendue à la sentence de SIDI.Le maître en voyant sa première femme « Oum el kheir » les cheveux découverts : eut honte et s’écria, en l’apostrophant durement :
« Couvre toi la tête, imbécile ! Tu me fais un grand déshonneur, toi et ta maudite progéniture »
Oum el kheir , rappelée à l’ordre : releva un pan de sa seconde robe et se couvrit la tête : confuse et troublée . Tenaillée par son amour de mère et sa fidélité à son mari. Oum el kheir supplia tendrement :
« SIDI ! SIDI!
Sois clément envers ton dernier fils !
il porte le nom de ton ancêtre que tu vénère tant ! »

Le maître l ‘attira par le manche et l’emmena à l’écart en disant :
« tu sais très bien, Oum el kheir ? Que mes multiples épouses ne sont qu’un alibi d’alliance et ton fils veut toucher à un credo de notre survie.
Le harem est la source même de nos alliances et de notre expansion dans la steppe et les hautes terres d’alentour !
« C’est pour la tribu que je me marie à chaque fois, je n’ai pas besoin de femmes, une m’aurais suffit amplement et tu sais que c’est toi ! Sans ton fils et ses innombrables bévues.
« Il a toujours détesté mes épouses et voilà, maintenant ! il me met en conflit avec la famille d’une d’entre elles et la plus coriace! » Que dois je faire ? Sinon le punir et publiquement pour asseoir mon autorité ébranlée ! ».
« Va ! Cherche-le et ramène le moi ! il doit t’écouter ! il t’aime beaucoup, car accroché à tes robes ».
SIDI s’est tu, estimant avoir tout dit. Acculée par la vérité sur le harem et leur amour immuable : Oum el kheir ne répondit point.

Prenant son courage à deux mains ; elle lui dit : « retourne à la tente de la hourma et console Chadia de ne pas partir chez sa tribu !
Envoie un émissaire leur dire la vérité sur l’incident, avant que les mauvaises langues ne le déforment dangereusement et sera la catastrophe pour toute la tribu ? »
« Quant à jilla ? je vais moi même le chercher ! il ne se cacheras pas à mes appels !
Et puis ! je dois l’informer que chadia n’a rien . »

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SIDI approuva et prit le chemin des tentes , il sait très bien que les meneurs de troupeaux sont déjà loin et que le geste de jilla sera répandu comme une traînée de poudre dans toutes la steppe raconté d’un berger à l’autre. Il sera amplifié et déformé comme toujours par les serviteurs qui n’ont rien vu, seulement entendu les plaintes de CHADIA et l’information de son serviteur privé. Et personne n’a constaté la réalité.
Car dans les règles de la steppe ; la loi de talion : œil pour œil et dent pour dent : est très répandue et de rigueur et appliquée par le maître lui même contre ses propres enfants.
Le versement du sang est très craint et peut être l’origine d’une guerre interminable entre les tribus sœurs.
Le vrai dilemme pour Sidi : c’est que Jilla s’est enfuit .
Donc ! Comment appliquer la loi ?
La tribu de Chadia va demander réparation pour commencer et laver l’affront subi.

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Oum el kheir ! Constatant le départ de SIDI, retroussa ses robes sur sa ceinture et dévala vers l’oued s’enquérir de son fils.
Avec en tète, les différentes caches qu’elle connaissait ; elle alla de pied ferme espérant le retrouver et le ramener.
Elle partait à la recherche de son fils tout en priant Mahomet le prophète et dieu de le retrouver : elle craint beaucoup pour lui.
C’est un jeune garçon très impulsif, quoique débrouillard et laborieux.
Elle se dirigea directement vers ses caches préférées dans les roseraies sauvages de la berge de l’oued .

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Cet Oued présente des écoulements variables suivant les terres qu’il traverse.
L’écoulement sur les marges désertiques est le fait des fleuves allogènes ou de torrents alimentés par la pluie et par la fonte des neiges.
Son régime est très irrégulier.
Il traverse une région désertique de plus en plus sèche, à mesure que l’on s’avance vers le Sud.
Les affluents de l’Oued dans son cours moyen, aussi nombreux soient-ils, sont d’un écoulement à caractère épisodique et la plus grande partie de ses apports proviennent du Nord qui constitue le domaine des grands affluents.
Dans cette partie du bassin versant, les deux principaux affluents du Drââ sont : l’Oued Dades et l’Oued Ouarzazate qui collectent les eaux d’une partie du versant Sud du Haut Atlas et du versant Nord de l’Anti-Atlas.
De la confluence de ces deux principaux affluents naît l’Oued Drââ proprement dit.

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OUM EL KHEIR, inquiète, se dirigea encore plus loin , tenaillée par deux sentiments opposés : la crainte de son mari et sa sentence si elle échoua et l’amour de son fils .
Elle courait presque en criant à qui veut l’entendre :
__ »Jilla ! jillaaaaaaaa !
__Reviens !
__Mon enfant chéri.
__La chipie de Chadia n’a rien !
__C’est juste une bosse sur l’arcade de son œil droit »
Elle était pieds nus et les épines des racines des roseaux lui faisaient mal .
Ses cheveux dans le vent, tout en sueur, elle implorais presque à s’étrangler :
__ »Jilla ! jilla !
__Je t’en prie ! Montre toi »
__ je suis seule ; je te le jure . »
Point d’écho !
La nature semblait sourde à ses cris.
La peur grandissante ; elle sortit de la roseraie et constata qu’elle venait de franchir les limites du territoire en voyant l’oued partir au milieu d’un ravin qu’elle venait juste de découvrir pour la première fois.
Elle eut un frisson froid dans le dos et s’arrêta épuisée et tremblante pour elle et pour son fils.
Personne ne s’est aventuré dans ces parages.

Elle voulait rebrousser chemin,
Mais ! Quelque chose de plus fort, l’incita à continuer sans répit ses recherches.
En s’approchant des roseaux : elle héla de toute ses forces :
__ » Jillaaaaaaaaaaaaaa ! jilla !
__Mon enfant !
__Ou est tu ???
__CHADIA n’a rien !
__Montre toi que je te parle !
__C’est moi !Oum el kheir ta mère chérie !
Mais ! Personne ne répondit à ses appels.

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Les roseaux bruissaient des cris des oiseaux effrayés par Oum el kheir , qui s’envolèrent brusquement à son approche brutale .
Car les lieux sont presque vierges, personne ne venait là.
Elle trouva même des nichées d’oisillons, les becs jaunes ouverts, quémandant la nourriture dans les fourrés.

Maintenant ! c’est archi sur : elle est en danger.
Elle dévala la pente abrupte, conduisant au fond du ravin, là ou s’écoulait l’eau avec bruit.
Elle inspectait le sol avec espoir de trouver des traces.
Voilà ! Des heures entières qui se sont écoulées depuis son départ.
Quand joyeusement surprise !
Elle vit des traces d’herbes écrasées par des pas, et même sur la glaise du bord de l’oued : se dessinaient des empreintes de pieds d’homme de la taille d’un enfant et puis plus rien.
Elle trouva même des débris de roseaux .
Sur ce !
Elle appela de toutes ses forces , croyant à la présence proche de jilla :
« mon fils !__Mon fils ! C’est moi Oum el kheir ta mère __ tu m’entends ??
__Réponds moi!! »
Silence total.

Elle écoutait attentivement, accroupie sur la berge de l’oued, tout au fond du ravin.
Seul le bruit du ruissellement des eaux et quelques cris d’oiseaux au loin se faisaient entendre.

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Les traces arrivaient jusqu’à la rive de l’oued et disparaissaient subitement.
Sur l’autre berge séparée par un torrent d’eau bruyant, elle vit des broussailles et une pente raide de l’autre coté du ravin, pour y arriver, il faut traverser le lit de l’oued à la nage ; les eaux sont tumultueuses et obscures, comme dans une crue d’été.
Oum el kheir ! ne sachant pas nager , eut un doute terrifiant :
_jilla savait ’il nager ?
_A t’il traversé L’oued ?
Elle resta là ! Toute hébétée et tremblante de peur, habitée par mille et mille crainte.
_s’est il noyé ???
Elle revient sur ses pas et se dirigea à une hauteur égale de l’autre berge.
Une fois arrivée, elle mit ses mains en porte voix et appela de toutes ses forces.
«Jilla ! jila!!!!!!! »
le soleil de midi tapait dru sur sa tète.
Ses pieds étaient enflés et en sang, ses robes mouillées et déchirées par les broussailles .
Son enfant a disparu à tout jamais !
Elle s’affaissa par terre et éclata en sanglots, en se frappant les cuisses de douleur.
«il s’est noyé ! il s’est noyé ! »
répétait Oum el kheir comme une folle

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Dans sa fuite !
jilla avait emporté avec lui le sabre magnifique de Sidi , une relique de la tente de la choura (conseil) et l’outre d’eau qu’il a confectionné lui même avec la peau d’une chèvre .
Assis à la turque sur le chiendent qui tapissait la berge de l’oued , il le faisait miroiter aux rayons du soleil ; leur focalisation sur la lame étincelante d’acier , l’aveugla un instant , comme un éclair ,ébloui, il ferma les paupières.
Brusquement, les légendes de son aïeul resurgirent du néant et un monde fabuleux se déroula devant lui ; l’envoûtant complètement jusqu’à oublier son malheureux présent.
Épuisé d’avoir trop couru, il s’abandonna à son rêve.
Il se vit galopant à brides abattues sur un cheval blanc à la tête d’une longue caravane de braves chameliers ; le sabre étincelant brandi d’une main et de l’autre la bride de son cheval ; comme à la charge.
Son cheval qui galopait un moment, s’éleva tout doucement dans les airs, semblait voler sur le sable chaud du désert qu’il traversait depuis une éternité , n’arrivant pas à mettre une fin à son long voyage vers sa lointaine destination .

La caravane qui se dirigeait vers Tombouctou s’envola derrière lui comme par enchantement avec toutes ses bêtes, personnes et ses lourds fardeaux comme si c’étaient des feuilles mortes dans le tourbillon d’une bourrasque.

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L’apparition de cette ville magnifique, pays de l’or et des sabres légendaires, tant désirée semblait éminente.
La caravane entière prit les airs et quitta la piste brûlante et ardue, planant comme un vol de cygnes l’un derrière l’autre.
Laissant à terre, cette piste sinueuse et dangereuse dans le sable trompeur que seuls les guides chevronnés connaissaient, économisant d’un trait toutes les peines d’un lent et épuisant voyage avec ses haltes fatigantes.
Du ciel ! Il vit la ville magique avec ses souks (marchés) pleins de gens de toutes races, grouillant comme des fourmis blanches sous des palmiers verts.
Apercevant même des jeunes filles noires au torse nu avec des seins splendides et fermes, portant sur la tête des fardeaux. Des forgerons avec leurs apprentis, battant le fer rouge des sabres sur une enclume devant leur échoppes d’artisans. Ce qui le frappa d’enthousiasme, c’est la source fraîche et limpide qui ruisselle sous les palmiers chargés de dattes mures et succulentes.
Il voyait tout çà, comme par miracle comme l’ont dit les anciens :
« Une Ville exquise, pure, délicieuse, illustre, cité bénie, plantureuse et animée… »

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Tombouctou la Mystérieuse qui le fascinait toujours ?
Le pays fabuleux !
Mais qui existe aussi dans son imagination est là ; sous les sabots de sa caravane volante.
Même le minaret de sa célèbre mosquée lui est visible à l’orée du Sahara et à quelques encablures du fleuve Niger, Carrefour commercial à l’époque des caravanes, elle fut aussi le siège d’une intense vie intellectuelle.
Une cité aux mœurs contrastées, ses nuits sont libertines imprégnées surtout de plaisir et ses journées pudiques.
Ville de pudeur islamique et de pureté religieuse des sages oulémas et des sciences musulmanes
Jilla croyait aussi aux mythes, bref ! à la poésie saharienne qui autorise toutes les audaces de pensées , enracinées au cœur de tout nomade.
Le vent chaud, maître bruit de la steppe et du désert berçait le songe de Jilla , allongé sur la berge de l’oued.
Son corps étalé au sol et son âme bédouine planant dans le ciel bleu du désert.

à suivre !

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.
L’âme de Jilla entrevit la ville magnifique dans toute sa splendeur.
Quand des croassements d’une nuée de corbeaux, le fit sursauter en le ramenant à sa réalité de misérable fuyard et sa lointaine ville du désert tant désirée disparaît à jamais.
Les couacs couacs stridents des corbeaux charognards qui tournoyaient surement autour d’un cadavre d’une bête morte ,mirent fin au songe de Jilla.
Tout à coup ! Il senti la vraie pesanteur qui le collait sur la berge verdoyante de l’oued.
La masse de son corps l’écrasait au sol de son vrai poids humain bien terrestre , et le ramena à son présent de fugitif , plein de choses si réelles , un moment ignorées : sa fuite dans son malheur , solitaire et sans but entre le sable de la steppe et le soleil ardent .
L’empreinte verdâtre du chiendent maculant sa chemise aux coudes et aux fesses ; en est une preuve qu’il avait rêvé tout bêtement !
Son ferle corps de bédouin ne pouvait voler et que son cheval Bourak
(Cheval mythique ) et sa caravane n’étaient que des mirages.
Seul son sabre soudanais qu’il tenait par son pommeau d’airain , dans sa paume moite , était réel !

à suivre !

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En revenant à ses esprits ! jilla regrettait déjà son rêve magique.
Il comprit que ces douceurs lui étaient interdites.
La ville tant désirée, était à des jours et peut être un mois de marche pour une caravane de chameliers.
Son or, ses armes et ses perles noires nues lui sont inaccessibles à jamais.
Il abdiqua à la réalité et se releva lentement, fit un pas, puis un autre et continua, résigné avec un serrement au cœur sa marche vers l’inconnu.
Abandonnant sa famille, sa tribu et son royaume pour toujours.
Les promesses du Sud ne sont que des mirages du grand désert.
Jilla vira, plein Nord toute !
Des fois un seul geste ravage toute la moisson d’une vie et Jilla s’y soumit contraint à la soudaine fatalité.
Il empoigna son sabre et tournant le dos au désert rutilant et invincible qui engloutissait ses rêves.
Il prit la direction du ravin que creusait l’oued le séparant des montagnes, tout en espérant trouver un gué providentiel pour traverser l’oued.
« En route vers ces montagnes si craintes ,
et advint que pourras ! » se disait il .

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Dans sa recherche d’un gué franchissable de l’oued qui limitait les montages de la steppe ; Jilla savait que les crues brutales d’automne furent déjà passées ; au vu des hautes herbes sauvages et des roseaux verts qui avaient poussé sur les alluvions.
Cet oued , né grande rivière bouillante au pied de la montagne à forte pente dans l’Atlas, se calme dans la steppe pour diminuer en un fin cours d’eau vers l’aval , en s’encaissant dans le sable.
Son débit est très variable suivant ses dépressions et son cours d’eau est souvent instable. Une fois passées, les saisons de crues comme à présent : il est facilement franchissable à certains endroits.
Mais !
Le chemin de JILLA allait à contre courant de l’oued.
Ce qui rendait sa traversée, encore plus difficile . L’oued dont le débit est élevé accéléré par les versants raides, creusait la terre en un ravin profond .
Son lit dépassait facilement la hauteur d’un homme.
Il n’y avait aucun moyen pour le traverser ! que la nage. Et par chance ! Jilla savait nager et c’est dans les basses eaux de cet oued même qu’il apprit avec les gamins quand il était tout jeune enfant de huit ans.

Le Roman Des Nobles Bédouins.
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Cette traversée est un kaléidoscope des différents paysages de la région :
palmeraies de la vallée du Drâa, regs et tamaris aux franges du désert, et bien sûr les grands ergs de l’oued Drâa, au cœur de la plus grande étendue dunaire du Maghreb extrême.
L’itinéraire de jilla longe la berge du Draa , tout en espérant la possibilité de rencontrer des nomades et leurs troupeaux.
Au sud ouest de la région du campement de la tribu des chorfas s’étend l’immense plateau désertique de la Hamada du Drâa.
Au Nord ! c’est le pays de la montagne fascinante.
L’oued Drâa, est une véritable frontière naturelle entre le Sahara et l’Atlas.
il s’apprêtait à entrer dans un univers magique en longeant la vallée du Drâa, et démarras son itinéraire sur un immense plateau désertique parsemé de petites dunettes de sable ocre.
Le paysage laisse progressivement place à un océan de sable…
Lentement , l’étendue de la steppe s’éloigne et au loin , il aperçoit les cimes blanches des montagnes .
Du soleil plein les yeux , il quitta l’étendue désertique par le tracé de l’oued qui mène à la montagne verte qui l’attire comme une sirène , lui le bédouin .

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Le trajet de Jilla fut un longue progression, à la recherche d’un gué sec et son franchissement, en se dirigeant vers les montagnes si craintes.
Au terme d’un long parcours de toute beauté et après avoir longé, la plupart du temps , l’oued , en contrebas par la droite, il arriva là ou le lit de l’oued est élevé et sec !
Il le traversa joyeusement !
Sautillant comme un jeune et robuste mouflon, d’une dalle à l’autre, celles-ci ciselées et façonnée ,en dalles en roc par l’écoulement millénaire des eaux de l’oued mythique du Draa vers l’océan.
En quelques enjambées lestes, il fut sur l’autre berge !
De là ! il aperçut une immense oasis verdoyante, s’étalant largement et barrée de chaque coté par des montagnes majestueuses comme un écrin de marbre gris et jaune.
Ce véritable contraste entre cette vallée paradisiaque qui s’étire à perte de vue en palmeraies aux couleurs chaleureuses et boisées de hauts palmiers chargés d’énormes grappes de dattes et en petits périmètres irrigués ou se rencontrent l’eau et le soleil d’une part et le paysage désertique derrière lui d’autre part , le surpris joyeusement ; fasciné, il se mit à genoux comme pétrifié par un coup de foudre sentimental .

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Tout ébloui ! il vit aussi au loin une chaine de hautes montagnes drapées d’un blanc joyeux et scintillant sous un ciel bleu .
il percevait en contrebas sur une vallée verte , un groupement de maisons aux toitures jaunâtres de la couleur des chaumes .
Que savait ‘ il de ce décor lui le bédouin ?
Habitué aux tentes noires et poussiéreuses de la steppe .
En empruntant le chemin menant au ksar ( village ) , il a l’impression que le temps s’est arrêté.
Avec la douceur du vent du Sud et la paisible mélodie des feuillages verts , sans oublier le mélange de mille et un parfum de plantes qu’il respire à pleins poumons .
Le coup de foudre est immédiat et il se laisse volontiers envoûter par la magie et la poésie que dégage de loin , ce pittoresque et paisible ksar berbère niché dans cette vallée magique .
Il succomba sans résister à l’attrait très particulier de cette région coincée entre les vallées verdoyantes de l’Atlas et la grande steppe aride qu’il venait de quitter !

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Dans son escapade, Jilla découvrit émerveillé le premier Ksar (village) de sa vie saharienne .
Une agglomération de maisons, denses et serrées, aux toits voûtés en chaume superposées sans recherche architecturale, ni fantaisie insultante d’étalage de riches palais , mais avec art et des courettes intérieures en pierres de grès primaire, nues et ajustées , , abritant des écuries ou étables et aussi parfois des jardins potagers protégés et séparés par des haies de figuiers barbaresques délimitant ainsi chaque propriété des lieux.
D’ombrageuses et silencieuses ruelles , désertes pendant la journée facilitaient l’accès et la circulation au milieu de ces denses habitations , adossées sur le flanc dégagé d’un monticule ,religieusement blotties autour d’un blanc minaret , haut et carré surplombant toutes les chaumières , profondément ancrées dans le sol dont elles émergent se confondant avec la montagne .
Le petit village fortifié offrit à Jilla un Beau panorama dont l’azur bleu contraste avec le vert des oliviers et des figuiers.
Dehors, y avait pas âme qui vive !
S’engouffrant dans l’entrée en arc en plein cintre , tout en dissimulant son sabre sous sa abbaya (robe longue).
« Ai-je le droit d’entrer à ce ksar si fermé et si paisible ? pensa craintivement jilla .

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Assis sur une botte d’alfa, au milieu de l’enclos vide des bêtes, Sidi méditait sur son nouveau sort perturbé par la colère éventuelle de sa belle famille et la fuite de son héritier. Cette dernière situation, lui rappela celle identique de son père.
« Ne dit on pas que l’histoire se répète ! » constata Sidi amèrement.
En effet ! La tribu des Chorfas ( nobles ) était juste une misérable tente et un gourbi contenant toute la famille et le cheptel du père de Sidi : le cheikh Cherif.
Au bout de longues et pénibles années et après d’incroyables privations et de dévotion pour la famille et son honneur, la tribu de Si Cherif se multiplia, en se liant avec d’autres tribus fuyardes par le sang dont le moyen naturel était : les mariages de ses sœurs concoctés avec d’autres chefs de tribus.
Le legs que fit Si Cherif à son fils Sidi était un puissant groupement de tribus régnant sur toute la plaine.
A la mort du cheikh Cherif en 1800, Sidi avait presque quarante ans, fort et respecté par tous, il lui succéda sans ambages. Il avait sous ces ordres plus de cinq cents guerriers et son cheptel dépassait aisément les quatre mille neuf cents têtes de moutons, moins d’une Hassa (spectre) celle-ci équivalente à cinq milles têtes.

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Ces souvenirs d’eternels fuyards firent froncer les sourcils broussailleux de Sidi. « Mon fils bien aimé « jilla » aurait il fait le chemin inverse : attiré par les gènes de son sang berbère » se questionna soudain Sidi.
Il se leva précipitamment, sortit de l’enclos et partit vers la tente de la « CHOURA »résolu de réparer avec les siens , l’incident qui s’est déroulé ce jour là
Ses gardes silencieux et immobiles, tels des statues et à l’écart depuis un moment, respectant sa tristesse, lui emboitèrent le pas.
A mi chemin , Sidi le chef supreme de la tribu fit volte face brusquement et ordonna à l’un d’eux .
—«Rejoins le troupeau et dis aux gardiens d’abattre un bélier et ramène le à la tente, je vais convoquer le conseil sur le champs.»
se retourna vers le deuxieme garde en le désignant du doigt.
—« toi ! va chez le berrah (crieur ) et dis lui que le cheikh Sidi ben chérif ben jilla tient une réunion sous la tente de la choura(conseil) et que celle ci est demandée d’urgence par lui avant la sallat du dohor ( mi-journée) .»
—« Et toi! suis moi !» apostropha Sidi , le dernier des gardes qui l’accompagnaient .
Ils s’exécutèrent tels des automates, chacun de son coté, dociles et inquiets.
Car c’est chose rare !
que le cheikh se libèrent de ses propres gardiens.

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Une foule noire de bédouins et de cavaliers entoure et s’amasse devant la tente de la choura . On n’a jamais vu pareil rassemblement que pendant les guerres tribales. Pourtant ! Rien ne semblait l’indiquer, tout le campement vaquait à ses affaires.
Les serviteurs allaient et venaient nonchalants entre les tentes ou les femmes préparent en commun le couscous général d’accueil des hôtes .
Nul ne portait des armes !
Excepté les gardes qui avaient en bandoulière leurs longs fusils à pierre.
Les vieilles femmes filaient leur laine et battaient leur lait devant les tentes entourées de bambins remuants.
En voyant arriver Sidi la foule se scinda en deux pour lui laisser le passage.
Les cavaliers mirent pied à terre et cédèrent les harnais aux serviteurs qui s’empressèrent d’emmener les chevaux vers les enclos.
Ils rejoignirent les autres qui s’engouffraient dans la tente en prenant place sur l’immense tapis rouge et noir déroulé pour la circonstance, après avoir pris soin d’enlever leur chaussure : simples sandales faites de peau de chèvres qui s’amoncelèrent pèle mêle devant le seuil de la tente.
Un grand cercle se forma autour du pivot central de la tente ou était accroché la relique de la tribu : le fameux cimeterre que jilla à emporté avec lui.

à suivre !

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Effectivement, tous les regards étaient fixés sur le poteau dégarni de son trophée.
Ce sacrilège alourdit encore plus la pesanteur qui régnait sous la tente de la choura, généralement sereine.
La rumeur maitresse de la steppe a précédé l’objet de la réunion convoquée d’urgence par le cheikh.
On murmurait à voix basse l’incident de Jilla en attendant stoïquement la prise de parole du chef.
Celui ci, assis à la turque, la tête baissée lisait un livre de récitations coraniques, comme pour banaliser l’ordre du jour qui paraissait extraordinaire.
Son attitude aide à apaiser les inquiétudes lourdement commentées qui planaient sur le campement.
Les conseillers comme à leur habitude s’échangeaient des Salem (salut de paix) et des nouvelles des leurs avec une contenance joviale.
Soudain ! le berrah (crieur) d’une sa voix de stentor brisa ce bourdonnement d’abeilles faits de murmures.
-Ya koum ! (Oh ! gens de la tribu) notre honorable cheikh Sidi ben Chérif ben Jilla vous prie d’écoutez, soyez attentifs à sa parole respectable sous cette tente sacrée, que dieu vous garde et vous protège.
Un silence de plomb s’abattit sur les vénérables conseillers.

à suivre !

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Sidi ajusta son turban, racla sa gorge en toussotant, et balaya d’un regard circulaire toute l’assistance : presque tous les chefs influents des tribus étaient présents, ainsi que le cheikh de la tribu de Chadia , sa jeune épouse , il paraissait calme et d’une mine sereine .
Une aubaine pour Sidi : le père de Chadia : un sournois personnage et frère du cheikh était absent.
La majorité des raiis (chefs) a répondue à sa convocation ! Il reconnu parmi eux ses fidèles et même ses anciens alliés ! La sérénité que dégageaient leurs visages graves, burinés par le froid et le soleil de la steppe, le rassura !
Rien ne semblait ébranler la sagesse de ses nobles bédouins, habitués aux pires affres de la vie du désert !
« Salem alikoum ! (que la paix soit sur vous ! )» salua Sidi d’une voix solennelle .
-« Salem wa rahma ! (paix et bénédiction !) » répondirent en chœur : les membres du mejless (conseil) , assis confortablement sur l’immense tapis rouge et noir , en se redressant avec respect sur leur genoux , les gardes debout devant l’entrée et les serviteurs qui s’arrêtèrent net d’offrir le thé ou de casser les pains de sucre.
A suivre !

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L’intonation chaude de la voix de Sidi résonna comme un gond !
Un silence religieux s’abattit à l’intérieur de l’auguste tente de la choura.
« Oh ! Honorables du mejless (conseil) !
Je vous ai invités, en ce jour béni par Allah , pour une raison vitale pour notre ouma (communauté) ! » annonça Sidi , en levant hautes ses deux mains et croisant fermement ses doigts ornés de bagues en argent , signes de virilité et de puissance .
Les paumes soudées et hissées en l’air par le raiss suprême est un appel urgent à la solidarité et l’union : deux actes fondateurs du monde bédouin et de la steppe !
Ce geste inhabituel du rais (chef suprême) des tribus ! suspend à ses lèvres les conseillers muets et immobiles tels de statues en marbre.
Ils étaient tous à l’écoute et attentifs aux possibles révélations, surement de haute importance, de la bouche officielle du Raiis kebir (chef suprême) pensaient ‘ils tous, en leur for intérieur , espérant la vérité des faits .

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Sidi, fin diplomate et sachant d’instinct l’habileté de ses gens dans le dépistage des traces d’animaux ou empreintes humaines en genre et âge , déclara :
« ya ahl sahra (gens du désert) ! Votre émir (prince) jilla ! Croyant avoir commis un acte répréhensible et fuir ma justice est introuvable dans les parages d’après sa mère : Lalla ( honorable) Om keltoum à qui j’ ai ordonner de le ramener .
Je vous demande de désigner les meilleurs pisteurs pour le trouver ! »
Le chef de la tribu de Chadia mit fin aux murmures grandissant qui brisèrent le silence exigé du conseil en levant sa main .
–« La parole est à vous cheikh Abou mokdad ! » acquiesça Sidi .
–« Merci ! notre honorable et respecté grand Zaim ! ma tribu vous propose le meilleur des guides et ce sera : notre tae’lab sahra (renard du désert ) . » répondit Si abou Mokdad en désignant un vieux noir , assis à l’écart de l’assemblée , sirotant son thé .
Celui-ci , surpris , s’exécuta en se levant et saluant le chef en joignant ses mains noires décharnées sur sa poitrine couverte d’une abbaya (robe) blanche , son bras gauche était couvert jusqu’au poignet d’un gant en cuir clouté de rivets dorés , perçus de loin que par l’œil des éperviers .
De la main , Abou Mokdad ordonna au vieux pisteur de s’asseoir et se retourna vers Sidi :
–« Notre renard ira le chercher et in chaa allah ( si dieu le veux ) , le trouver et le ramener sain et sauf devant vous honorable Sidi ! »
–« Vous avez mon entière solidarité et ma soumission en votre justice et nos codes d’honneurs ! la décision revient maintenant au conseil d’approuver ou décliner mon offre , en lui rappelant juste le rang de jilla : c’est le prince bien aimé de toutes nos tribus içi réunies sous votre autorité » termina Abou Mokdad .»

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Sidi comprit que le cheikh Abou mokdad est au courant des détails de l’incident de Jilla et pourquoi le père de Chadia est absent !
Que son concours à la recherche de jilla n’est ni spontané , ni total et que chez les tribus et les clans quand l’heure est grave , la colère et les rancœurs sont tues pour d’éventuels marchandages de pans de pouvoir ou autres profits .
Sidi approuva d’un hochement de tète et ordonna :
« que ceux qui ne sont pas d’accord se lèvent et s’expliquent ? »
Nul ne broncha , la décision fut validée à l’unanimité !
Soulagé , Sidi clôtura la discussion en tapant des mains et s’exclama d’une voie haute et hospitalière :
–« Honorables raiis ! vous étes mes invités , ma tente est la votre !. »
–« que le taam ( couscous traditionnel ) soit servi à tous ! » ! ordonna t’il à ses serviteurs et sorti de la tente .

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Jilla hésita à traverser l’entrée voutée et eu une idée de mouhareb (guerrier):
« et si je contourne de l’extérieur ce bloc hostile et inconnu, de maisons accolées à la montagne et grimper à son sommet ? Ainsi ! je pourrais avoir une vue dominante sur tout le ksar ! » se dit il.
Puis il renonça à la mettre en œuvre ,
Jilla sur ses gardes et avec prudence , pénétra dans le ksar, celui ci est désert et silencieux comme un vieux cimetière, seules ses sandales en peau de chameau crissaient sur le pavé fait de galets carrés en roc.
Impressionné par la hauteur des murs en pierres, qui semblaient l’encercler, il avança lentement vers une ruelle sombre qui déboucha sur vaste enclos entouré de maisons en terre ocre
Oh bonheur ! il vit des dromadaires couchés sans harnais sur le sol pierreux et des nomades assis un peu à l’écart des bêtes et des fardeaux de colis .
« Est-ce un caravansérail ? » s’interrogea jilla , lui qui n’avait jamais vu un , mais juste entendu lors des discussions des chefs que Sidi accueillait sous sa tente lors leur halte ,
Ces rais conduisaient souvent leur caravanes sur l’axe toumbouctou vers zagora en pays berbère.
La curiosité de mieux connaitre un caravansérail dissipa les craintes de jilla qui entrepris d’aborder un groupe de nomades qui entourait un trépied couvant des braises et sur lequel bouillait un berad ( théière ) en cuivre rouge norci .
Assis sur une natte d’alfa , un homme noir cassait avec un petit pilon un énorme pain de sucre , ses compagnons tout en blanc , turbans et abbaya ( robes) allongés sur le coté discutaient entre eux !

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L’un des nomades, surement leur chef, voyant jilla se diriger eux, se leva et l’accueilli en répétant avec hospitalité.
–« ya m’rhba ! ya m’rhba ! (soit la bienvenue ! »« Venez boire le thé d’amitié parmi nous ! » dit il en désignant une place dans le cercle.
–« Salam alikoum ! répondit jilla qui s’arrêta à distance d’homme en demandant gentiment à son hôte .
– « akh arab ! (frère) had kafila (cette caravane) vient ou part vers Toumbouctou ? »
Tout le groupe éclata de rire, même le vieux noir qui préparait le thé !
Jilla vexé se braqua, mettant sa main sur le pommeau de son sabre dissimulé sous sa robe !
A ce geste ! Les nomades se turent, se levèrent et dévisagèrent l’étranger.
Celui-ci était robuste, de taille imposante, malgré sa jeunesse, un visage noble avec des traits fins, de grands yeux, un nez aquilin et une chevelure noire et épaisse lui tombant sur ses larges épaules.
Ce qui les intriguait , c’est sa abbaya froissée et immaculée et ses sandales et ses pieds poussiéreux ,surtout ! sa main serrant un objet sous sa abbaya .
L’homme qui a invité jilla, souri et s’avança vers lui, les bras ouverts , réitérant son invitation.
–« laa tekhaf ya akh arab! (n’aie crainte frère! )
Assieds toi et repose toi ! on t’expliquera ! tu es en paix avec tes frères ! ajouta l’hote en ordonnant de la main aux autres de s’asseoir.
- Nous sommes tes frères , nous venons du Soudan et regagnant l’Andalousie ! et Toumbouctou n’était qu’une halte dans un de ses caravansérail comme celui de Zagora maintenant ! » expliqua , debout devant jilla , le chef de la caravane .

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–« Ana Mansour ! raiis kafila hadi (Je suis le chef de cette caravane) m’rhaba bik ! » se présenta l’interlocuteur.
–« Ana ( moi) jilla ben Sidi ben Si Cherif d’oued Draa ! » répliqua jilla .
–« m’rhaba ! ahlen wa sahlen ! répondit en cœur et souriant le cercle de nomades.Le vieux noir se leva et lui tend un verre fin et brulant de thé mousseux sentant le chih pur.
Jilla mis en confiance, prit la place offerte et dégagea son sabre et le mit sur ses jambes croisées à l’indienne.
–« Si Mansour ! Décrit moi ce qu’est une caravane et parlez moi de toumbouctou ? » pria jilla .
–« Tu veux connaitre ce métier du désert et cette ville mystérieuse ? »
–« bois ce thé et écoute cette triste Mélopée ! H’mida est aussi un poète ! » Conseilla Si mansour et fit signe au vieux serviteur noir de s’exécuter.
Ce dernier sortit son gombri (instrument musical tergui) d’une malle posée à ses cotés et entama, en arabe, une mélodie monotone et mélancolique.

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Si ahmed , le vieux serviteur , en véritable maalem (artiste) entama un merveilleux et chaleureux malhoum (poésie arabe) tout en faisant vibrer avec ses doigts noirs les trois cordes en boyou de chévres de son gombri (luth soudanais) . Les nomades et jilla écoutaient religieusement l’odyssée chantée des caravaniers , tout en savourant leur thé, oubliant leur dure journée.
Des bruits de pas sur le pavé rocailleux et des cliquetis de clés les fait sortir de leur torpeur.
Deux hommes en burnous rouge et blanc s’approchaient d’eux !
–« C’est le makhezni du foudouk (régisseur) et son katib (secrétaire) , averti en habitué Si Mansour tout en farfouillant dans sa sacoche pendue à son cou et ordonna à jilla et au groupe de rester assis .
En effet ! avant le coucher du soleil ou la tombée de la nuit, le régisseur vient au foundok avec son secrétaire et écrit les noms de tous les voyageurs qui y passeront la nuit, le scelle et verrouille la porte du foundok .
–« je m’en occupe !) dit il en brandissant un pli roulé jaunâtre.
Le passe-avant est un sésame aux caravansérails construits dans les ksars, villes ou dans la campagne et le long des routes du désert sur tout l’axe Tombouctou et Corral del Carbón à gharnata (Grenade) en Andalousie musulmane.
Ce pli est remis aux raiis de caravanes agrées.
Ayant fini son inspection et consigné les informations de l’autorisation dans le registre, , le makhazni curieux osa une question sournoise :
« y a-t-il un étranger parmi vous ? »

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L’homme en burnous rouge et coiffé d’un chèche bleu serti d’un insigne doré et qui tenait un trousseau de clefs , salua et demanda à Si mansour qui s’est levé pour les recevoir :

« –Azul ! vous êtes le rais de la kafila questionna t’il en berbère ? »
Si Mansour affirma en hochant la tète.
« –Votre passe-avant svp ! » Ordonna l’autre en burnous blanc et tète nue et tenant un grand registre couvert de cuir d’une main et d’un encrier en porcelaine blanche d’où dépassait une plume d’autruche, de l’autre.
Le raiis lui tend le pli roulé.
« ten mirth ! (merci !) »
dit le kateb en blanc en prenant le pli et le déroulant sur le registre paraphé après avoir posé son encrier sur le sol sous l’œil vigilant du makhezni (régisseur) en burnous rouge !
Celui-ci est un moukalef (chargé ) du waqf (accord protégé qui donnait à certains immeubles et revenus le statut de dotations garanties par la loi islamique ) d’où le caravansérail qui est la propriété waqf du ksar .
S’occupant de sa sécurité en ses intérieur et extérieur, de sa gestion, contrôle des étrangers et du bon fonctionnement de l’enclos, surtout encaissements des locations du gite des personnes et leurs bêtes de somme s’arrêtant généralement pour se reposer dans la wakala et prélèvements des taxes, impôts et droits, aidé par un secrétaire, sous l’autorité directe de l’émir du ksar.

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Si mansour le raiis de la caravane , instruit de sa faible position sociale d’obscur raiis de kafila envers le makhzen ,hésita un moment , et avoua en chleuh ( berbére ) au régisseur :
« Ayii Sidi ( oui monsieur ) ! ce jeune bédouin arabe est venu se joindre à nous , dénonçant du doigt jilla .
Ce dernier se voyant désigné , se leva en empoignant son sabre .
Le régisseur surpris , apostropha autoritaire ,en arabe dialectal , l’intru :
« qui est tu et d’où tu viens ya chaab el arab (oh jeune arabe !) ? »
« Je suis jilla ben Sidi ben cherif de tafilalet et je viens d’au-delà d’oued draa ! » répondit hautain le jeune bédouin.
A cette réponse ! le régisseur fit une courbette de son burnous rouge et demanda d’une voix atténuée :
« Oh noble idrissi ! que faites vous parmi aama (les gens) !
Soyez la bienvenue !
veuillez me suivre à la maison du naqîb ( chargé de la vérification des généalogies chérifiennes) du ksar ! »
La volte face du makhazni , soulagea le chef de la caravane et le cercle des nomades s’écarta avec respect , devant leur inconnu invité , le mettant face au régisseur et son employé .
Jilla rejoignit et suivi ses derniers qui quittèrent la kafala ( caravansérail ) , au loin , on entendait la voix douce de l’adan ( l’appel de prière ) du .maghreb (crépuscule) .
A suivre

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S’avançant l’un derrière l’autre dans une ruelle assombrie par le crépuscule , le makhezni , son secrétaire et jilla , après plusieurs détours , débouchèrent sur une vaste cour ornée d’un grand bassin en marbre blanc d’où fusait un jet d’eau qui enchanta les yeux de ce dernier !
Ils s’arrêtèrent devant une porte en bois , somptueuse et décorée de clous dorés !
Le makhazni y frappa deux coups et descendit d’un dégré du perron orné de deux vases fleuris de chaque coté.
Jilla promena autour de lui un regard hébété, envouté par les lieux.
La porte s’ouvrit lentement et il aperçut par son entrebâillement une tête blonde, un œil vert, un sein gonflé et un pied de femme, chaussé d’un fin soulier, au bas d’une robe de soie d’une blancheur éclatante.
Il recula d’un pas, séduit et honteux, ne sachant que faire : rester ou fuir ?
Le secrétaire du makhazni , remarqua son recul , le retint du bras , tout en souriant :
« Entre oh noble émir ( prince) ! c’est la fille du nadir , amira ( princesse ) zahra ! » tu es parmi les tiens ! »
Jilla penaud se laissa entrainer. à l’intérieur du palais.
La jeune femme qui a ouvert la porte, la ferma , tout en glissant un regard furtif vers l’inconnu embarrassé et s’esquiva vers un escalier qu’elle escalada allégrement dans un froissement de soie, les laissant tous les trois , debout , au milieu d’une spacieuse salle d’entrée .
Le cœur de jilla battait la chamade, ses jambes faillirent l’abandonner si ce n’est la voix hospitalière et ferme d’un vieux monsieur en robe de chambre qui descendait lentement de ce même escalier :
« salam alikoum ! ( la paix soit sur vous ) ! »
—ya merhaba be douyouf kiram ( soyez la bienvenue ! oh illustres invités ) ! dit il, tout en ajoutant en un arabe chatié à l’adresse du makhzni , immobile un pan de son burnous rouge sur la bras :
« que me vaux l’honneur de votre visite ? Oh honorable régisseur !
C’est l’heure de la prière du moghreb (crépuscule ! ».

A suivre !

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S’arrêtant à la dernière marche en marbre,
le nadir et responsable de la kafala (caravansérail) fixa d’un regard calme et scrutateur les yeux étincelants de jilla
vêtu de sa longue abbaya (robe) blanche maculée de taches jaunâtres et ses longs cheveux épars sur ses épaules !
En connaisseur averti, il remarqua aussi l’antique fourreau du cimeterre que tenait le jeune homme d’une main ferme.
Il se tourna vers le régisseur et lui demanda d’une voix hautaine :
« – Qui est ce ghoulam (jeune) armé chez moi ? »
-Qu’a-t-il fait ? ».
« -C’est un émir (prince) de la tribu idrissite de l’au-delà d’oued draa que nous avons trouvé parmi les caravaniers venant du soudan ! »
s’empressa d’expliquer, le makhazni !
Le nadir dévisagea de nouveau jilla et lui dit d’un air conciliant :
« – Soyez la bienvenue ! parmi votre achira (confrérie) noble émir !
–je suis Si Nasser ! nadir de notre illustre et vénéré sultan
Moulay Slimane et ma demeure est la votre ! »
Il tapa des mains et deux jumeaux de khoudam (serviteurs) apparurent, comme par enchantement d’un rideau mauve, d’une porte donnant sur la salle d’accueil et accoururent vers lui.
« qu’on donne à laver et une tunique propre à mon honorable hôte, ordonna t’il en désignant Jilla .
Les serviteurs muets et dociles firent signe de la main à Jilla de les suivre vers la porte de leur apparition.
« Vous pouvez partir et merci pour votre service ! »
dit-il en congédiant le régisseur et son secrétaire tout en s’excusant auprès de jilla !
« C’est l’heure de la prière du moghrib (crépuscule) ! –Vous êtes mon invité ce soir, honorable émir !
–Suivez mes khoudam !! On se reverra au souper ! »
« Merci honorable nadir ! Que Dieu vous protège »
dit jilla en courbant l’échine respectueusement, imitant le makhazni et son secrétaire,
qui quittèrent le palais laissant jilla en bonne main
chez le nadir qui montait doucement
en s’agrippant à la rampe en fer forgé de l’escalier !

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Le jeune bédouin escorté par les deux serviteurs dont la ressemblance est troublante : on dirait une gousse noire de fève soudanaise coupée en deux, s’engagèrent dans un corridor menant à deux portes, l’une face à l’autre .
L’un ouvrit celle de droite : une salle d’eau et l’autre celle de gauche : un cagibi.
Le premier lui dit en arabe :
« Sidi ! entrez, içi il y a tout ce qu’il faut pour votre toilette : savon , ambar et mesk (parfum) serviette et drap de bain , je vais remplir le bassin avec de l’eau chaude ! »
Son sosie montra le cagibi en disant :
« et içi Sidi ! Choisissez l’habit qui convient à votre taille !
Une fois finie ! Tapez des mains ! Nous viendrons à votre aide ! »
Sur ce !
Les khoudam refermèrent les portes et s’en allèrent, abandonnant à son aise jilla , complètement abasourdi de ce qu’il lui arrivait .
Il entra dans la salle d’eau éclairée par la lumière d’un quinquet à huile accroché au mur face à la porte, surmontant un grand miroir, et surprise !
Celui-ci lui renvoya fidèlement son image :
Le regard dur des yeux cernés, les cheveux ébouriffés et la robe toute froissée et sale l’incommodèrent, à tel point qui hésita une fraction de seconde avant de se reconnaitre !
Son incident avec sa belle mère, sa fuite, son long périple et ses étranges découvertes ont défait sa mine et altérer ses traits pourtant nobles, sans son sabre, il avait l’air d’un vagabond ou d’un fuyard !

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Il se détesta d’être ainsi et un énorme doute l’envahi :
« –Quelle impression a-t-elle de moi, la belle et charmante zahra ? »
–Est-ce que son éclipse dans l’escalier est une répulsion ou un signe de pudeur ?
–Si nasser le nadir lui a offert l’hospitalité par respect à son rang ou par curiosité ? »
Tant de questions bouleversaient son for intérieur !
Des coups frappés à la porte en bois encore ouverte le tirèrent de sa torpeur !
Un des jumeaux, tenant un seau d’eau fumante, demanda la permission d’entrer suivi de l’autre serviteur, jilla s’écarta de leur passage.
Avant de verser son seau en fer blanc dans un bassin rectangulaire et profond d’un mètre dont deux parois sont incrustées à l’angle de la salle d’eau aux murs et plafond, revêtus de jolis carreaux de céramique blanche , il ouvrit un gros robinet en cuivre jaune d’où jaillit un flot limpide emplissant le bassin dont le fond était aussi blanc .
D’un doigt fin et noir, le serviteur testa la température du bain, en souriant à jilla en levant son pouce :
« Votre bain est prêt honorable prince ! Fermez la porte derrière moi !» dit-il en sortant.

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Si Nasser le nadir , ayant accompli sa prière , resta accroupi , méditant sur la venue de ce jeune prince .
« –Est ce un secret émissaire des chorafa ?
le fourreau antique de son sabre en est une preuve : sauf eux ont une telle relique d’armoirie.
« –ou un espion des mounafikines ( hypocrites) wlad blad
( notables musulmans descendants de juifs)
ou des khawana ( fraudeurs) oulama ( docteur de la foi) des zaouias sous les traits d’un vagabond ?
Au vu de son statut et son sang de chérif , c’est à lui de parer à leur ignoble infiltration .
La fitna ( discorde ) , suite aux fréquentes rébellions de leur rumat ( milices armées) parmi la amma ( population arabe et berbère)
y régnait dans le royaume de ses ancêtres idrissides , affaiblissant dangereusement le pouvoir central du sultan alaouite Moulay Slimane qui a épousé et voulant imposé la bidaa (nouvelle doctrine) du hedjaz ( wahabisme) .
Sa lettre à la ouma (nation) faisant appel au hak ( droit)
et au chra’a ( justice ) fut détruite et remplacée par une fausse missive par le mufti félon de Fez et sa clique de chahadines zor ( faux témoins) .
ils demandèrent son abdication et sa subtitution parmi les gens du ilm (savoir) ou du hurm (inviolabilité) et de la baraka (grâce) des zaouias versées dans le mysticisme par leur Sainteté et savoir religieux donnant un net avantage sur les chourafâ .
ils voulaient s’arroger un rôle supérieur dans la vie économique, intellectuelle et politique du royaume .
Surtout par la détention de chaires professorales, fonctionnaires des habous, imams, khatîb des mosquées .
Si Nasser se sourit à lui même , se remémorant le dicton de ses aïeux :
« Quand la fitna s’installe , faites vos prières chez vous ! » .
Il se releva et se dirigea vers sa bibliothèque , chargée de vieux manuscrits et livres anciens .
il chercha le livre sacré de la khachba ( branche) généalogique des chourafa pour le consulter et vérifier les dires de son énigmatique invité , ramené par les makhazni à son palais

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Dans la salle d’eau , Jilla laissa tomber sa abbaya , sur le carrelage blanc et vert fait avec une superbe céramique verte obtenue par un mélange subtil de k’hôl et de silice.
, et la regarda un moment avant de l’écarter du pied .
L’abbaya de jilla était un vêtement filalien (de tafilalet- du draa-) rudimentaire , fait d’une seule pièce de drap en laine, longue de dix ou douze coudées, large de trois ou quatre, sans teinte et sans couture est une preuve d’ une communauté vivant en autarcie dans la steppe du Draa uniquement accessible aux seuls bédouins , hors de trig ( route) du sultan reliant Marrakech et Tombouctou .
« ya Allah !
-J’ai l’air d’un gardien de chèvres ! »
se dit il en pensant aux burnous multicolores et turbans ornés des makhazni et du Sil’ham (robe d’intérieur) du Nadir .
« Peut être même je sens le bouc ! »
s’inquiéta t’il en se glissant nu dans le bain chaud et agréable , tout en remerciant Dieu , que la amira zahra l’a évité de sitôt.
Il se délecta avec plaisir de cette eau chaude , limpide et abondante ; si rare dans sa lointaine et aride steppe !
L’odeur subtile et parfumée du savon emplissait l’air de la salle d’eau et adoucit les pensées de jilla déjà entamées pour devenir plus favorables à paraitre plus propre et plus beau .
Tel un chat , Jilla s’activa à faire une toilette plus soignée de son corps et la finir par des ablutions religieuses pour se purifier intérieurement .

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Ayant fini sa toilette , jilla se couvrit de deux draps et entra dans l’autre pièce servant de garde-robe ! il eut l’embarras du choix , sur deux étagères étaient soigneusement rangées des piles de vêtements .
Sur celle d’en haut : des chemises , des chèches de toutes couleurs, du bleu des touaregs au blanc des nobles bédouins ou jaune abhorré par les explorateurs roumi ( infidèle) du désert , des abbaya et des razza ( turbans ) .
Et sur la seconde : des saroual (pantalons) bouffants , des djellaba , des kabott (capes longues) et des paletots (manteaux) et des tuniques de serviteurs .
Et en dessous des étagères garnies : il y avait des paires de chaussures : des pantoufles plates, étroites et sans talon , des sandales en cuir .et des blighas ( babouches jaunes ) alignés sur le sol .
il reconnu ces bligha des ahl blad (notables) qui piétinaient hautains le tapis sacré de la tente du medjeless quand Sidi les recevait les jours d’Aïd (fête) , elles étaient fabriqués par les cordonniers juifs nomades du tafilat .
il les écarta avec mépris de la main et choisit une sandale de cuir qu’il mit de coté .
indécis ! il pensa à Oum el kheir :
« que dira Maa ? ( ma mère) en voyant son fils drapé d’un kabott et portant un pantalan bouffi de mzabi et une bligha ? »
il enfila une chemise longue , ouverte au cou ,savamment couturé en une seule piéce et mit dessus une djellaba jaune rayée de blanc , tout en enroulant une razza de six coudées sur la tête et se chaussa des sandales qu’il a choisi .
il fit quelques pas vers la salle d’eau pour l’essayer et là ! le miroir approuva son accoutrement , il sautilla de fierté : il vit un vrai et jaloux filali en face lui .

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La garde robe est la preuve concrète des mutations vestimentaires des arabes des oasis et des berbères de l’atlas maghrébin , souvent jaloux de leur us et coutumes au début du XVIII siècle .
En effet le troc des cotonnade , mousseline et caoutchouc des roumis venant des mers et d’algérie ottomane par tafilalet sur la trig (route) impériale se déversait sur tout le pays .
Ces produits étaient distribués à bas pris au profit de la laine .
Méme les métiers traditionnels et artisanaux locaux qui découlaient de la laine et des peaux de mouton en pâtirent !
Celles-ci , jadis matières premières de tout le blad (pays) ghanem (moutons) se vendait à la bascule et chargée dans les bateaux roumi , elle est expédiée en terre infidèle ou florissaient leur industrie de coton et manufactures de chaussures et prêt à porté comme le kabott ( capote espagnole) .
D’où la question ! Comment paraitre dignement ? tiraillait jilla .
Seul un œil expert et habitué pouvait l’aider .
« Qui va me conseiller dans ma décision finale ! » –le serviteur et son sosie , pardi ! » se dit Jilla en tapant des mains imitant le maitre du palais .
L’un d’eux surgit du bout du corridor et s’avança vers lui en souriant , les bras levés .
« Oh noble émir ! les habits vous sied à merveille ! — veuillez me suivre ! l’honorable Nadir vous attends pour le souper ! » .
A cette joyeuse invitation comme approbation , Jilla , son doute dissipé , comprit qu’il a réussi dans son choix et que maintenant ! il a l’allure respectable avec ses nouveaux habits en coton , exceptée la jalaba en laine fine , sa razza (coiffe) en mousseline et ses sandale en cuir tanné .

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Le khadem emmena jilla à la Dar Dyafa ( salle des invités ) du Nadir situé à l’étage privé ! Il emprunta l’escalier derrière le serviteur , c’était la 1ére fois de sa vie qu’il grimpait un escalier !
Celui-ci débouchait sur un vaste couloir , revêtu , sur une hauteur d’homme , de céramique à motifs multiples et éclairé par deux grands quinquets à huile accrochés de chaque coté des murs .
Une lumière se dégageait d’une de ses deux portes , donnant face à face sur le couloir en son milieu .
Le serviteur y pénétra un instant et réapparut pour l’inviter ,de la main, à y pénétrer .
Jilla marchant comme sur des œufs et obéissant , se dressa devant la porte le cœur battant .
Le nadir et son épouse semblaient l’attendre , assis chacun sur une banquette d’un salon traditionnel en velours , encadrant une table basse, couverte d’une nappe en lin blanche à tarz (broderie) fassi et posés dessus , quatre assiettes et bols en terre cuite ! Au milieu trônaient un grand tajine surmonté d’une couverture conique , peint à la main, et une grande soupière couverte de la même matière .
« Salam alikoum ! » salua jilla .« Salam wa rahma ! (paix et miséricorde !) » répondit le nadir d’une voix chaleureuse, agréablement surpris ,par les nouveaux habits de jilla .
« –Asseyez vous prés de moi ! noble filali » dit il en l’invitant à prendre place sur la banquette à ses cotés

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Le notable était coiffé d’un bonnet pointu de feutre rouge autour duquel est enroulé un turban blanc en mousseline et habillé d’un sil’ham doré , son épouse souriante , d’un certain âge , couverte d’un large izar ( large fichu) rose à motifs , émis d’une voix douce ,en baissant les yeux, un hospitalier : « mer’hba ! (bienvenue !) » presque inaudible tout en rajustant son kaftan sur ses genoux .
A cet instant l’amîra Zahra ! apparut portant un châle transparent en soie à motifs, couvrant sa tète blonde et ses épaules nues , sur une robe jaune de chrome en satin à petites manches bouffantes . Un corsé cintrait sa taille et soutenait comme un écrin , sa belle poitrine et descendant amplement en jupe plissée jusqu’aux chevilles.
Jilla ne sachant que faire ! voulant se lever ou rester immobile !
La main du nadir sur son genou le sauva : « t’inquiète noble amir ! c’est notre fille la princesse zahra ! » affirma paternellement l’hôte .
Les deux jeunes gens se regardèrent , pendant une seconde , qui semblait une éternité !
Elle prit place auprès de la maitresse de maison en marmonnant un : « mer’hba ! » confus sous son nez , en posant un moment ,sa tête sur l’épaule de sa mère et se redressa droite assise devant jilla . Rien n’échappa pas à l’œil de jilla , paraissant figé et respectueux , en cachant ses yeux avec ses mains , sous le prétexte d’arranger sa razza .
Si Nasser , tapa des mains et une vieille servante noire drapée de blanc surgit de la porte !
« Naam Sidi ! » demanda t’elle .
« Sers nous la hrira ( soupe ) notre invité et nous ,mourront de faim ! » ordonna t’il en remettant à sa place , le bol renversé , sur son assiette et le bol sur celle devant jilla .

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Le nez dans sa chaude et piquante hrira , qu’il dégustait à petite cuillerée , Jilla écoutait religieusement Si nasser .
Celui-ci dissertait sur le ksar et les environs qu’il administrait en tant que Nadir et hakem (gouverneur) du sultan Slimane .
En effet ! le ksar des M’hamid est le dernier village rattaché à la dernière ville du royaume alaouite dans le désert qui est Zagora !

Au Sud d’oued Draa C’est le Draa-tafilalet , fief des tribus éparses des nobles bédouins Idrissides ou elles vivaient en autarcie , loin et indépendantes du pouvoir central et de la piste des caravanes .

Pour elles , le ksar des M’hamid est la porte du royaume actuel .
Le ksar est un grand carrefour caravanier datant de l’époque Saadienne .
D’où la parfaite connaissance du désert, des pistes, de l’art de le parcourir en toute sécurité de ses pisteurs et guides .
Son caravansérail apportait des revenus financiers considérables au makhzen local .
Son origine est très ancienne, même historique , au XVIème siècle,
La palmeraie du ksar des Mhamid fut le point de rassemblements des moudjahidines saadiens qui se lancèrent à la conquête de Tombouctou avec Ahmed El Mansour(1529-1654) à leur têtes.
Au Nord du ksar à quelque jour de marche à pied se trouve une oasis Tamegroute fief d’une corporation de potiers , la plus ancienne du Makhzen qui existe depuis le XVIème siècle : on y fabriquait une céramique exceptionnelle .
C’est dans cette oasis que se trouve la célèbre école coranique de la Zaouïa Naciria qui fut fondée au XVIIème siècle par le Marabout Ahmed Naciri dont la bibliothèque renferme près de 4000 manuscrits et quelques trésors, comme un ouvrage de Pythagore traduit en arabe et des exemplaires du saint Coran du XIIIème siècle. « Bizarre ! dans la steppe , il n’y avait pas de zaouia qui comporte tout un complexe :une mosquée, une école avec des salles réservées : à l’étude , à la méditation et à l’ accueil des malades, pèlerins et pauvres et qui y trouvent literie et nourriture.

« Chaque tribu avait sa mosquée dédiée uniquement à Allah et ouverte à tous sans clergé , ni imamat et surtout sans idolâtrie , l’office est exécuté par le chef de tribu ou à défaut par le plus âgé des fidèles présents lors de la prière . »
pensa jilla , lorsque si Nasser faisait l’apologie de celle de Tamegroute .

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Lorsque le nadir critiqua sévèrement le fils de son marabout qui la dirige actuellement ?

jilla osa demander . « Qu’a t’l fait ce prétendant à la Sainteté ? ».

« il organise des moussem ( célébrations mortuaires) sur la tombe de son père ! –malgré la fetwa d’interdiction d’idolâtrie de notre vénérable sultan tout en préchant la fitna parmi ses mourridine (adeptes) de ne pas obéir au sultan qu’il traite de déviationniste ! » répondit Si Nasser , d’une voix sentant une colère comprimée.

« Tout homme , aussi saint soit il ! une fois mort , emporte avec lui ses bonnes ou mauvaises actions ! » dit jilla pour approuver la colère de Si Nasser .
Ses hôtes arrêtèrent de manger et le regardaient ,sauf l’Amira zahra qui esquissa un sourire !

« Ai-je dit une bourde ? » douta un instant jilla .
« Bravo fils ! t’es vraiment un noble idrissi ! » s’exclama Si Nasser , en lui tapotant avec douceur le dos .

« Finie ta hrira ! laissons de coté les charlatans et leur méfaits , je ne désire pas gâcher le plaisir de recevoir l’un des nôtres ! »
« Ouf ! merci Allah ! » souffla en lui même jilla .

Emu par le sourire de lala zahra , le silence de la maitresse de maison et les dires de son hôte, il replongea sa cuillère dans sa hrira et se tut , troublé .
Il n’osa plus lever les yeux , de peur de croiser leur regard : car son cœur battait plus vite que d’habitude .
Fin connaisseur de la pudeur bédouine et pour détendre l’atmosphère , Si nasser claqua des mains une seconde fois et dit à l’adresse de jilla !
« arrête de remuer ta soupe ! elle s’est refroidit ! »
Et à la vieille khadem noire qui s’est présentée : « m’barka ! sert le tajine pour notre honorable prince ! »

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Le souper fini , Si nasser invita jilla à passer à la bibliothèque pendant que les dames préparer la rituelle boisson du Sud , le thé chaud à la menthe fraîche , comme le veut la tradition bédouine .
Le nadir ouvrit le livre de la khachba ( branche) généalogique qu’il a consulté et déposé sur la table aprés la prière du maghreb , tout en invitant jilla à prendre place sur l’autre chaise , en face de la sienne .
« ce livre contient toute des informations détaillées sur tout le lignage chérifien de Idriss 1er à ce jour ! » déclara le Nadir en s’asseyant.
Tout en ajoutant respectueusement à l’adresse de jilla !
« Tes aieux , nobles et valeureux combattants de la foi y ont une place privilégiée !
–De Sidi yahia boutabout à votre grand pére Si Chérif !
–Votre premier aieul :SIDI YAHIA boutabout (1460-1510) :
brilla dans la défense de GHARNATA (grenade ) Lors de son siege , Il avait 32 ans , pendant le repli , il se maria avec une princesse andalouse et eu un enfant ; BOUTABOUT .
dix ans plus tard ; il mourut en martyr dans la guerre d’unification des derniers rais (chefs) des taifas renégates.
L’émir BOUTABOUT (1504-1565) chef de guerre sainte en partant du sud , participa à la libération des villes des hautes plaines et sur les cotes occupées par les gens de la mer (portugais et espagnols) en 1541 .
Il a mème exercé des fonctions administratives et juridiques dans la capitale fondée par ses ancêtres: une ville du SUD du magheb extreme (TAROUDANT).le fils de ce dernier :
–L’émir YAHIA -Chérif ( le noble ) (1560-1614) :
qui avait 21 ans lanca des colonnes vers les oasis du TOUAT en 1581 sur Toumbouctou et Gao vers l’or du Soudan ( sénégal ,mauritanie et mali d’aujourd’hui).
Dix plus tard , à 31 ans , il participa à l’expédition du pacha DJOUDER en 1591 qui a ramené à la tribu des esclaves noirs , de l’ivoire et de l’or.
C’est sous ses ordres que les caravanes reprirent le chemin du Soudan.
Son fils : JILLA ould cherif (1600-1664) mourut à 64 ans dans une expédition vers les hautes terres , comme son fils MOHAND BEN JILLA (1662-1717) qui mourut lui aussi dans une autre expédition et laissant sa famille , sa femme et ses enfants : un garçon et quatre filles dans les montagnes .
Ce garçon était : SI CHERIF BEN MOHAND (1705-1800) , qui est le pére de SIDI et votre grand père vénéré ! ».

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A cet instant, Lalla zahra couverte d’un châle sur les épaules à moitié nues, entra et posa, sur la table qui séparait Si nasser et jilla , un plateau argenté chargé d’un service à thé : une théière en cuivre jaune et de deux petits verres de cristal fin , enluminés de dorures .
Lalla zahra se rapprocha du coté de son père et remplit les deux verres, tout en souriant à jilla qui regardait sa main verser avec grâce un thé mousseux et fumant.
Si Nasser fit une pause , attendant que sa fille quitte la bibliothèque , et poursuit la lecture des faits historiques inscrits sur le registre .
–Votre grand père SI CHERIF BEN MOHAND eut une longue vie : presque un siècle de dévouement pour sa famille et la tribu décimée par la guerre sainte et c’était lui l’artisan du groupement des tribus léguées à son fils. SIDI .»
–la renommée de votre pére l’honorable Sidi nous est parvenue à travers d’innombrables témoignages et toute votre histoire est consignée dans tous les livres d’histoire de la conquête musulmane en afrique du nord et d’Andalousie ! »
« les Ouled Sidi Yahia est un groupe ethnique arabe et sont des arabes nobles.
“–Cette tribu purement arabe est descendante de l’imam Idriss ben Idriss ben Abdellah El-Kamel ben El-Hassan ben El-Mouthan ben El-Hassan ben Ali ben Abi Taleb et de Fatima Zahraâ ! ”

Les yeux de jilla brillaient d’un regard ému, il baissa la tète en marmonnant :
« Hamdou allah !( merci mon dieu ), les récits de Sidi sont authentiques et non des légendes mythiques ! » .
« Buvez le thé de notre amitié, prince jilla ! » Pria le Nadir en lui annonçant :
« Cette nuit, vous dormirez sous mon toit ! »
« Merci de votre hospitalité honorable Nadir , j’en suis trés reconnaissant par tant de bonté de votre part ! » s’empressa de remercier jilla !
Si Nasser tapa des mains et M’barka la vieille servante noire apparut au seuil de la bibliothèque.
« Conduisez notre prince jilla à la chambre des invités ! » ordonna t’il.

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Sa tète alourdie par tant d’événements, jilla entra dans la chambre des invités ne cherchant qu’une chose : une literie, un tapis ou s’étendre et fermer les yeux pour revoir le sourire et la silhouette qui le hantaient.
Au fond de la chambre, jila vit un magnifiques sedari (1) à coussins en velours rouge à motifs dorés.
Le plancher carrelé en céramique était couvert d’un immense tapis oriental ou trônait en son milieu : une table basse en bois sculpté surmontée d’une élégante carafe d’eau.
jilla enfin seul ! se débarrassa de ses sandales avant de fouler le tapis, sa jellaba et sa razza ensuite et se laissa choir sur le confortable sedari .
Il mit un coussin sous sa nuque et enlaça un autre dans ses bras et l’embrassa longuement.
Des coups sur la porte le firent tressauter !
Il se leva et accourut l’ouvrir.
C’était m’barka la servante noire tenant un lourd Bourabah (2) en laine fine à rainures blanches et vertes.
« tenez mon prince et couvrez vous avec ! » dit elle et dans un accent soudanais , elle averti :
« Le vent glacial du soir qui souffle de la montagne Zagora (3) rend les nuits très froides dans tous les ksar avoisinants ! ».
En effet ! il eut sous sa légère chemise comme un frémissement.
Avec un large sourire , il la remerciât en s’emparant du bourabah .
« Choukrane ! (4) de votre gentillesse, qu’Allah vous bénisse !».
Jilla en se couvrant, se rappela les nuits tièdes, couché le torse nu , sur une natte d’alfa de sa steppe , entrain de converser avec Sidi ou contemplant la voute céleste , parsemée de mille étoiles !

Notes :
1-Sedari (canapé)
2-Bourabah (couverture traditionnelle)
3-Zagora (Montagne de l’Anti-Atlas à 700 m d’altitude )
4-Choukrane ! (Merci)

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Seul de nouveau dans la chambre des Diaf (1 ) , jilla se prit surtout à réfléchir longuement sur ce qui lui arrive comme sentiment envers Lalla (2) Zahra .
« La fille du nadir, cette douce créature ?
–quel âge a-t-elle ?
–quel sentiment a-t-elle à mon égard ? ».
Se demanda jilla en tortillant nerveusement un coin du bourabah(3) !
Un vieux proverbe latin dit :
«Loin des yeux ! Loin du cœur ! » éh ben jilla vient de constater sa fausseté !
Même absente, la princesse occupe son esprit et son cœur.
Soudain ! on refrappa à la porte de la Dar diaf (4) .
Il ouvrit et se trouva nez à nez avec la princesse.
Il se figea comme hypnotisé.
Ne dit on pas : «quand on pense à la rose , on en sent le parfum. »
« smahli (5) amir jilla ! voici votre sabre que vous aviez oubliez dans le cagibi à vêtements ! » dit elle d’une voix douce en s’excusant et lui tendit le fabuleux cimeterre de ses aïeux.
En le prenant, ses doigts frôlèrent les siens ! il senti comme une décharge électrique qui faillit le terrasser !
Se ressaisissant avec peine , il s’écarta , le sabre serré entre les mains .
Il put juste dire dépité et excité à la fois !
« choukrane ! choukrane ! »
Elle lui sourit et s’en alla en refermant la porte derrière elle.
Il resta un moment immobile et s’effondra sur le tapis.
Notes :
(1) Diaf (invités)
(2) Lalla (princesse)
(3) Bourabah (couverture traditionnelle)
(4) Dar diaf (salle des invités)
(5) smahli ( excuses moi !)

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Endormi d’un sommeil de plomb par une journée épuisante à plus d’un égard et une nuit calme .
Comme on dit : le calme précède toujours la tempête .
Le matin , un vacarme effroyable le fit sursauter .
On entendait résonner au loin dans les rues étroites du ksar un bruit sourd, un bruit qui grandissait, intense par moment et qui semblait devenir un grondement d’un tumulte assourdissant d’un oued en crue.
Des éclats de voix, des cris et des hurlements se précisent !
Jilla subitement inquiet et curieux ouvrit les battants en bois de la fenêtre d’où venait le bruit.
Celle çi donnait non sur l’extérieur du palais comme il l’eut cru, mais en son intérieur sur une vaste cour entourée de hauts murs : il aperçut d’en haut les dépendances du palais, un puit et une écurie.
M’barka la servante noire fit irruption dans la chambre en criant les yeux affolés :
« émir ! noble émir ! des mouchaghibines (émeutiers) viennent vers le palais de notre moulana (seigneur) ! »
Il te demande de rejoindre son hrim ( aile privée du palais )
Suis moi ! je t’emmène ! »
Jilla jeta un dernier coup d’œil par la fenêtre, grande ouverte .
Il vit dans la cour des makhazni en uniformes, armés de longs fusils à un coup , ils étaient là en branle bas de combat , surement la garde protégeant le nadir .,
Tout en réfléchissant, Jilla enfila sa jellaba , chaussa ses sandales , prit son sabre et la suivit .
Sidi l’a prévenu que le pays est dangereux et hostile !
Il lui a peint l’image d’une société en désordre, pour ne pas dire en crise qui a perdue ses valeurs et symboles de l’ordre sociopolitique et que l’identité qui définit la hiérarchie sociale est altérée et parfois reniée .
On ne reconnait ni les chourafa , ni le sultan , ni leur rang et on ose même les écarter du pouvoir par des complots sordides en fomentant des émeutes parfois sanglantes .
Ces émeutes sont généralement animées par le comportement subversif : soit des notables (a3‘yân) .
Soit des wlad blad musulmans d’origine juive (grands maitres de la négoce et corporations des métiers) ,
Soit des élites (khâssa) de zaouias mystiques accusées de dépravations par le sultan alaouite de manipuler la (‘âmma) le menu peuple

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Si Nasser complètement excité. son sil’ham replié sous sa ceinture, lançait des ordres sévères à tout le monde : domestiques et gardes !
Lorsqu’il vit jilla , il se précipita paternellement vers lui .
« Ecoute mon fils ! ma famille est sous ta responsabilité directe ! Rejoins la et protèges la ! , –Mes serviteurs ont reçus mes ordres de t’obéir ! » Ordonna t’il d’un ton plein de sollicitudes.
Car le maintien d’ordre du ksar Idrisside dont est chargé Si Nasser s’est avéré souvent difficile, sinon précaire et instable, à cause justement de la structure hétérogène de la population faite de rumat (milices) haratines mouridines ,moristes , andalous et 3amaa( populace) faite de pauvres et indigents manipulables et corvéables à merci ! L’action subversive est souvent dirigée par des élites parasites, assoiffées de pouvoir et faisant dans l’entrisme, vivant de charlatanisme et ayant trempés d’une manière ou d’une autre dans le complot.
Tout dépendait de l’habilité du chef du ksar , de sa diplomatie et sa maitrise de tel événement qui pourrait dégénérer en pertes humaines .
Si nasser s’en alla vers la cour, réunir ses gardes pour décider de la stratégie à mener, laissant jilla qui ne tarda pas un instant à escalader promptement les marches menant vers le hrim .
Là , il trouva l’épouse du nadir et sa fille barricadées dans la chambre principale ! les deux serviteurs et la vieille servante regroupés devant la porte , l’air effaré . Jilla eut pitié et dit d’une voix rassurante : « Dites à la Sayda ( Dame du palais) et Lalla Zahra que je suis là et qu’elles sont sous ma protection ! »
M’barka s’empressa de frapper deux coup espacés sur la porte fermée en annonçant : « Lalla ! l’émir jilla est avec nous pour votre sécurité ! ».
La porte s’entrouvrit et Lalla zahra , cheveux défaits et mine pâle , apparut sur le seuil de la chambre .
« N’aie crainte princesse ! qui osera vous toucher ? doit passer sur mon corps ! » déclara stoïquement Jilla .

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Un des gentils jumeaux noirs , saisit un pan de la jellaba de jilla qui se retourna surpris.
« Moulay !(altesse) , venez ! je dois vous montrer une porte secrète .» lui confia t’il à l’oreille .
« ton nom ? » interrogea jilla en les regardant un à un .
« hassan ! » lui répondit son confident en lui montrant une rose des sable tatouée sur le dos de sa main droite .
Celle-ci verte sur la peau noire était presque imperceptible au premier coup d’œil .
« et moi hossein ! » répondit l’autre , présentant ses deux mains indemnes .
Sans hésiter , jilla invita hassan de lui montrer le chemin .
Ils dégringolèrent l’escalier , traversèrent la salle d’entrée, le corridor et pénétrèrent dans le cagibi à vêtements.
Hassan le serviteur ,mit un genou à terre et dégagea la caisse à chaussures de la garde robe et fait découvrir une trappe qu’il souleva et dit à jilla .
« il y a un escabeau ! Je descends, suivez moi !»
Jilla s’engouffra dans la trappe et grâce à hassan qui a allumé un quinquet , vit un tunnel d’une soixantaine de mètres ou plus , couvert de troncs de palmiers coupés en deux et posés sur des parois en pisé , menant à une autre trappe en bois.
« Celle çi donne sur la cour du palais du caïd (juge, administrateur et chef de police ) du ksar ! » l’informa hassan .
« Chuut ! » souffla jilla .
Au dessus de la trappe ! des pas allaient et venaient, on entendait des cris, , des hurlement et des pleurs .
« le Caid est assassiné » dit une voix !
« il fut poignardé par un mouchagheb (émeutier) pendant qu’il les appelais au calme » lui réponds une autre.
Hassan , les yeux effarés , recula en implorant !
« Moulay ! (mon prince ), remontons pour avertir Sidi (maitre) Nasser ! ».
Furieux ,Jilla dégaina son sabre de son fourreau et poussa devant lui hassan que la nouvelle a terrifié.

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Dans la salle d’accueil , jilla et hassan trouvèrent le Nadir entouré d’une dizaine de makhazni en armes .
Le serviteur s’approcha de lui et murmura à son oreille !
Il regarda d’un regard inquiet jilla et lui signe de le suivre , tout en rejoignant l’étage .
« Écoute noble émir les choses sont graves !
–la sécurité du ksar est décapitée avec l’assassinat du Caïd ! –pas un mot à personne ! –il y a des félons et des poltrons parmi la garde !
–Nul ne doit accéder içi ! exceptés Hassan , Hossein et M’barka !
– attendez là , je reviens ». dit Si Nasser , une fois arrivé devant la porte de sa chambre .
Il frappa trois coups espacés, elle s’ouvrit et se referma sur lui .
Jilla se mit devant en sentinelle, le sabre dégainé d’une main et le fourreau de l’autre.
Les serviteurs accroupis, à qui hassan racontait l’événement, le regardaient terrorisés .
Il eut un pincement au cœur et serra fortement la poignée de son arme tranchante comme un rasoir.
« Sidi avait raison ! had ghachi (ces gens) ! Sont de vrais traitres ! Pire que les voleurs ! Comment osent ‘ils poignarder le responsable de leur propre sécurité ? — hadi fitna (discorde) ! — Chez nous les pires situations ou griefs sont réglés dans la discussion » jugea intérieurement jilla avec colère.
Au bout d’un moment !
Si Nasser réapparut portant un chèche noir et une djellaba grise rayée de noir comme celle des moudjahidines du Draa tafilalet qui escortaient dans leur steppe les riches caravanes.
Il portait, accrochés à sa large ceinture en cuir rouge : deux objets sombres que jilla ignorait : c’est un pistolet à silex d’un seul coup dont la crosse pouvait servir de marteau et une poire à poudre !
Le noble bédouin a juste ouie dire de son père , l’existence de cette arme de corsaires, loin au Nord –Est , sur la cote du territoire voisin .
« restez ici ! je vais voir sur les remparts de quoi il s’agit à l’extérieur ! »
dit il à jilla qui s’écarta de son chemin.

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Le palais est protégé par un haut et large mur de pierres servant de façade .
A un mètre de son sommet , sur un échafaudage en demi-troncs de palmiers , étaient juchés des makhazni armés de fusils à pierre , faisant le guet .
A la base du mur, à hauteur d’homme , sont percées de petites fenêtres rectangulaires , comme des meurtrières .
Si nasser jeta un coup d’œil sur la rue à travers l’une d’elles .
Il vit une horde sauvage d’adeptes de zaouia (confrérie religieuse) de marginaux , d’étrangers, de pauvres , de harratine, d’ouvriers saisonniers, transformés en émeutiers enflammée par des prêches et des discours haineux.
Des jeunes excités avaient les revers de leur abbaya (robes) remplis de pavés, certains, un peu plus âgés, le crane rasé et barbe au henné, brandissaient de gros gourdins de berger et d’autres, les plus hardis, tenaient des torches enflammées.
L’émeute folle, furieuse et hurlante se rapprochait du palais .
Comme une crue et chauffée à blanc, elle déferlait de toutes les ruelles du ksar.
Si nasser recula au milieu de la cour et interpella les guetteurs sur le rempart d’une voix autoritaire.
« Nul ne doit tirer que sur mon ordre ! –Celui qui le fera, sera exécuté de mes propres mains ! » menaça t’il en exhibant son pistolet d’officier du roi.
Et somma les gardes qui l’ont rejoint:
« Prenez des seaux d’eau et préparez vous à éteindre les jets de torches !
–faites attention aux lancers de pierres ! restez prés du rempart, notre palais est imprenable ! ».
En tant que nadir et aussi vu son statut de naqib (représentant du roi) , Si nasser devrait étre très fin diplomate pour déjouer les plans machiavéliques des instigateurs de la rébellion contre son sultan .
Il doit renverser cette situation de confusion (dominée par la violence devenue l’apanage de la foule) et la remettre entre les mains des représentants de la justice et de l’ordre, des détenteurs du droit et du savoir.
Tout en réfléchissant à sa mission, le Nakib a grimpé l’échelle de l’échafaudage servant de chemin de ronde des guetteurs.

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Arrivé sur l’échafaudage, Si Nasser nadir et naqib du sultan, demanda de lui procurer un drapeau blanc pour parlementer, tout en observant les émeutiers qui commencent à se rassembler autour du jet d’eau face à l’imposante porte d’entrée du palais .
Un groupe de jeunes parmi eux la bombardaient de galets, trois cagoulés avec des chèches noirs , surement des meneurs ,leur donnant le dos criaient des slogans anti wahhabites et anti-pouvoir sous forme de distiques que la foule furieuse chantait en chœur .
« yaskout souleimane ( abat Slimane) !
makanch amane ( pas de confiance ! » .
« laa talmis li taqalidina ! (Ne me touchez pas nos traditions !
–Lahoum dinehoum wa lana dina ( ils ont leur religion et nous la notre ) ! »
Si nasser approuvait au fond de lui-même , mais il était fidèle à son roi !
« Mais ! ce n’est pas avec la violence qu’on répare une injustice ?
–et surtout avec des crimes ! Même dans le djihad , on ne tue pas un homme désarmé , un fuyard ou un enfant ! on ne coupe pas un arbre , on ne viole pas la hourma ( intimité) d’une maison ! que dire d’un assassinat » trancha t’il , décidé à mettre fin à cette fitna ( discorde) .
Accroupi et scrutant la rue , dissimulé derrière un bouclier arabe décoré d’insignes alaouites , il réfléchissait à ce dilemme ! « Comment calmer et faire revenir à la raison ces illuminés, lui le représentant direct du roi ? » Un makhazni lui tend un foulard blanc accroché à une longue palme taillée.
Derrière le rempart ,la cohue grossissait dangereusement !
« il faut intervenir maintenant ! ils vont être plus nombreux et les gardes armés et terrorisés seront incontrôlables » se dit le naqib .
Se tournant vers eux , il répéta son ordre formel :
« Ne tirez que sur mon ordre ! ».
Les makhaznis fébriles, hochèrent leur têtes et baissèrent leur fusils, obéissants.

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Le naqib se redressa, brandissant le drapeau blanc et couvrant sa poitrine du bouclier royal .
Il harangua du haut du rempart la foule excitée.
« Ya ness ! ya ness ! (oh gens ! 2 fois) pourquoi cette fawda (désordre) ?

A sa vue ! les clameurs se turent un instant ! Si nasser annonça avec une pointe de regret , espérant faire une diversion à l’émeute et rallier les indécis à l’ordre .
« Quelqu’un parmi vous ! a poignardé notre Caid ! Cest un crime impardonnable !»
A cette nouvelle , il y eut un remous de l’émeute !
Le nakib profita du silence en ajouta d’un ton dur et ferme, épris de justice :
« La tete du coupable sera envoyée dans une caisse à notre sultan !
–Rentrez chez vous ! Braves musulmans !
–n’écoutez par les voix de la fitna (discordre ! nous sommes tous des frères ! »
La foule silencieuse recula , laissant seuls les cagoulés devant la porte d’entrée du palais .
L’un d’eux , arrachant une torche à un émeutier et la lança vers le nakib .
Celui çi sans l’esquiver, sortit son pistolet, visa la poitrine nue du cagoulé et tira sur lui sans hésitation.
Le meneur s’effronda sur la place comme un tronc d’arbre , la poitrine ensanglantée par le silex acéré .
La foule stupéfiée par l’acte du naqib , recula , s’enfuit et se mit à l’abri dans les ruelles , loin du champs du tir des fusils qui apparurent pointés sur elle, laissant le corps inerte sur le sol.
En effet ! les gardes l’ont mise en joue, sans tirer, respectant l’ordre du naqib qui les somma juste après son acte :
« Levez vos canons vers le ciel et tirez une 1ére salve de sommation ! Rechargez et attendez mes ordres»
Ce qu’ils firent sans tarder !
Les détonations ébranlèrent le ksar.
Les émeutiers dispersés hurlaient de peur et aussi de colère, tout en jetant leur torches par terre et les piétinaient pour les éteindre de peur d’être des cibles voyantes.

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Au bout de quelques minutes après la 1ére sommation !
Deux cranes rasés et barbes au henné, se découvrirent en hissant un drapeau blanc et criant à l’adresse des assiégés!
« Nous voulons la dépouille de notre frère ! »
Le naqib se dressa debout et leur lançant un refus catégorique, doublé d’un ordre :
« Non ! il sera jugé méme à titre posthume et enterré selon notre rite !
–et Si vous avancez ! ce sera votre sort ! »
Puis se retournant vers les gardes il dit :
« Tirez autour du cadavre sans le viser ! »
Les coups de feu repartirent de plus belle, soulevant une immense poussière de sable et de fumée de poudre !
La 2éme sommation fit son effet spectaculaire d’effroi !
Les manifestants s’enfuirent et le calme revint sur tout le ksar !
l’émeute fut avortée .
Si Nasser descendit l’échelle et chargea deux makhazni de ramener le corps de l’assaillant.

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Du haut de l’étage, on entendait des youyous stridents de joie, émis par la vieille servante comme signe de victoire .
A ce long cris aigu et modulé de M’barka , Jilla et les deux serviteurs accourent et de la fenêtre ,ils virent le Naqib (représentant du sultan) traverser la cour ,sain et sauf qui regagne le bâtiment officiel .
Un miracle ! vu les nombreuses détonations et le vacarme assourdissant qui a terrorisé tout le palais.
Soulagés, ils s’empressèrent d’aller l’accueillir au bas de l’étage.
Si Nasser se tenait debout au milieu de la porte d’entrée , les lourds battants grands ouverts sur la rue jonchée de sandales et torches abandonnées .
Ils virent des makhaznis ramener un cadavre sur un brancard de fortune et le déposer au milieu de la salle d’entrée.
Si Nasser se pencha sur le corps , mit un genou sur le sol carrelé et posa son oreille sur la poitrine ensanglantée .
Soudainement ! il se releva d’un bond en criant et dans les yeux , un éclair de bonheur .
« Vite ! Ramenez un hakim (médecin) son cœur bat !
–il est vivant ! il est vivant ! » répétait le naqib , joyeux comme un enfant

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A l’attitude joyeuse du nadir , Jilla ému , vient de découvrir un trait singulier chez les nobles chorfas , ils n’ont aucune haine contre leur adversaire .
Ils appliquent à la lettre les préceptes des textes sacrés :
« Cléments entre eux et impitoyables et justes envers leur ennemis ! »
Un vieux hakim (médecin), tout en blanc : barbe , abbaya et bligha exceptée une sacoche en cuir rouge qu’il portait en bandoulière fit irruption dans la salle d’accueil du palais , encadré par deux makhzni (gardes) . « Ramenez moi de l’eau chaude et des chiffons propres et secs ! » dit il en auscultant le blessé gisant inerte sur le carrelage.
« Il est vivant ! le silex l’a frappé au thorax et lui a coupée une veine ! » constata le vieux toubib et sortit un ciseau très fin et se mit à couper d’une main adroite la chemise ensanglantée qui couvrait le torse du blessé .
Si nasser lui demanda inquiet : « honorable Hakim ! vous pouvez le sauver ? »
« in chaa allah ! ( si dieu le veux !) –je vais extraire le silex et recoudre la plaie pour arrêter l’hémorragie ! » rassura le Hakim qui nettoyait la plaie avec un chiffon qu’il trempait dans un seau d’eau chaude , ramené par Hassan et épongeait le sang avec des chiffons secs que Hossein lui tendait . M’barka s’affairait autour d’eux ! ramassant les compresses et débarrassant la chemise lacérée du blessé , tout en lui lavant le visage ,maintenant à découvert sans sa cagoule .
Tous les présents reconnurent l’enragé meneur.
C’est un robuste mourid (adepte ) de la zaouia Naciria à quelques kilomètres du ksar des m’hadid sur la route de Zagora , connu pour sa oisiveté et ses prêches enflammés dans les Moussala ( salles de prières) interdites par le dahir ( loi réglementaire) du roi .
Si Nasser , regrettant son geste , serra les poings et dit à jilla . « Voilà ou mène la fitna ! . –tuer nos enfants de nos propres mains ! –hamdou allah ! (remercions dieu !), celui là n’est pas mort ! »

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Le Naqib ayant enregistrée l’attitude fière et courageuse de jilla lors de l’émeute sanglante et menaçante , tint une assemblée extraordinaire des gardes et serviteurs de son palais et le nomma moukalef amni (responsable de sécurité) de sa hourma (suite personnelle) .
Jilla retiré dans la dar diaf (salle des invités) pour se reposer, ignorait sa nouvelle mission .
Hassan et hossein vinrent tout sourires , l’informer .
« Emir jilla ! émir jilla , vous voila saheb tika ( confident) du nadir et voilà le manuscrit signé de sa main ! » dit hassan en lui tendant un parchemin en peau de mouton finement tannée .
Jilla le déploya lentement, tout en interrogeant du regard les deux serviteurs s’occupa à déchiffrer les belles lettres koufi .
« Ce manuscrit est un acte royal exigeant le devoir d’allégeance au roi et ses représentants et le devoir strict du secret du makhzen et promulguant son possesseur d’auxiliaire honorifique du roi !».

Jilla dérouté par ce qu’il lui arrivé , remercia , d’un geste de le laisser seul , les deux serviteurs qui s’en allèrent .
Il s’allongea sur le seddari ( canapé tradionnel) , le parchemin sur la poitrine et sombra sous le poids des pensées qui l’ont subitement envahies .
« -Oum el kheir , sa vénérable mère a crument raison , il a quitté sa steppe natale pour un nu d’épaule involontaire de sa belle mère Chadia .
-Lalla zahra montre ses épaules nues sans pudeur, quoique légèrement voilées »
-Les dires de Sidi ce sont avérés vrais !
Ce bled est hostile , dangereux et s’enfonce dans le désordre .
Sans la sage autorité du Naqib , le palais qui l’a accueilli aurait fini en cendres et ses habitants dont lui même seraient soit blessés , soit lynchés. »
Et la question vitale qui le hantait :
« Comment accepter d’étre un garde de hourma , lui qui était le prince héritier de la plus grande tribu des steppes du draa libre ?
-S’il refuse sa nomination ? C’est faire offense à la l’hospitalité d’un des leurs : Si nasser le chef idrissi qui lui a offert le gite et la confiance !
Ce sera son départ vers l’inconnu et surtout s’éloigner à jamais de Lalla zohra ! ne plus la revoir !».
Son esprit d’homme libre et indépendant s’opposait à son cœur devenu esclave ! Un dilemme inextricable l’embarrassait, ne pouvant le résoudre, il ferma les yeux.

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Un cavalier, galopait à bride abattue, à travers la steppe vers le campement des chorfa du Draa –Tafilalet !
Arrivé à hauteur de la tente de la choura (conseil), il mit pied à terre souleva la natte servant de rideau à la tente et s’engouffra en son intérieur.
Sidi , turban défait et mine triste , se leva à son apparition et lui lança à la face une rafale de questions :
« Ou est votre prince ? — L’aviez vous trouvé ? –Est ‘il vivant ? »
Le cavalier en sueur dont la colère de Sidi suffoquait , arriva à peine à dire , tout content : « Sidi ! (Maitre !) Il est sain et sauf t et il se trouve chez le régisseur des Alaouites , au ksar des M »hadid ! »
–Ce sont des esclaves noirs fuyant le ksar après l’assassinat de leur maitre le Caid qui m’ont informé ! »
Sidi , sidéré par la dernière nouvelle , hurla en secouant les épaules du pisteur : « Mon fils ! mon fils ! Est il vivant ? »
« Oui seigneur ! il n’a rien ! il est au palais du naqib ! » dit le pisteur et ajouta pour rassurer, surtout pour que Sidi desserre son étreinte :
« Sidi ! J’ai devancé à cheval les esclaves qui vont vous confirmer mes dires ! –Ils viennent à pied pour se soumettre à votre autorité !»
« Hamdou Allah ! (remercions dieu !) » implora Sidi en le lâchant !
Il s’assit et invita le pisteur à prendre place à ses cotés tout en l’ordonnant : « Raconte moi tout dans le moindre détail l » .

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Pendant que le pisteur faisait le récit à Sidi de sa rencontre avec les esclaves du Caid assassiné lors d’une émeute au ksar ou jilla a trouvé refuge , Oum kheir , venant aux nouvelles , pénétra dans la tente et s’installa derrière Sidi , silencieuse , suspendue aux lèvres du pisteur .
Celui-ci qui racontait l’événement , s’arrêta et fixa le raiis akbar ( chef supréme ) des chorfa ( nobles ).
Sidi impassible , lui fit signe de la tête ,de continuer .
« –Le naqib maitrise la situation et a nommé jilla amine amni ( garde personnel ) pour sa bravoure ! » termina le pisteur conciliant envers la femme du Raiis akbar.

Au nom de jilla , Oum el kheir sursauta , le souffle coupé ,faillit s’étouffer , elle cria d’une voix stridente , apeurée !
« Mon fils ! mon fils !
–que lui est ‘il arrivé ?
—vous l’avez trouvé ? ou ? quand ! dites moi ! ».
Sidi se leva et congédia le pisteur :
« Va ! et ramène moi ces esclaves ! »
Il se retourna vers sa femme tremblante d’inquiétude.
« L’émir jilla n’a rien et est en sécurité chez le représentant du sultan des alaouites !
–Il se trouve dans son palais !» Et pour l’apaiser, il ajouta :
« Je vais rassembler le goum ( cavalerie) et le ramener ! –en attendant ! on va écouter les esclaves témoins qui vont nous rejoindre d’içi peu ! » .
Oum el kheir ,indécise , rajusta son foulard et sortit de la tente suivie par Sidi .
Dehors ! les bédouins ne cessent d’affluer de tous les cotés du campement vers la tente de la choura (conseil) , la nouvelle s’est répandue comme une trainée de poudre .
En sens inverse , Oum el kheir , un pan de son haik (voile ) replié sur sa ceinture , pressait le pas vers la sortie du campement , espérant intercepter avant tout monde les fuyards du ksar .
Son coeur battait la chamade et faisait trembler sa frêle poitrine et son pauvre corps décharné .
« oh ! mon dieu protège mon fils ! » supplia t’elle en scrutant l’horizon, les deux mains en visière , à la recherche de silhouettes qui doivent se profiler au loin dans la poussière soulevée par un cavalier .
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Une immense fumée noire couvrait le ksar qui a repris son calme.
De la fenètre de dar diaf (salle des invités) jilla la vit s’élancer dans le ciel bleu en un gigantesque champignon noir au dessus des toitures des habitations.M’barka la servante noire fit son entrée et lui dit :

« Emir jilla ! fermez la fenétre ! l’odeur de tissu va empestait l’air du palais et indisposer Lalla zahra et notre honorable Saydate ksar( maitresse du palais ! » Tout en le renseignant :
« Le caravansérail fut saccagé et brulé par les furieux émeutiers ! — que dieu les punit ! — voici votre repas ! Mangez et reprenez vos forces ! ».
Joignant son geste à sa parole , elle déposa sur la table basse , un large plateau recouvert d’une serviette fine et sortit .
Jilla , pris dans la tourmente des événements , se rappela qu’il n’a rien mis sous la dent depuis cette horrible matinée .
Il débarrassa le plateau de sa couverture.
Un bol de hrira (soupe), , des cotes d’agneaux grillées , un grand verre de lait , des dattes et une galette toute chaude s’offrirent à ses yeux , aiguisant encore plus son appétit .
La salive lui vint à la bouche et sans hésiter un instant devant cette offrande, tout en invoquant d’abord la bénédiction d’Allah , il entama son repas .
Tout en dégustant sa succulente hrira , il eut une pensée triste aux gens de la caravane qu’il a rencontré les premiers dans ce maudit ksar et qui l’ont accueilli avec amitié et hospitalité .

« Que leur est il arrivé à ces bonnes gens ? » se demanda t’il avec un pincement au cœur.

L’appétit coupé , Il avala d’un trait la soupe et se leva devant la fenêtre , n’ayant plus faim .
« Dans quel nid de haya (vipères) , j’ai échoué ? » s’interrogea t ‘il anxieux et en colère .
De doux souvenirs de quiétude et de paix de sa steppe natale vinrent à son esprit .
Chez lui chaque étre considéré car créature d’Allah , même les animaux sont respectés et tous obéissaient à dieu et à leur raiis (chef) et tous les différents sont résolus avec justice et pacifiquement suivant la tradition coutumière ou à défaut selon le droit divin (le coran).

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Jilla étala la serviette sur la table, mit dessus : la galette, les dattes et les cotes grillées et en fit un ballochon.
Il enroula le titre du makhzen, le ficela et le mit sous sa chemise, ramassa son cimeterre et descendit l’étage .
Il traversa le rez de chaussée, le couloir menant à la cour et entra dans l’écurie .
Les têtes de beaux chevaux dépassaient leur box individuel .
Tout au fond , il vit celle d’un bel alezan blanc qui piaffait de plaisir comme s’il l’a reconnu lui aussi.
Il s’approcha pour le caresser, le cheval lui tendit le cou orné d’une magnifique crinière dorée .
Jilla mit sa paume garnie d’une datte sous ses naseaux soufflants.
Les’ énormes lèvres de l’alezan blanc gobèrent la datte .
Apprivoisé, le cheval cessa de secouer sa crinière et se calma .
Jilla lui caressa doucement la joue, le chanfrein et le front ; le cheval s’y soumet docile en baissant légèrement son cou et se frotta la tête contre jilla qui apprécia.
On dit que le cheval est l’ami de l’homme !
Pour le bédouin ? C’est son confident.
Le jeune émir approcha sa bouche à son oreille et lui dit intimement :
« Salam oh berk’e (éclair) ! Comment vas tu habibi (mon ami) ?
–Veux tu m’emmener loin de cette fitna ? ».
Face aux box , de splendides selles en cuir et pommeaux de cuivre étaient disposées à cheval sur un tronc de palmier servant de support , il en choisi une qui convient à l’alezan ! Pour seller adroitement sa monture ?
Jilla choisi un tendre tapis,le fit sentir au cheval et le posa délicatement sur son dos, ensuite posa lentement la selle et attacha la sangle sous son ventre et en appuyant d’un doigt expert sur la langue du cheval qui ouvrit la bouche et astucieusement il introduit le mors entre ses mâchoires .

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De la fenêtre de sa chambre , Lalla zahra vit l’émir Jilla, sortir de l’écurie , en vrai cavalier , entrainant par les rênes son superbe cheval blanc , surprise et sans le vouloir ,s’exclama :
« Oh mon dieu ! c’est jilla avec siham !»
Elle courut vers chambre de ses parents et leur annonça désespérée: .– Abi ! Abi ! (père ! 2 fois ) Jilla veux nous quitter ?
Il emmène avec lui siham ( flèche) mon cheval ! »
Le Naqib , suivi de ses gardes vint à la rencontre de jilla et l’apostropha d’une voix irritée :
« Ou vas-tu comme çà ?
–et qui t’a ordonné de sortir le cheval de la princesse ? ».
Jilla lui sorti le sauf conduit de sa chemise et lui répondit calmement :
« honorable naquib ! je suis un sujet du sultan et le cheval est sa propriété ! » et ajouta avec assurance :
-Mon devoir est d’aller porter secours aux caravaniers qui m’ont accueilli.
Vous voyez bien que le fondonk (caravansérail) brule ? ».

Déconcerté par cette attitude de jilla ,le nadir en habile diplomate ,se retourna vers le rais des makhazni et lui cria comme convaincu :
« Equipez en armes quatre cavaliers et qu’ils accompagnent notre émir ! ils seront sous ses ordres ».
Il s’approcha de jilla et lui dit conciliant :

« Honorable prince ! Prenez soin de vous et de Sihem le cheval préféré de notre princesse Zahra !
–et revenez vers nous , sain et sauf !
–Que la rahma ( bénédiction) vous accompagne ! »
.
« A vos ordres ! honorable naqib ! »
répondit avec respect jilla , se retenant de sourire , amusé par le caprice de la fille du naqib .
En effet , il venait de savoir que le cheval qu’il a baptisé berk’e a un nom de jument et se nomme siham !

« Vivants dans leur bulle faussement aristocratique, certains membres de tout sérail et leur famille défigurent par excès de snobisme , la nature et le comportement de toute chose simple et naturelle par excellence . » se dit jilla , caressant amicalement le bel alezan blanc arabe !
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L’escouade fit irruption dans le fondouk dévasté par l’incendie criminelle Des porteurs de seaux d’eau , des nomades , des pillards courraient dans tout les sens comme une fourmilière en danger .
Les caravaniers qui ont fuit la foule incendiaire, ayant sauvés juste leur méharis (1) regardaient hébétés leur fortune partir en fumée.
Les plus téméraires essayaient de sauver ce qui fut épargné par les flammes , des sabres en acier forgé, des poteries et des ustensiles ou orfèvres en cuivre !
Les ballots de rouleaux de tissu noble, réduits en cendre, fumaient encore, empestant l’air .
Jilla, le nez dans son turban, regardant stupéfié la cohue , eut un élan de colère devant cet effroyable spectacle !
« Hram alihoum ! ada machi islam ! »(2).dit il offusqué.

Il vient de de constater de visu la crainte de cette contrée par ses aïeux.
« Ce sont des pillards et des koufars (3) sans honneur ! » lui disaient-ils.

Un viel homme noir, chèche défait et abbaya blanche maculée de noirceur, s’avança vers les cavaliers du makhzen en suppliant
« Sadda ! ya Sadda (4) raiis kafila (5) Si Mansour se vide de son sang et va mourir ! venez à son secours ! ».
Jilla reconnut H’mida le chantre de Toumbouctou , sauta de son cheval , et lui demanda en se découvrant :
« Si Ahmed ? ou est le raiis ? ».
Les gros yeux blancs du vieux noir, rendus rouges par la fumée de tissu brulé , s’écarquillèrent de surprise , tomba à genoux et désigna du doigt les arcades du caravansérail .
« Si Mansour fut poignardé par un mourid (6) ! il git là-bas parmi les siens ! »
Le prince sans réfléchir, courut vers les arcades, suivi par les makhezni à cheval.

Notes :
Dromadaires du sahara
c’est un péché ! ce n’est pas notre religion
Renégats .
Seigneurs !
Chef de la caravane
Adepte de zaouia

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Si Mansour étendu sur le sol était entouré de trois nomades, accroupis autour de lui.
L’un d’eux s’affairait à préparer des bandages , en découpant avec son poignard un large tissu blanc en lambeaux , surement sa propre abbaya , le second les pressait sur son abdomen ensanglanté et le troisième lui tenait la tête .
Jilla qui arriva en trombe vit le corps du chef de la caravane inerte, le ventre en sang, les jambes allongées et les bras ballants, juste sa poitrine nue qui palpitait, montrait qu’il était encore en vie.
Il s’agenouilla un instant auprès de lui et constata l’hémorragie incessante.
Il se releva et ordonna aux gardes qui l’accompagnaient :

« Descendez de cheval et ramenez une civière !
0n emmène Si Mansour au palais ! » .
Et dit aux nomades qui ne l’ont pas reconnu dans son accoutrement :
« Vous venez avec nous ! On va le soigner ! ».

Si ahmed qui venait de les rejoindre, leur cria rassurant :

« C’est Jilla , le prince Idrisside que nous avons accueilli avant l’émeute ! »

Les nomades n’en revenaient pas de cette heureuse surprise, ils inclinèrent la tête par respect, tout en continuant de secourir le blessé très affaibli.
Le raiis de la kafila (caravane) était étalé devant une échoppe de bourrelier complètement ravagée, la porte en bois fracassée et les étagèrent vides.
Les émeutiers l’ont pillée !
Son propriétaire , un vieux israélite , tablier et kippa noirs sur sa chemise et sa téte blanches , tournoyait en son intérieur , tout psalmodiant , sous son nez , le talmud .
Les émeutiers lui ont pris, même le vieux ciseau et l’antique poire à percer le cuir, leg de ses aïeux , bourreliers de profession de père en fils .
Les autres commerces et ateliers détenus par ses coreligionnaires furent aussitôt ciblés et mis à sac , aucun n’a échappé aux pillards.

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En effet , les ahl blad yahoud (1) exerçaient leur activités commerciales et artisanales sous les arcades protectrices du soleil et du vent qui donnaient sur l’immense cour à ciel ouvert du caravansérail.
Face à elles, les magasins et entrepôts d’avoine et de fourrage destinés au bétail des caravanes furent incendiés.
Les dortoirs à l’étage étaient indemnes car barricadés et défendus par les locataires, ainsi que les écuries, ou se sont refugiaient les caravaniers avec leur bêtes !

« Si Mansour s’est opposé en se battant vaillamment contre le pillage de sa marchandise que transportait sa caravane » , répétait hmida le joueur de luth à jilla .

Ce fut un lourd désastre pour lui : blessé à mort au ventre par le poignard d’un lâche bonze de mourid et ses énormes ballots d’étoffes, de soie, d’épices de plumes d’autruche furent réduits en un tas de cendre.
Des mois de marche dans le désert aride, parfois sous le sirroco (2), furent anéantis par une foule criminelle d’égarés, gonflés à bloc par des discours haineux de gourrou parasites d’illustres zaouia (3) détournée de leur message spirituel de piété et de tolérance .
Le prince venait de constater de visu les conséquences de la fitna due par les appétits cupides des autoproclamés « élus de dieu » pour la luxure et le pouvoir .
Ces instincts bestiaux ravagent la Ouma (4) et enfantent des monstres qui pillent , brulent et parfois assassinent sans scrupules .
« Hamdou allah (5) ! notre ribat (6), loin dans notre steppe est bénéfique, non contaminé par ce climat de discorde , sous la choura des hommes justes et libres comme Sidi ! » Approuva jilla en ramenant avec ses gardes Si Mansour vers le Ksar (7).

Notes :
(Autochtones d’origine juive)
(Vent chaud du sahara )
(Mausolée servant d’école coranique)
(Nation)
(Merci dieu)
(Ermitage)
(palais)

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La mort supposée du mouride (1) et celle effective du caïd (2) a mis tout le ksar en effervescence.
Jilla remarqua des badauds partout sur son chemin !
Des attroupement houleux étaient dans chaque rue et discouraient sur l’événement.
Le passage de jilla et ses makhzeni (3) sur leurs montures, emmenant le raiss kafila (4) transporté sur une civière, blessé à mort vers le palais du régisseur se faisait avec crainte, paraissait périlleux.
Jilla lisait sur leurs visages, la répulsion de ce corps de sécurité royale.
La couleur datte des tuniques du makhzen , semblait honnie par les gens qui le montraient par des regards ou des rictus de colère retenue.
Malgré qu’il fût à la tête du cortège, son sabre sur le flanc et la main sur la crosse de son pistolet, nul ne prêtait attention à lui.
Son habit civil (une djellaba rayée de moudjahid ) était peut être pour quelque chose.
Instinctivement, il se dressa sur ses étriers et lança à son escorte montée :

« Continuez votre marche ! Ne répondez pas aux provocations !
–La survie de Si Mansour est le plus important ! »

Devant l’entrée du palais, une foule de mourides les attendait, réclamant avec insistance la restitution du manifestant abattu par Si Nadir le régisseur.
Certains plus excités, frappaient à coups de poing la porte.
Elle ignorait qu’il était vivant.
En apercevant la venue de jilla et sa troupe, l’un des guetteurs cria d’en haut de la muraille :
« C’est l’émir jilla ! Ouvrez la porte ! »
La foule surprise, se scinda en deux, laissant passage à la troupe.
La porte s’ouvrit et Si mansour , arme au poing, apparut sur le seuil encadré par ses gardes tout en leur ordonnant , désignant les mourides :
« Faites dégager l’entrée au convoi du prince ! »

Les mourides reculèrent, effrayés, pris en étau.
Prévoyant toute réaction de leur colère, Si Nasser le régisseur anticipa et leur cria :
« Le mouride qui a voulu incendier notre palais est vivant !
–il se repose ! Une fois guéri, il sera envoyé au majless malaki(4) pour être jugé ! Rentrez chez vous !»
La foule cria de joie : « Allah wa akbar ! » et se dispersa.
Notes :
Adeptes de zaouia
Fonctionnaire musulman qui cumule les fonctions de juge, d’administrateur, de chef de police
Garde du roi
Chef de la caravane
cour royale

LE ROMAN DES NOBLES BÉDOUINS
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Lalla zahra troublée par le retour de jilla , ne peut s’empêcher de penser à lui.
Déterminée à ne pas se laisser envoûter par le jeune homme, toujours aussi attirant, elle s’efforce du mieux qu’elle peut de cacher à ses parents sa joie par la réapparition de Jilla .

« Est-ce que Jilla est habité par le même sentiment que moi ?
–Certainement ! on dit que l’amour et la haine sont réciproques et trahis par les yeux qui ne mentent jamais !
– Si elle est amoureux, comme moi ? il doit aussi souffrir ! » se demandait la princesse.
Subitement un geste lui revient en mémoire : Jilla a vacillé et émis un remerciement presque inaudible lorsque leurs doigts se sont frôlés lors de la remise du sabre qu’il a oublié dans la salle d’eau.
Une bouffée d’espoir monta dans sa poitrine avec des fourmillements dans la tête , ses mains qui tenaient le plateau du diner pour jilla tremblaient par moment .
Elle hésita quelques secondes devant la porte de dar diaf (1) avant de frapper.
La porte s’ouvre et Jilla apparut souriant.
Elle le regarde. L’espace d’un instant son masque de pudeur tombe. Elle le voit sur son beau visage. Il souffre comme elle.

« Votre diner ! Noble émir ! » miaula t’elle en lui tendant le couvert.
Un « Non, Zahra, ne pars pas… j’ai une chose à te dire !» sorti de on ne sait d’où ! faillit la terrasser, si ce n’est la poignée qu’elle tenait en voulant refermer la porte, un pied sur le couloir. Elle s’appuya contre elle et se retourna vers la voix tout en tâchant de prendre un ton détaché :
« Oui ! Noble émir ! »
« Samhini (2) d’avoir sellé et monter votre Sihem adorable ! –j’ignorais qu’il était le votre !» s’excusa Jilla .

Notes :
Salle des invités
Je te présente toutes mes excuses

Le roman des nobles bédouins !
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La princesse n’en croyait pas ses oreilles ! « des excuses pour un cheval fait pour être monter ?
Trop pudique ce prince ! Serait-il un sacré timide le bédouin ? » pensa Lalla zahra et lui répondit en le fusillant du regard :
« je suis contente que vous êtes le seul à avoir enfourcher Sihem !
–S’il vous a accepté ? C’est qu’il vous aime ! »

Elle ferma la porte et courut à sa chambre.
Là, en état de choc , elle se laisse glisser au sol et enfouis sa tête dans ses mains.
L’angoisse est vertigineuse, terrible ,elle la happe tout entière .
« Il voulait me dire autre chose ! Pourquoi il a changé de sujet ? » Souffla embarrassée la princesse.
Son angoisse refait surface en se rappelant quand il lui a sourit :
« son visage s’est éclairé comme une fleur au printemps, il est devenu beau à en couper le souffle !
–au lieu de me prendre dans ses bras, et enfouir son visage dans mes cheveux, et humer mon parfum enivrant.
–Il me parle du cheval ! Je me fous d’être une princesse au beau milieu de ce palais lugubre et fermé ! Il n’y a plus que lui et moi.
– elle avait désormais très envie qu’il l’embrasse.
Ou bien ! elle pourrait simplement l’embrasser.
ça lui paraissait une sacrée bonne idée.» se disait Lalla zohra déçue ,se sentant si mal dans sa peau .
Prostrée contre le mur, sentant la panique s’évanouir, elle se leva d’un bond et se refugia pensive dans son lit douillet.
Une idée lui traversa l’esprit :
« Jilla est un brave , mais timide ! je dois le charmer et faire le premier pas ! ».

Le roman des nobles bédouins !
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De la fenétre, grande ouverte, jilla étendu sur le sedari (1)entendit un long hennissement provenant des écuries !
Il se mit sur ses jambes !
« Est-ce Berk qui l’appelle ? »
Il prit un poignée de dattes et sortit .
En descendant l’escalier, il croisa Lalla zahra qui lui sourit.
« — Bonsoir prince ! vous ne dormez pas ?
–Non ! Sihem a henni !
–Je lui ai donné sa ration d’orge, t’inquiète pas !
–Maa fiha bess !(2) je vais le voir ! » dit jilla en fuyant le regard de la princesse .
Il s’en alla , dévalant le reste des marches .
Lalla zahra immobile , a compris une chose !
Pour vaincre la pudeur de son bédouin de prince ! C’est elle qui doit décider ! Diriger !
D’abord !
Abaisser les barricades autour d’elle, ensuite lui faciliter l’accès et l’accompagner à oser avec elle.Elle le suivit !
Jilla caressait le front du cheval qui délaissant son orge , croquait les dattes dans sa paume .
Alerté par le bruit des pas , il se retourna et vit Lalla zahra .
Surpris , il recula et s’assit sur une botte de foin délaissée en face du box de Sihem.
Elle s’approcha de lui et prit place à ses cotés et fixa les grands yeux de son bel alezan ,son autre amour qui secouait sa crinière dorée et semblait l’approuver .
Alors qu’ils étaient assis là, collés l’un à l’autre et silencieux,
elle sent rapidement qu’il faut agir maintenant.
Il est temps.
Leur corps se cherchent et la température va arriver à son paroxysme .
En amour ! il est très facile de basculer dans le désir .
La ligne est si mince, quasi intangible.
On la franchit en une seconde et parfois, on n’arrive plus à faire demi-tour .
Lalla zahra se leva d’un bond et se dressa devant jilla .
Il voulut s’éloigner , mais elle le retint en attrapant le haut de sa djelaba et se colla au jeune homme, pour le bloquer de tout son corps.
« Donne-moi ta main, suis-moi. » dit t’elle.
Jilla s’exécuta comme hypnotisé.
« Il y a une niche de foin au grenier à côté, viens , tout le monde dort ! »
lui glissa -t’elle à l’oreille.
Un sourire éblouissant apparaît sur son beau visage.
Tenu par la main chaude de la princesse et pris au piège, Jilla ne put que la suivre.
— « Quand vas-tu te décider à faire ce que elle te demande ? » se dit il .
Le jeune bédouin avait le cœur qui battait violemment dans sa poitrine.
Dans la niche, elle se laissa choir sur le lit de foin flétri et mou et s’étend sur le dos , s’offrant à lui , le corset déboutonné découvrant sa belle poitrine Sans hésiter, il atterrit sur elle. Il l’étreignit, mais pas trop fort.
Ses mains tenaient délicatement son dos.
Cillant, elle sentit la panique de jilla s’évanouir.
Elle croisa ses yeux verts avec celles de jilla de si près, que leur éclat noisette semblait plus vif. Il posa son regard sur sa bouche, sur ses lèvres voluptueuses, si tentantes.
« Laisse-toi faire. J’ai envie de toi. Allez vas-y, embrasse-moi, »
dit-elle en frottant sa gracieuse poitrine nue contre son torse.
Jilla voulut la chevaucher !
Mais fut stoppé par la main de la jeune femme.
Elle dominait .
Elle se rapprocha un tout petit peu, jusqu’à ce que ses lèvres soient si près des siennes qu’elle sentit leur chaleur.
Elle attrapa son menton d’une main douce et l’obligea à lui faire face avant d’écraser sa bouche sur ses lèvres.
Jilla résista un moment et puis céda .
En regardant ses yeux verts , Jilla a senti son monde vaciller.
Des images affluaient : le sourire contagieux de Zahra , sa poitrine ,ses cheveux de feu .
Elle l’embrasse passionnément, pressant ses seins pulpeux contre son torse nu.
Maintenant c’est elle qui lui faisait l’amour…
Parcourus de frissons délicieux : Ils éprouvent un sentiment de bien-être inégalé, absolu.
L’hormone de l’amour, la molécule du bonheur, a envahi leurs corps.
La chaleur de son corps se fondit dans la sienne .
Osmose totale ! Épuisée de plaisir quoique contrôlé et maitrisant les sentiments forts, puissants qui l’ont submergée, envahie. Elle reprit son souffle en se dégageant. Le baiser réussi ! Elle s’allonge près de lui, sa tête nichée contre son épaule et s’autorise à poser une main sur son sexe inerte et mouillé.
Sa poitrine se lève et s’abaisse à un rythme régulier. On dirait qu’il dort

–« Tu vas bien, maintenant ? »dit elle .

Il lui adresse un petit signe de tête accompagné d’un léger sourire, ses doigts farfouillant dans ses cheveux blonds.

Il venait de découvrir l’amour. Inconsciemment, il cherchait autre chose , il a trouvé plus beau .
Il fixa les poutres de la toiture un long moment et lui dit en se penchant sur elle .
–« Pourquoi t’as refusée ? »
Elle lui répond par un petit regard entendu qui illumine son visage
–« Je suis vierge ! et c’est ma dot d’honneur à celui qui sera mon futur époux »

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De la fenétre, grande ouverte, jilla étendu sur le sedari (1)entendit un long hennissement provenant des écuries !Il se mit sur ses jambes !
« Est-ce Berk qui l’appelle ? »
Il prit un poignée de dattes et sortit .
En descendant l’escalier, il croisa Lalla zahra qui lui sourit.
« — Bonsoir prince ! vous ne dormez pas ?
–Non ! Sihem a henni !
–Je lui ai donné sa ration d’orge, t’inquiète pas !
–Maa fiha bess !(2) je vais le voir ! » dit jilla en fuyant le regard de la princesse .
Il s’en alla , dévalant le reste des marches .
Lalla zahra immobile , a compris une chose !
Pour vaincre la pudeur de son bédouin de prince !
C’est elle qui doit décider ! Diriger !
D’abord !
Abaisser les barricades autour d’elle, ensuite lui faciliter l’accès et l’accompagner à oser avec elle.
Elle le suivit !
Jilla caressait le front du cheval qui délaissant son orge , croquait les dattes dans sa paume .
Alerté par le bruit des pas , il se retourna et vit Lalla zahra .
Surpris , il recula et s’assit sur une botte de foin délaissée en face du box de Sihem.
Elle s’approcha de lui et prit place à ses cotés et fixa les grands yeux de son bel alezan ,son autre amour qui secouait sa crinière dorée et semblait l’approuver .
Alors qu’ils étaient assis là, collés l’un à l’autre et silencieux,
elle sent rapidement qu’il faut agir maintenant.
Il est temps.
Leur corps se cherchent et la température va arriver à son paroxysme .
En amour ! il est très facile de basculer dans le désir .
La ligne est si mince, quasi intangible.
On la franchit en une seconde et parfois, on n’arrive plus à faire demi-tour .
Notes :
(1) Canapé
(2) Sans problème

Le roman des nobles bédouins !
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Lalla zahra se leva d’un bond et se dressa devant jilla .
Il voulut s’éloigner , mais elle le retint en attrapant le haut de sa djelaba et se colla au jeune homme, pour le bloquer de tout son corps.
« Donne-moi ta main, suis-moi. » dit t’elle.
Jilla s’exécuta comme hypnotisé.
« Il y a une niche de foin au grenier à côté, viens , tout le monde dort ! »
lui glissa -t’elle à l’oreille.
Un sourire éblouissant apparaît sur son beau visage.
Tenu par la main chaude de la princesse et pris au piège, Jilla ne put que la suivre.
— « Quand vas-tu te décider à faire ce que elle te demande ? » se dit il .
Le jeune bédouin avait le cœur qui battait violemment dans sa poitrine.
Dans la niche, elle se laissa choir sur le lit de foin flétri et mou et s’étend sur le dos , s’offrant à lui , le corset déboutonné découvrant sa belle poitrine .
Sans hésiter, il atterrit sur elle . Il l’étreignit, mais pas trop fort.
Ses mains tenaient délicatement son dos. Cillant, elle sentit la panique de jilla s’évanouir .
Elle croisa ses yeux verts avec celles de jilla de si près, que leur éclat noisette semblait plus vif. Il posa son regard sur sa bouche, sur ses lèvres voluptueuses, si tentantes.
« Laisse-toi faire. J’ai envie de toi. Allez vas-y, embrasse-moi, »
dit-elle en frottant sa gracieuse poitrine nue contre son torse.
Jilla voulut la chevaucher !
Mais fut stoppé par la main de la jeune femme.
Elle le dominait .
Elle se rapprocha un tout petit peu, jusqu’à ce que ses lèvres soient si près des siennes qu’elle sentit leur chaleur.
Elle attrapa son menton d’une main douce et l’obligea à lui faire face avant d’écraser sa bouche sur ses lèvres.
Jilla résista un moment et puis céda .
La chaleur de son corps se fondit dans la sienne
.

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En regardant ses yeux verts , Jilla a senti son monde vaciller.
Des images affluaient : le sourire contagieux de Zahra , sa poitrine ,ses cheveux de feu .
La chaleur de son corps se fondit dans la sienne .
Elle l’embrasse passionnément, pressant ses seins contre son torse nu.
Maintenant c’est elle qui lui faisait l’amour…
Parcourus de frissons délicieux : Ils éprouvent un sentiment de bien-être inégalé, absolu.
L’hormone de l’amour, la molécule du bonheur, a envahi leurs corps.
Osmose totale !
Épuisée de plaisir quoique contrôlé et maitrisant les sentiments forts, puissants qui l’ont submergée, envahie.
Elle reprit son souffle en se dégageant.
Le baiser réussi !
Elle s’allonge près de lui, sa tête nichée contre son épaule et s’autorise à poser une main sur son torse.
On dirait qu’il dort.
Sa poitrine se lève et s’abaisse à un rythme régulier.
–« Tu vas bien, maintenant ? »dit elle .
Il lui adresse un petit signe de tête accompagné d’un léger sourire, ses doigts farfouillant dans ses cheveux blonds .
Il venait de découvrir l’amour. Inconsciemment, il cherchait autre chose.
Il fixa les poutres de la toiture un long moment et lui dit en se penchant sur elle .
–« Pourquoi t’as refusée ? »
Elle lui répond par un petit regard entendu qui illumine son visage
–« Je suis vierge ! et c’est ma dot d’honneur à celui qui sera mon futur époux »

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Un mois plus tard ! Après l’émeute et l’assassinat du caïd (1) , le régisseur Si Nasser a organisé une grande réception à l’honneur des blessés légèrement rétablis et invita jilla pour le charger d’une mission . « Mener en ville le prisonnier chez les juges du sultan Slimane ! »
Il lui exposa le sujet de sa mission qui se réduisit au transfert du présumé incendiaire du ksar à la ville de Zagora , chef lieu de la province pour être jugé équitablement et avec neutralité .!
Lalla zahra arriva la première dans la salle des invités avec un air détaché et s’installa prés de son père, jilla la regarde discrètement.
Elle relève la tête pour scruter sa réaction. Ses yeux sont toujours baissés, mais il sourit.
Il écoutait la conversation du Nadir .
–« Vous devez savoir autant que moi que l’ouma (2) est dans la fitna (3).
Ma longue carrière me permet d avoir une vision lucide de notre société.
Croyez-moi, nous sommes tous violents. le pouvoir de police du makhzen est juste un vernis brillant appliqué sur un ongle sale.
Et il ne faut pas grand-chose pour l’écailler, comme la faim, la jalousie, la cupidité ! –Notre ordre social est perverti par ces fléaux de la misère et l’inculture !
Le manque de la foi et l’amour des biens terrestres les accentue !
Le sultan doit sévir contre ses mauvais et fourbes conseillers !
–On ne gère pas son peuple avec des dahir(4) Isolé dans sa bulle royale ! .
–Il faut écouter et y répondre ! .
–Il faut couper l’herbe sous les pieds des charlatans et autre mendassine (5) qui sabordent sans cesse tout projet d’entente et soumission autour du pouvoir central du sultan. –Je tiens à t’informer que la zaouia qui est sur ton chemin est récalcitrante et les prêches sur son minbar sont profondément réactionnaires l’autorité du sultan! et les mourides sont d’authentiques brutes , prends garde ! –Mais , n’aie aucune crainte ! toutes les dispositions avaient été prises pour la protection et le transport du blessé ! » — « et je te laisse tout le temps de réfléchir, je ne te bouscule surtout pas »acheva
Si nasser en se levant pour accueillir un groupe de commerçants qui fit irruption bruyamment dans la salle . La rancœur dans leur voix était perceptible !
Jilla approuva, en hochant la tète . Il a l impression de faire un bond dans le passé si proche, du temps où Sidi énumérait ces tares des gens des montagnes de l’au-delà du fleuve, pendant les veillées nocturnes d’été dans la steppe.
Le jeune bédouin comprit la raison primordiale du ribat (6) et de la xénophobie de ses aïeux dans cette contrée aride et enclavée en plein désert , loin de tout pouvoir corrompu des imposteurs et des infidèles.
Notes :
Fonctionnaire chargé de la sécurité
Population
Discorde
Edit du sultan
Planqués (cachant leur religion
Autarcie

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Les invités commençaient à affluer et prenaient place sur les larges sedari(1) disposés de chaque coté de la salle des fêtes , séparés par des tables basses , recouvertes de nappes blanches , garnies de plateaux de dattes et de carafe de petit lait de chèvres le parquet tout entier était tapissé à l’orientale , étouffant lfeutrant les pas des convives
Au fond de la salle trônait un grand sedari unique , occupé par la princesse et jilla laissant un espace entre eux : la place vide du nadir qui s’entretenait depuis un moment avec les commerçants . Derrière et à ses extrémités, se tenaient immobiles et armés de fusils , des makhaznis drapés dans leur uniformes d’apparat des grandes cérémonies
. Si nasser discutait en aparté avec les négociants .,riches notables du ksar . les serviteurs offraient à chacun la collation de bienvenue du désert sur un plateau d’argent agrémentée d’un large sourire . tout le monde était présent ! exceptés les gens de la zaouia , y avaient , l’mam attitré du ksar et son mouaden (2) , les artisans et les caravaniers lésés du fondouk(3) et la famille et employés du caid assassiné !
Si mansour ,le raiss de la kafila (4),souriait à l’assistance, visiblement rétabli vu que sa blessure était en état progressif de guérison ,chaleureusement entouré par les siens .
Le Nadir (5) fit un discours grave relatant , avec objectivité , les faits subits et leurs conséquences , en dénonçant avec un ton sévère leur auteurs !
–« A quoi ont servi l’assassinat de notre honorable Caid et l’incendie de notre fondonk ? » s’écria indigné le régisseur du sultan .
–Ces crime vont-t-ils améliorer notre sécurité et notre prospérité? –Ceci est indigne pour des musulmans ! car l’islam est la paix et la tolérance !
– honorables invités ! je promets au nom du roi ! L’indemnisation de toutes les victimes ! –Et Que dieu nous aide à réparer ces erreurs fatidiques ! — Ce soir ! Nous allons fêter ensemble le retour au calme et la guérison de nos blessés ! »
A cet instant ! les serviteurs entraient en file indienne , brandissant haut comme des trophées , de longs pieux embrochant de croustillants méchouis ! » .
Un applaudissement nourri clôtura l’harangue du nadir(3) régisseur du roi qui avait un don déconcertant pour balancer franchement la vérité au moment le plus tendu.

Notes :
(1)canapé maghrébin
(2) muezzin
(3)caravansérail
(4) chef de caravane
(5) précepteur du roi .
(4) chef de caravane
(5) précepteur du roi .

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Jilla regardait , perplexe ,l’assiette remplie de morceaux de viande et d’une paire de côtelettes grillées que le serviteur a déposé devant chacun d’eux ne ressemblait en rien au méchoui de sa steppe et fit une moue ! Lalla zahra l’ayant remarqué, s’empressa d’expliquer : « C’est du gachouche (1) ! » dit elle en berbère .
Elle piqua avec une fourchette, un morceau de viande grillée qui s’est détaché sans aucun effort et le lui mit à la bouche.
Surpris doublement , en effet chez lui , le méchoui se déguste avec les doigts sans aucun instrument et les femmes sont reléguées aux seconds rôles .
Jilla gêné fit un regard circulaire sur la salle , tous les invités avaient la tête dans l’assiette.

–« ouf ! Personne n’a rien vu ! » se dit il et avala , réjoui, l’offrande exquise.

En mangeant , jilla pensait à sa steppe , quand on veut honorer ses invités dans une cérémonie ou une diffa(2) on lui offre, le plus prestigieux et sans conteste des plats, le méchoui : c’est-à-dire le rôti d’agneau mâle, nourris de chih, une espèce d’armoise sauvage de la steppe qui donne au rôti un parfum particulier.
Après l’avoir badigeonnée de graisse pour la rendre croustillante et saupoudrée en son intérieur comme son extérieur d’épices du désert (ras el-hanout , sel , poivre ) la carcasse entière est enfilée sur une perche au-dessus d’un foyer de braises de ar’ar (3). La broche est tournée lentement et régulièrement de manière à assurer une cuisson également répartie.
Tous les bédouins musulmans considèrent le mouton comme animal sacré et que le méchoui appartient à leur tradition d’hospitalité légendaire vu son statut de victime préférentielle pour le sacrifice religieux
D’où l’idée :
« le mouton est la viande préférée des bédouins parce que son sacrifice est recommandé par Allah »
Dans le bled bédouin , le méchoui est offert à tous et toutes !

A table ! jilla constata que les inégalités de traitement sont nombreuses. On l’offre aux invités de marque et dans les grandes cérémonies : une diffa ou une waada (4).
C’est en fonction de la position, du rôle et du statut des convives tels qu’ils sont définis au sein de leur société mondaine .
Les hommes adultes y sont privilégiés, les femmes et les enfants sont servies en second , après les convives prestigieux, suivis en dernier par les personnes moins importantes comme les serviteurs .
Au cours du repas, jilla vit Si Nasser le régisseur intervenir en poussant les meilleurs ou les plus gros morceaux vers le convive qu’il veut honorer et le serviteur lorsqu’il dépose l’assiette l’oriente de façon que le morceau de choix soit face à la personne la plus prestigieuse. .
Notes :
gachouche est un mot qui vient du berbère
gach qui veut dire « poitrine » et chouche qui signifie « grillé »Invite privée
Bois rustique et aromatique
fêtes religieuses
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Le repas de la cérémonie fini, après un dernier verre de thé pris dans la gaîté et la badinerie,Lalla zohra et jilla se retrouvent vite dans la chambre des invités. Ils s’étaient habillés élégamment pour la fête. Sa longue chevelure blonde ruisselle comme une cascade sur ses épaules en ondulations luxuriantes De ses longs cheveux Elle se fait un chignon. Elle lève les bras et enlève, sans hésiter, son léger caraco qui offrait une vue plongeante sur l’entre-deux-seins, dévoilant ses fameux seins qui fascinaient jilla et qui le fascinent toujours. Elle fait glisser prestement sa longue jupe en satin à ses pieds jilla l’enlace et la serre dans ses bras. Lui et elle sont de la même taille. Il a heureusement perdu son embonpoint excessif pendant sa traversée du désert. Lalla zahra est bien plus pulpeuse que lui . Après un long baiser à couper le souffle !
Elle le fit s’asseoir sur le seddari , une main sur les lèvres et lui confia presque honteuse : –« Ce soir, ce sera mon gage d’adieu . J’adore vraiment faire l’amour avec toi avant que tu partes en mission ! –Tu me diras comment te faire plaisir, ce que tu aimes ?
– –« Ce que j’aime, c’est ce que nous avons fait l’autre nuit dans le grenier et je remercie que je n’ai pas commis d’erreur, c’est juste inconsciemment t ! » expliqua t’elle .

Elle s’empressa d’ajouter : — « Je n’étais pas dégoûtée lorsque tu voulais me monter, je ne t’ai pas pris pour un animal en rut ! je te respecte mon prince ! –Peur de commettre une erreur, une erreur monumentale qui te poussera à te retrancher dans ce monde rude qui est le tien. »

–« Je me suis tenu à distance par peur de te révéler l’étendue de mes sentiments, Je t’aime. J’ai eu très longtemps peur de te le dire. Mais ! à présent c’est une certitude ! » dit jilla presque soulagé.
Il n’avait pas compris ce qui lui était arrivé de tout avouer.

Lalla zahra rougit de plaisir , s’agrippa à son cou et lui chuchota à l’oreille
–« Cette nuit, je te serait entièrement soumise. — C’est surtout ça ! qui va me consoler pendant ton absence ! »

Jilla ému , resta figé un moment, incapable du moindre mouvement . elle s’allonge et se cala sur le seddari, s’offrant nue à lui. Les secrets n’ont jamais été un obstacle au bonheur pour celui qui aime.

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Dés la sallat fadjr (1), jilla était déjà debout faisant tournoyer sur ses deux doigts réunis , une étrange coiffe , un tarbouche rouge (2) , avec un sourire amusé , tout en regardant son nouveau uniforme étalé avec soin sur le seddari d’à coté : un vêtement d’homme formé d’une veste, d’un pantalon, taillés dans le même tissu de couleur marron datte et une paire de bottes de cuir noir de cavalier posée sur le parquet.

« Drôle d’accoutrement ! Pourquoi un costume pour distinguer une responsabilité d’une autre ? La liberté de se vêtir n’est elle pas atteinte ? alors que les lois sacrées de la tradition et de l’islam sont communes » s’interrogeait jilla en l’enfilant.
Jilla en tant que chef d’escorte de la prochaine expédition , se rendit aux geôles du palais du régisseur pour visiter avant d’ extraire le mourid présumé incendiaire du ksar.
La porte de la geôle était munie d’un judas pour voir le prisonnier.
Jilla vit celui çi assis sur une banquette en dur, le regard sombre et fatigué , contemplant le ciel bleu, à travers les barreaux de la fenêtre d’en face , les rayons du soleil naissant éclairaient sa tête rasée et sa barbe rouge au henné , le torse emmailloté dans une écharpe blanche.
Percevant le bruit du verrou , il sursauta et tourna ses yeux vers la porte ! des yeux cernés maladroitement de k’hol (3) et surmontés de broussailleux sourcils poivre et sel.
« Pourquoi il a évité de teinter au henné ceux là aussi ? » pensa ironiquement jilla en entrant dans la sombre geôle.

« Salam alikoum ! »(4) salua jila en se décoiffant, suivi d’un geôlier armé d’un trousseau de clefs .
« Wa alik salem ! » répondit le mourid , sans se lever ! »
Le makhzni hurla un ordre :
« Lève toi imbécile ! c’est le prince jilla qui est devant toi ! »

Jilla d’un signe de la main , l’ordonna de laisser allez et s’assit prés du prisonnier et l’interrogea calmement.
« Comment va ta blessure akhi fe dine (5) ? ».

Sans le regarder le détenu marmonna sous sa barbe rousse de henné un :
« hamdou allah ! »(6) presque inaudible en s’écartant un peu , le regard fixé sur le géolier.
Ce dernier , sans un mot , pressa fortement ses phalanges sur l’anneau rond de son trousseau de clefs pour contenir sa rage et recula d’un pas dos à la porte , obéissant.

Notes :
(1) prière de l’aube
(2) coiffe makhazni
(3) poudre noire de maquillage maghrébin
(4) Que la paix soit sur vous !
(5) Mon coreligionnaire !
(6) Merci mon dieu !

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Le mouride est un adepte d’une zaouïa, ouverte et éclairée aux sciences ou fermée en secte mystique foncièrement charlatanesque, qui lui permets le gite et la nourriture gratuitement durant toute la durée de son enseignement coranique en contrepartie de petits travaux d’entretien des salles d’études , dortoir et réfectoire ou aides dans l’approvisionnement de la cuisine des vergers ou champs de culture si la zaouïa possédait un lopin de terre ou une palmeraie.
La zaouia subsiste surtout grâce aux dons et legs des membres de la confrérie ou du makhzen . Le Mkadam (1) de la zaouïa, aidé de chouyoukhs (2), supervise de main de maitre le tout.
Il est très vénéré, surtout s’il est de la confrérie des marabouts (3) Idrissides.
On lui obéie au doigt et à l’œil.
Tout mouride récalcitrant, rappelé à l’ordre n’a comme unique issue : se taire ou plier bagages et quitter la zaouïa.
Jilla osa une question au prisonnier :
« Je ne vous juge pas , mais ! Dites moi ! pourquoi vouliez vous incendier le palais ? »
Le mouride écarquilla les yeux et répondit offusqué :
« –Lancer une torche contre un rempart en briques est incendiaire ? »

« –Non ! Mais pourquoi vous brandissiez une torche ! »
Demanda jilla honnêtement.
« — pour bruler vifs les mounafikine (4) alaouites ! ».répondit sèchement le mouride , fixant d‘un regard froid le prince bédouin. La haine se lisait sur son visage, et il tordait nerveusement ses mains.
Tressaillant sous ces paroles dures, Jilla ne broncha pas. le chef makhazni fit un pas en avant, menaçant. Jilla bondit en s’interposant et se retourna vers le mouride, se résolut néanmoins, à lui dire : « Je ne suis pas un alaouite, mais idrissi de père en fils et demain ! –je t’emmène en ville pour comparaitre devant un tribunal alaouite ! ».
Jilla poussa devant lui le geôlier et quittèrent la geôle.
Avant de prendre congé, il lui ordonna de ne pas maltraiter le prisonnier sous aucun prétexte, ayant remarqué sa colère retenue, il ajouta en précisant :

« –il est libre et responsable de déclarer ce qu’il veut !
Votre seul devoir est de le soigner, le nourrir et le garder sain et sauf !
Le mien est de le présenter conscient et indemne devant les juges !».

Jilla compris que le problème n’est pas sécuritaire , mais politique ! Ce présumé incendiaire n’est pas un fou ! il s’attaque de front au pouvoir en place et il ne le cache pas.
Et pourtant vu sa condition sociale d’obscur mouride , c’est juste un pauvre manipulé !
Il semble pris dans une toile d’araignée, tissée par une personne plus habile et fourbe qui exploite la crédulité d’autrui pour s’enrichir , des privilèges ou s’imposer en politique.

Notes :
(1) Chef de confrèrie
(2) enseignants chevillards
(3) Saints
(4) Hypocrites
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Jilla prit dans sa poche le pli du régisseur et en lut le contenu. C’est un sauf conduit qui l’autorisait au nom du sultan Slimane, de conduire le prisonnier auprès des juges . Le lendemain, dès la première heure, le prince bédouin affublé du magnifique et singulier tarbouch de chef d’escorte du makhzen, suivis d’une demi douzaine de gardes en uniforme et armés , sortaient du palais. On amena le prisonnier en charrette, encadré par trois makhzani , un de chaque coté et le troisième tenant la bride de l’attelage . Doucement et du talent de sa botte, Jilla fit cabrer son cheval et cria à l’escorte : « en avant ! » donnant majestueux, le signal du départ.
Du haut du rempart, le régisseur Si Nasser et trois silhouettes féminines debout, agitaient leurs mouchoirs. Jilla sourit et leur rendit le salut du bout de sa cravache, puis il baissa la main et partit au galop au devant de sa petite escorte. Lorsque jilla s’éloigna , un immense you you partit du haut des remparts, il reconnut la voix jeune et forte de la princesse . Elle a su lui donner tout son amour pour qu’il parte en sachant qu’il est aimé et qu’il le sera toujours.
De très nombreuses personnes se sont , ce matin là , agglutinées le long des rues empruntées , pour voir passer le prisonnier.
L’escorte traversa le ksar sans incident et rejoignit le caravansérail à quelques centaines de mètres du palais ou l’attendait le reste de la caravane , quelque dizaine de cavaliers à dromadaires et le raiis kafila (1) Si mansour , visiblement rétabli de sa blessure . Beau début pour la caravane qui quitta le ksar ! Malheureusement, avant la fin de la journée, les choses se gâtèrent. En effet , elle se rapprochait du ksar Tamegroute (2), point d’escale incontournable des caravanes transsahariennes vers Toumbouctou. Un double sentiment envahi jilla : la crainte des exaltés mourides et l’envie de voir la célèbre zaouia Naciria .
En effet ! au centre du ksar berbère est bâtie la Zaouïa naciria . « Fondée en 1575 par Cheikh Abou Hafs Omar Ben Ahmed Al Ansari . –Un des notables et mystique du Draa-Tafilalet ! » lui avait conté son père, l’honorable
Sidi . Un siècle plus tard ,Cheikh Sidi M’hammad Ben Nacer fera de la Zaouïa un grand centre de la culture soufie, doté d’une grande bibliothèque Un trésor inestimable à la porte du désert et dont le rayonnement s’étendra sur le reste du royaume et au-delà vers les pays du Soudan diffusant des valeurs spirituelles, à travers une Tariqa (3) soufie et jouit d’une grande influence spirituelle, socio-économique et politique. Le tombeau du Cheikh se situe près de la porte d’entrée de la Zaouïa, dans le mausolée Rawda chouyoukh (4).

Notes :
(1) Chef caravanier
(2) Ksar berbère se trouvant entre ksar M’hamid et Zagora.
(3) voie mystique
(4) jardin des Cheikhs

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La caravane et l’escorte de jilla suivent la magnifique piste chamelière qui suit les méandres de l’oued (1) dans la vallée du Drâa qui s’enorgueillit du plus bel amalgame d’oasis et de palmeraies du royaume alaouite et domine la rivière du même nom, l’une des plus longues au pays Enfin, à environ 20 km au sud-est de Zagora, le village de Tamegroute renferme une Zaouïa (2) avec sa riche bibliothèque. Sidi et Si Nasser ont décrit minutieusement son trésor au jeune prince, pour l’avoir déjà fréquentée. Une question lancinante le taraudait : « Comment dans cet infiniment grand désert, des bédouins ont pu ramasser une magnifique collection d’ouvrages rares ? » Dont certains corans qui sont écrits sur des peaux de gazelle et qui datent du XIIIe siècle. Une bibliothèque Riche de près de 4000 livres, qui abrite des travaux séculaires de théologie, d’histoire, de science et de médecine en provenance de toutes les régions du royaume alaouite, d’Andalousie et du Moyen orient (Médine, Baghdâd, Istanbul, le Caire,…). Parmi les milliers de manuscrits conservés, nous trouvons également des livres du Coran enluminés et des traités de mathématiques, d’astrologie, d’astronomie et de pharmacopée, ainsi qu’un exemplaire tricentenaire du Coran, un ouvrage de Pythagore en arabe vieux de 300 ans et des manuscrits de grands savants musulmans Ibn Sina, Ibn Rochd et Al Khawarizmi.
Cette bibliothèque est considérée comme parmi les plus riches du Monde musulman , elle renforcera le rôle de la confrérie en tant que centre spirituel où convergeront des érudits, des oulémas et des talibans (3) en quête du savoir, attirés en cela par les collections d’ouvrages, de parchemins et de manuscrits précieux qui y sont réunis. La plupart des manuscrits de cette époque sont calligraphiés à la plume de roseau, aux brous de noix, safran, henné ou or, sur des parchemins en peau de gazelle. Le plus ancien manuscrit conservé dans la bibliothèque de la Zaouïa date du 11ème siècle. Il s’agit du manuscrit Al-Muwatta (4) du Imam Malik Ibn Anas, écrit en 1063. »
Notes :
(1) Rivière
(2) sanctuaire religieux
(3) étudiants coraniques
(4) recueil du dogme malékite

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Malgré le danger qui planait sur l’escorte convoyant le Mouride prisonnier, la zaouïa s’annonçait du haut de son minaret par l’appel du muezzin à la prière du asr (1) ! Ainsi rêvassant, jilla avait hâte de la voir et découvrir aussi la coopérative des potiers.
Ses ateliers de poterie existent depuis le XVIe siècle. La céramique artisanale de Tamgroute, d’un vert subtil, entre réséda et sapin était la plus ancienne et la plus célèbre du royaume et sa seconde fierté après la bibliothèque coranique qui se trouvent au centre du ksar (2) berbère de Tamgroute, créé du temps des Saadiens ou cohabitaient pacifiquement, nomades berbères, sédentaires juifs et bédouins arabes dans la vallée du Draa (3).

Les propos troublant du régisseur l’inquiétaient toujours. « les populations ici n’adhèrent pas à la ligne du sultan Slimane. – Notre province est la plus affectée par les émeutes successives contre sa politique! » Ce qui choquaient jilla ! Un, le ressentiment profond des gens face au makhzen et de deux, la déplorable incapacité du makhzen à enrayer la dégradation de la situation sécuritaire. Les vagues de protestations sont attribuées par les sources sécuritaires du régisseur à un proche de l’illustre descendant du cheikh de la Zaouia de Tamgroute. Jilla chargé d’escorter ce convoi a pu mesurer à quel point , il était tout à la fois étranger dans cette région et partie prenante à ses problèmes.
La caravane avance lentement s’adaptant au rythme de la charrette, supportant le prisonnier, entrainée par une mule. Bonne augure ! la caravane allait tranquille son train, quoique avançant en pays non contrôlé. « Tous ces vastes champs de henné et ces sombres et touffues palmeraies que longeait la caravane sont propices aux embuscades. » pensa jilla en bédouin averti.
En effet ! Son instinct de guerrier ne l’a pas trompé, la caravane faillit ainsi tomber directement dans une embuscade de mourides , lorsque heureusement, avant d’y arriver , un guide nomade, mis en éclaireur au devant de la caravane , les a aperçus immobiles, embusqués derrière des tamaris de chaque coté de la piste qui devenait plus sablonneuse. Il observa leur nombre et leur manœuvre, retourna sur ses pas en galopant et alerta Jilla. Celui ci provoqua aussitôt une halte et ordonna de former un siège tout autour du prisonnier. Le chef de la kafila (4) Si mansour s’exécuta sur le champs en mettant un genou à terre à tous ses dromadaires chargés de malles. Notes :
(1) prière de l’après midi
(2)village fortifié
(3 Fleuve du Sud
(4) caravane

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Il fallut aviser, jilla tint conseil avec Si Mansour . « Je serais d’avis, dit le prince, qu’on se fixe içi et qu’un de vos caravaniers enfourche un dromadaire et file avertir le caïd de Tamegroute ! le ksar est précisément tout près d’ici ». Jilla a fait de l’endroit de sa halte : une place imprenable.
Un long intervalle de temps s’est écoulé avant que les mourides qui étaient embusqués plus loin , ne fassent leur apparition en une horde sauvage. Leur embuscade déjouée et sans plan , ni moyens d’attaque , ils se résignèrent à des jets de caillasses de l’oued en criant des « Allah wa akbar ! ».
Certains cagoulés zélés avec des sabres et des torches enflammées osèrent un piètre assaut . Une salve bien nourrie les stoppèrent net , deux d’entre eux s’écroulèrent raides morts ; les autres se sauvèrent à toutes jambes

Les assiégés restèrent presque une heure sur le qui vive, sans que rien annonçait que les assaillants eussent dessein de revenir à la charge.
Jilla comprit qu’ils ont renoncé d’en faire une nouvelle attaque, découragés par le résultat de leur première tentative
Quand soudain une cavalerie de makhazni fit irruption en galopant vers la caravane, scindant en deux et dispersant la bande d’agresseurs.
Du baroud tiré en l’air et des cris de joie fusèrent des barricades.

Jilla jeta un coup d’œil vers le prisonnier et vit un chauve, l’air triste, avec sa tête de bonze hindou qui pendait mélancoliquement sur le côté. Les éléments du renfort mirent pied à terre et prirent la position de défense avec l’escorte de jilla . Leur chef , un solide gaillard berbère aux yeux verts , salua et demanda à voix haute :

« Salem ! chkoun mess’oule firka ? »(1)
Le nomade qui a ramené les secours , indiqua du doigt Jilla .
Celui-ci s’avança et lui tendit le sauf conduit du sultan . le berbere après avoir connaissance , le toisa et le salua avec respect , en courbant l’échine .
« Qu’Allah vous protège , monseigneur ! mes hommes et moi sommes à vos ordres jusqu’au ksar ou notre vénérable Caïd vous attends ! »
Jilla leva le siège.
La caravane protégée de deux rangées de cavaliers armés de l’escorte et du renfort qui s’est joint à elle, s’ébranla en direction du ksar en ramassant au passage les dépouilles , assaillies par les mouches , des cagoulés abattus.
La caravane arriva au ksar au coucher du soleil.

Notes :

(1) Qui est le responsable de l’escorte.

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Jilla vit de loin, les silhouettes réconfortantes des hauts dignitaires qui attendaient la caravane à l’entrée du ksar. Le caid, l’imam, le merabet (1) de la confrérie Naciria et le rais Awal (2) de la corporation des potiers étaient là, devant le grand portail en bois du ksar.
Arrivé à leur hauteur , jilla et Si Mansour descendirent de leur montures . Le caïd , vêtu de blanc , s’avança vers eux , les bras ouverts .

« Ya mar’haba ! Ya mar’haba ! » (3) répétait’ il en souriant. Profitant de l’accolade avec jilla . Il lui souffla secrètement à l’oreille. « Prenez garde ! Les gens de la zaouïa sont récalcitrants au pouvoir de notre sultan ! » Désignant du menton le merabet et l’imam restés à l’écart. Leurs jaunes sourires et leurs froids salamalecs avec jilla confirment l’avertissement du caïd. Pire ! Devant les dépouilles des agresseurs, l’imam osa même dire : « Un vrai musulman ne barre pas le chemin à un autre musulman même avec du Taam (6) ! –Ils ont eus ce qu’ils méritent ! » et le marabout de la zaouïa d’ajouter du bout des lèvres, la face blême : « Qu’Allah pardonne leur égarement ! » Jilla ne pouvant se retenir, commanda sèchement : « Reprenez vos morts ! — In chaa Allah ! Cette terre d’islam couvrira à jamais leur ignobles actes ! »
La caravane fit son entrée triomphale au vieux ksar de Tamegroute , un village creusé dans la roche avec ses maisons de pisé (4) où vivait un riche melpot d’ arabes, berbères, juifs, bédouins et harratine. Ce village fortifié doit sa célébrité ! A sa zaouïa fondée au XVIIe siècle par Sidi Mohammed Ben Nacer : un complexe religieux regroupant une mosquée, une école coranique, des salles de méditation , une bibliothèque très riche, remplie de manuscrits vieux de neuf siècles, de précieux traités scientifiques, des ouvrages religieux datant de l’âge d’or andalou et des Corans enluminés et un centre d’accueil pour nécessiteux .
Et aussi par son artisanat de poteries vertes que jilla rêvait de voir. Passé le grand portail en bois clouté, la caravane pénètre dans un vaste dédale de petites ruelles et de cours jusqu’au caravansérail . L’escorte de jilla continua vers le palais du Caïdat (5) ou il livra le prisonnier aux geôliers, avec l’assurance qu’ il sera gardé durant toute la durée de la halte de l’escorte . Des badauds barbus ont suivi un moment le cortège, puis ce sont dispersés devant l imposante garde makhaznie qui le convoyait.
Notes :
(1) Le marabout
(2) Le premier des artisans
(3) Bienvenue !
(4) mélange de terre, de gravier et de fibres végétales (5)poste de police (6)nourriture

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Le parfum du thé à la menthe, et l’odeur du matloue’ chaud [1] vinrent irriter les narines de jilla qui se réveille, assommé par la dure journée écoulée.
Il ouvrit les yeux et vit un superbe service à thé en porcelaine verte , sur le tapis traditionnel ou il était allongé, posé par un esclave qui s’en allait de la tente berbère plantée au beau milieu du foundouk [2] Invités par le chef makhazni qui a accouru au secours de la caravane, jilla et Si Mansour le rais de la kafila ont accepté avec plaisir et décliné l’offre du caïd de dormir dans ses appartements que le vent chaud qui a soufflé toute la soirée, rendait inhabitables.

Après le diner chez le Caid , Jilla n’eut guère de souvenir de la soirée, juste que la nuit tombée , ils sont allés dormir dans une tente berbère , hors du palais. Irrité et découragé par les discours hypocrite des dignitaires religieux du ksar et leur lâches silences sur l’attaque de la caravane et des morts de la cité , comme si rien ne s’est passé et que les mourides (3) abattus étaient des feuilles mortes , tombées d’un énorme arbre touffu .
Il est resté longtemps éveillé en pensant à l’odieux évènement de cette journée. Une brise fraiche du matin du désert s’immisce dans la tente entrouverte. Le jour suivant s’est levé .
Jilla secoua de la main le raiis kafila qui ronflait encore.
« Si Mansour ! Lèves toi ! On doit quitter ce nid de vipères avant que le ksar ne se réveille et se referme sur nous ! »
Jilla , habitué à la justice coutumière tribale, très codifiée et encore en vigueur parmi les bédouins , était inquiet de la réussite de sa mission et redoute une vendetta. Le ksar est le fief de la zaouia hostile au pouvoir en place. Son escorte est en danger si une émeute éclate et l’affrontement sera cruel car il ne peut régler le litige avec les représentants de la zaouia secrètement impliqués.
Et la population de ce nœud caravanier faite soit d’oasiens sédentaires commerçants et
agriculteurs, soit d’esclaves noirs ,soit de propriétaires juifs résidents autochtones était incontrôlable .
Les rapports de force ne sont pas en sa faveur.

« Pour éviter d’autres pertes humaines, le départ doit être imminent ! » conclu jilla en s’adressant à Si Mansour, qui hochait la téte , en absorbant à chaque fois une gorgée de thé:

« Oui ! noble prince, même le prisonnier semble être un personnage important , vu l’insistance de le délivrer coute que coute. malgré leur assaut meurtrier ! » souligna approbateur Si Mansour.

Notes :
(1) pain traditionnel
(2) Caravansérail
(3) Adeptes de la zaouïa

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Si Mansour s’affairait à charger les malles sur ses méharis avec l’aide de ses compagnons, tirés brusquement de leur nonchalance matinale . Ayant décidé de soustraire le prisonnier de l’hystérie locale, jilla ordonna aux caravaniers de quitter le ksar et rejoignit les geôles du caïd . Aussitôt dit ! Aussitôt fait !
Ayant récupéré secrètement le prisonnier avec la complicité du chef berbère, Jilla et son escorte se faufilèrent à travers les ruelles désertes du ksar encore endormi. A quelques centaine de mètres de là, l’escorte aperçut la caravane qui l’attendait indemne, dissimulée dans une dense palmeraie. Sans cris et sans bruit , la caravane s’ébranla vers Zagora : sa nième étape. Zagora est la première capitale administrative et judiciaire du royaume , aux portes du désert , située à une vingtaine de kilomètre de Tamegroute , fief de la Zaouia Nacerie

La cité de destination a longtemps servie de lieu de repos aux caravanes qui traversaient la vallée du Draa.
L’oasis de Zagora a vu passer de nombreuses dynasties, et notamment celle des Almoravides, qui y a bâti une forteresse au sommet du mont Zagora.
Pendant de nombreux siècles, l’axe Marrakech, Tindouf et Tombouctou a eu une intense activité caravanière, reliant l’Afrique noire aux ports et villes impériales du Nord. Les attaques sur cette longue route étaient monnaie courante. Elles furent plus intenses encore quand les alaouites commencèrent à échanger l’or du Ghana, des esclaves et du sel. Au départ de Tamegroute , la caravane et de l’escorte de jilla marchent sur la trace de la mythique route transsaharienne, en compagnie des nomades berbères ,convoyeurs des caravanes des grands négociants jusqu’à Zagora. La marche fut rythmée par des haltes tantôt aux pieds des dunes, tantôt à l’ombre bienfaitrice des tamaris en longeant l’oued Draa et ses oasis verdoyantes. La caravane chargée de dattes et de sel , empruntait la piste du sud jusqu’aux dunes mobiles de l’erg Ezzahar (1) en suivant les points d’eau Elle progressait vers les grandes dunes chantantes de l’erg. Jilla fut émerveillé par le paysage mouvant où la lumière et le vent jouent avec le sable qui glisse. Les grains secs, infiniment multiples, poussés par le vent qui souffle, s’entre choquent et émettent un son , le tout fait penser à une voix humaine , ou un instrument de musique dans un silence de temple de prières .
Notes :
(1)le rugissant

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Arrivé aux alentours de Zagora , jilla décida de faire une halte pour passer la nuit avant de pénétrer dans la ville alaouite dont les rumeurs disent : qu’elle est souvent secouée par des troubles religieux . C’est depuis ce centre caravanier au XVIIe siècle que les tribus arabes Saadiennes conquirent tout le Maghreb aksa (1).
Le Maghreb (2) s’annonçait déjà avec la lumière couchante du soleil et la température qui baisse légèrement rafraîchissante. après une journée de traversée des dunes , sous un vent sec et brûlant charriant du sable , les chameliers installèrent leur bivouac au pied d’une immense dune isolée. La hauteur du sommet de la dune dépassait les soixante mètres.
Le lieu choisi par jilla comme position défensive les protégerait du vent et du regard. Jilla mit son prisonnier dans une tente au milieu du campement.
« Ainsi blottie, la caravane était invisible et à l abri d’une éventuelle attaque! » pensa jilla .
Un éclaireur nomade revenant de sa mission l informa que la caravane était dans l’erg lihoudi (3) et à proximité d’un ksar nommé Amezrou , habité par des berbères musulmans et une grande communauté juive avec leur synagogue . Ces juifs sont des spécialistes en métiers de joaillerie et bijoux en argent ou en bronze.
« Ce sont de pacifiques artisans ! » rassura l’éclaireur. « Par contre les berbères de ce ksar sont de bons musulmans, mais rebelles au pouvoir central du makhzen ou religieux des zwis (4)! » Ajouta t il avec précision.
Notes :
(1) actuel Maroc
(2) coucher du soleil
(3) Erg des juifs
(4) pluriel de zaouia
(5) arbuste touffu et rustique

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Après le souper typiquement bédouin par les saveurs du pain cuit sous la cendre, du lait de dromadaire, les parfums du thé chaud à la menthe et la mélodie du luth soudani de Si ahmed le conteur de Tombouctou ; jilla , sentant la fatigue , se retira sans bruit de la veillée et s’en alla inspecter le prisonnier avant de s’étaler sur une natte d’alfa devant la tente , les mains derrière la nuque et les yeux scrutant un ciel brillant de mille étoiles scintillantes .
« La voila , notre belle étoile ! » s’émerveilla t’il en localisant celle du berger . Il eut la chance de faire un vœu car ses lourdes paupières finirent par tomber.
Jilla fut réveillé par un bruit sourd d’avalanche. Lorsqu’il ouvrit les yeux, il eut de la peine d’y croire.
Des boules difformes dévalaient du haut de la dune soulevant un nuage de poussière. Les dromadaires effarés se levèrent en blatérant et le cheval de jilla se cabra en hennissant. Jilla tira un coup de feu en l’air pour donner l’alerte. Trop tard ! Des individus armés non identifiables tombèrent tels des sauterelles sur le bivouac endormi. L’effet de surprise passé, des cris stridents de ‘’ Allah wa akbar ‘’fusèrent de partout annonçant une attaque meurtrière. Le campement fut submergé d’assaillants, les makhazni encore sous le choc , couraient dans tous les sens , les uns tiraient des coup de fusils sur des cibles mouvantes, d’autres combattaient au sabre , les caravaniers ne pouvant riposter , essayaient d’enfourcher leur monture abandonnant leur chargement.
Si ahmed le chantre soudanais accourut vers jilla qui pénétra dans la tente du prisonnier et l’informa .
« Noble prince ! Si Mansour fut poignardé dans son sommeil et les nomades ce sont enfuient ! »
« Prends mon sabre et détache les pieds du prisonnier ! On l’emmène ! », « il sera notre bouclier ! » ajouta jilla stoïque . Il se retourna menaçant avec son pistolet vers le prisonnier qui ricanait cyniquement. « wallah adim(1) si tu ne les sommes pas d’arrêter le combat ? – je trouerais ta tète de haya semiya (2) ! » pour appuyant son serment, il lui mit le canon d’acier sur son crane rasé, sa barbe au henné a frémit et son sourire devient blême. Ils poussèrent le mouride devant eux et sortirent de la tente. Dehors ! le corps à corps faisait rage , ponctué de cris « Allah wa akbar ! » des assaillants comme des assaillis.

Notes :

(1) par dieu le tout puissant !
(2) reptile venimeux

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Profitant de la mêlée, Jilla suivi de Si ahmed le chantre soudanais , tout en entrainant le prisonnier , tenta une brèche pour se mettre à couvert derrière un touffu tamaris , ou s’était dissimulé déjà un couple de serviteurs que la peur avait pétrifiés.

Là, jetant bas son tarbouche rouge et sa tunique couleur datte de makhazni , il somma l’homme noir de se déshabiller et s’activa à enfiler sa modeste abbaya et mit le châle de la servante sur la tète du prisonnier . Si ahmed qui faisait le guet s’écria , donnant l’alerte :

« Sidi ! Sidi ! un cagoulé, armé d’un sabre, accourt vers nous ! ». « Cache toi et laisse le s’approcher ! » rassura jilla tout en enfonçant d’une main la tête du prisonnier dans l’arbuste et de l’autre brandissant son pistolet.

Dés que l’homme en cagoule, essoufflé, fit irruption derrière l’abri, avant de réaliser le danger , il reçut à bout portant le coup de feu de jilla , atteint en plein thorax , il s’écroula raide comme un tronc d’arbre mort . Si Ahmed le débarrassa de son sabre , tout en lui enlevant la cagoule .

Sans surprise ! Ils découvrirent un visage aux yeux globuleux, cernés de k’hôl (1) et couvert d’une barbe noire et hirsute.

« Encore un exalté de mouride ! » constata amèrement Jilla en rechargeant son arme.

Il jeta un coup d’œil sur le bivouac ! C’est un vrai désastre ! Le choc était terrible , l’attaque et la riposte furent sanglantes, de nombreux corps inertes gisaient sur le sable entaché de sang ! Surpris dans leur sommeil, certains makhazani furent poignardés ou égorgés froidement, d’autres eurent juste le temps de tirer une salve avant d’être envahis par les assaillants plus nombreux dont certains jonchaient , aussi le sol , comme cadavres.

Ayant trouvée la tente du prisonnier vide, ils enragèrent encore plus de colère et s’acharnèrent à le trouver parmi les autres tentes. ils mirent le feu aux chargements et malles de la caravane par dépit.

Evitant le combat pour soustraire le prisonnier , jilla et son groupe ce sont retirés furtivement , loin du champ de bataille , se faufilant d’un arbuste à un autre. Nul ne les traquait ! Leur repli fut réussi. Les cliquetés des armes et les détonations se firent lointains, puis s’éteignirent. Le prisonnier poussé en avant, le canon de jilla entre ses omoplates, grognait et blasphémait sous le châle de la servante qui aidait son mari à suivre péniblement Si Ahmed .

Notes :

(1) poudre noire pour maquiller les yeux

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Arrivés au creux de deux dunes, les rescapés de l’attaque, complètement désorientés, firent une halte pour faire le point. Jilla ignorant totalement le chemin vers Zagora , se fiait au chantre soudanais qui semblait avoir quelques ingrédients de pistage !
« Nous avons bifurqué à l’Ouest de la piste menant à la ville ! » informa Si Ahmed . « Alors revenons sur nos pas ! les attaquants n’ayant pas trouvé le prisonnier ont du quitter le bivouac pour leur zaouia au Sud ! » expliqua jilla.
Si ahmed se mit à genoux , comme s’il allait se prosterner , et plaqua un moment son oreille sur le sable puis se releva en avertissant :
« Des chevaux et des dromadaires galopent vers nous ! » « fissa ! fissa ! (1) cachez vous à l’ombre de la dune ! » dit jilla au couple de serviteurs et s’adressant au chantre soudani :
« Si Ahmed ! Aides moi à couvrir le prisonnier avec du sable ! »

Ce dernier, une tête dure, opposa une résistance et demanda à boire ; jilla sortit sa gourde et l’abreuva . Du crane rasé. il reçut un regard enflammé , comme remerciement .
Après l’avoir solidement ligoté et bâillonné avec le châle qui l’avait
couvert durant toute leur retraite, jilla le renversa dans le trou que Si Ahmed a
creusé avec ses mains dans le sable mou et fin du pied de la dune.

Excepté le mouride à moitié enseveli qui gémissait, les serviteurs couchés sur le sable prés de Si Ahmed serrant fortement la poignée de son sabre et jilla hissé sur le sommet de la dune pour scrutait l’horizon , retenaient leur souffle , craignant le pire .

L’Erg s’étend à perte de vue devant lui , les dunes fixes semblaient se mouvoir dans la direction du souffle du vent . A l’œil nu ,on peut percevoir l’effet du mirage , lorsque les grains de sable déplacés , viennent abaisser et élever les cimes des dunes dans un rythme d’alternances donnent ainsi l’impression visuel d’un mouvement de dunes .

Dans cette vue féerique, l’œil perçant de Jilla discerna au loin un nuage de poussière entre les dunes qui s’amplifiant s’avançait vers eux . Au détour d’une dune voisine de leur cachette , surgissent des chameliers avec des litham (2) bleus couvrant leurs visages et d’amples burnous bleus flottants dans le vent .
Jilla se laissa glisser au bas de la dune en criant joyeux à ses compagnons :

« Levez vous ! Levez vous ! Ce sont les berbères, hommes bleus du désert ! »

Notes : (1)vite ! vite !
(2 ) chèches

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Le chef de la cavalerie berbère, venant du ksar d’Amezrou , village fortifié datant du XVIIIe siècle, à 2 kms de Zagora , aperçut les fuyards , mit pieds à terre et accouru vers eux en se découvrant . Un beau Gétule, cheveux blonds-roux et yeux clairs , salua en berbère, inquiet.
«Azul ! (1) Amek tettiliḍ ? (2) –Vous n’êtes pas blessés ? –On a entendu des coups de feu ! »
Jilla secouant sa abbaya du sable de sa chute, comprenant le dialecte de son aïeule, mais ne pouvant lui répondre promptement, lui répondit en arabe bédouin du désert en exhibant son sauf conduit .
« Je suis le chef d’escorte, mandaté par le nadir des M’hadid de Tafilalet pour convoyer un prisonnier qui doit être jugé pour tentative incendiaire à Zagora ! – Notre bivouac fut attaqué à l’aube par des hommes cagoulés ! –Notre rais kafila fut assassiné par traitrise et sa caravane décimée ! — leur objectif principal est libérer notre prisonnier , — l’un d’eux est un barbu de la zaouia ! — je l’ai exfiltrer » termina jilla en désignant le mouride à moitié enseveli.
Pendant qu’il rapporté les faits au chef amazigh , des chamelier voilé d’indigo, « surement sa garde rapprochée ! »: pensa jilla , se détachèrent de la cavalerie et s’approchèrent des fuyards et les encerclèrent .
Le prisonnier se débattait dans sa fausse tombe de sable en grognant. Jilla l’aida à se redresser et dés qu’il lui enleva le bâillon , il apostropha les berbères en criant . « Nobles amazighs !
ce jeune homme est un mekhazeni kafir (3 ) attitré du sultan Slimane ! –il a abattu de sang froid un musulman devant nous, les serviteurs sont témoins. »
Le chef berbère le toisa d’un dur regard de colère et lui rétorqua en arabe coranique.
« Un musulman ? –Toi aussi , tu prétends l’être et djihadiste en plus ? –Tu estimes agir au nom de l’islam. . –Mais de quelle religion tu parles où l’atrocité, la violence et la terreur sont ses actes quand l’islam prôné par le Prophète Mohammed ( saws) est basé sur la tolérance, l’amour du prochain et la paix . Le mouride rivé par les paroles du chef amazigh , blêmit et écarquilla les yeux , se sentant soudain en danger , et resta bouche cousue . »

Notes :
(1) Salut
(2) Ça va bien
(3) mécréant

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Les Gétules récupérèrent les fuyards en les enfourchant chacun derrière chaque chamelier de leur cavalerie et s’ébranla vers le Ksar berbère . L’un de leur lieutenants a déjà cédé son cheval au prince bédouin , un autre hissa sur le dos d’un méhari , couché tel un colis , le prisonnier ligoté .
« L’embuscade et l’attaque surprise des mourides pour libérer un des leur sont des signes que la zaouia ne désire pas qu’elle soit devant le juge ! » conclua Aksel , le chef berbère .
« En effet Agma (1) , leur cagoules en sont une preuve de dissimuler leur jeu sordide dans la fitna générée contre le sultan !» approuva jilla qui chevauchait à ses cotés . Après une heure de marche lente à travers les dunes, ils arrivèrent au Ksar.
En chemin, au fil des ruelles du ksar d’Amezrou , bordées de magnifiques jardins et de maisons de pisé aux portes et fenêtres en bois de palmiers , Aksel renseignait à chaque fois le prince .
« Tu vois ! notre ksar est entouré de palmeraies , loin de l’oued Draa , leur irrigation se fait par l’eau, tirée des puits par des ânes qui tournent et distribuée équitablement par des fougaras –Notre peuple vit de la culture d’excellentes dattes et maraichages divers sous les pieds des palmiers . –Regarde cette mosquée avec son haut minaret en pissé dans la kasbah berbère ! et là bas en retrait, cette vieille synagogue ! au milieu du vieux derb yahoud (2) et ses échoppes de joaillerie ou une grande communauté juive ben yamine vit en paix avec nous ! »   –Notre tribu a des chevaux et des dromadaires pour protéger les caravanes dans l’erg dunaire, ayant préservé non seulement la langue et l’habillement berbères, mais aussi tous les usages de notre peuple ». –Nous n’avons aucun lien avec les sectes islamiques radicales. – Ces faux dévots voient la pratique de notre foi très imparfaite et parfois tournée en dérision ou perçue comme hérétique. –Nous sommes contre le culte des saints ou des marabouts ! Ce n’est pas le cas des autres berbères de beni ifran , leur alliés mal éduqués dans le message de l’Islam et ses vrais idéaux , utilisent le charlatanisme contre le sultan en proclamant leur propre interprétation de la foi. . — C’est ce qu’a cru le prisonnier dés qu’il nous a vu ! » termina le chef Gétule Aksel en arrivant devant la maison du mejeles des aguellids (3) dite dar jema3a (4) .
Des badauds accoururent à leur rencontre, de vieux hakims (5), assis paisiblement devant la porte , se levèrent , laissant le passage. La cavalerie mit pieds à terre, les hommes bleus descendirent le prisonnier de sa monture et le poussèrent à l’intérieur suivi du chef amazigh et de jilla . C’est une grande bâtisse ou un vieil homme, vêtu d’une ample robe bleue et d’un litham noir coiffant sa tête , voilant son visage et couvrant ses épaules , était assis sur un tapis , récitant à haute voix le livre sacré posé sur un porte coran en bois sculpté.
Notes :
(1) Mon frère !
(2) Quartier juif
(3) maison des rois
(4) parlement berbère

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L’ancêtre dérangé dans sa lecture, leva ses yeux et interrompant sa récitation , referma le livre , se pencha pour poser un baiser sur lui et se redressa , l’œil interrogateur . « Salam alikoum ! Azul ! –Que se passe t-il ? –Pourquoi cette intrusion ? » Demanda t’il en tamazight avec calme au chef berbère qui s’est incliné avec respect devant lui. « Pardon honorable Amghar (1) et vénérable cheikh ! –Nous vous présentant le prince jilla du ribat (2) des chérifs du désert , il est porteur d’un sauf conduit du sultan Slimane ! »
« Marhaben ! » salua le cheikh en les invitant, de ses deux paumes sur le tapis, à prendre place à ses cotés et désignant de son index l’endroit aux gardes et au prisonnier ou ils devaient s’assoir , en face de lui . Aksel s’approcha de l’Amghar , embrassa sa tète et s’assied à sa droite . Jilla l’imita machinalement et s’installa à sa gauche. Les gardes firent agenouiller le prisonnier et restèrent à un écart respectable, séparé du cheikh, par le porte coran supportant le livre sacré.
Jilla fit le rapport complet de sa mission d’escorte au cheikh devant une assistance silencieuse, ponctuée de temps à autre de toux rauques de vieux sages de la djemaa (3) qui ce sont joint à elle sans bruits. La parole fut donné au prisonnier qui récusa tous les faits en se déclarant innocent et accusa même le prince d’assassinat. On fit venir le couple de serviteurs et Si Ahmed le chantre soudani qui accablèrent le mouride par leurs témoignages.
« Honorable amghar ! l’émir jilla nous a sauvé et a protégé avec courage son prisonnier contre des agresseurs cagoulés dont la victime faisait partie et qui nous pourchassait avec son sabre ! leur horde nous a attaqués dans notre sommeil , ils ont égorgés des makhazni , des esclaves , des caravaniers ainsi que notre raiis kafila Si Mansour , déjà bléssé dans une attaque précédente , ils ont incendiés et dilapidés les chargements de notre caravane . » témoigna Si Ahmed , la main sur le coran . Un tulmute sourd s‘éleva dans la salle, désapprobateur. Le cheikh leva la main pour ramener le silence et dit d’une voix triste et ferme au chef berbére : « Rais aksel ! je t’ordonne de partir au lieu du bivouac et de ramener les morts pour les enterrer dignement ! » et se retournant vers jilla , lui dit : « Noble émir , vous et votre prisonnier , vous êtes sous notre protection , jusqu’au retour du chef de la cavalerie ! » et ordonna aux gardes : « Emmenez ce zendik (4) et mettez le au cachot ! Vous en êtes responsables ! » Le public nombreux dans la salle poussa un ouf de soulagement , certains suivirent les gardes et le prisonnier , d’autres amghar s’approchèrent de jilla voulant l’étreindre et le cajoler .

Notes :
(1) Chef du village
(2) Couvent
(3) Assemblée des sages
(4) (4)Hypocrite

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Les vieux sages berbères en burnous de grosse laine blanche et fortes moustaches blanches se serraient autour de Jilla sous l’œil impassible du cheikh et Amghar du ksar ! Ils le bombardaient de questions sur ses origines, ses aïeux, sa tribu, son père , son rang , ses gens , sa contrée , la steppe , l’au delà du Draa . Jilla y répondait gentiment, tout fier de tant d’intérêt à sa personne. Chacun disputait son hébergement ! L’Amghar trancha subitement en se levant :
« Le prince jilla est mon hôte ce soir et vous êtes tous invités au diner ! »,
« Tanmirth ! (1) » remercia jilla , se rappelant de ce mot de gentillesse que sa mère Oum keltoum répétait souvent quand il lui ramenait le lait de ses brebis .
Lorsqu’ ils quittèrent la Akham (2) djemaa vers la maison du chef du ksar , des Azul (3) bienveillants fusent de partout dans la rue , quelques téméraires tapotaient amicalement sur l’épaule de jilla , qui ému proférait poliment des « Tanmirth ! » timides à chaque fois .
Son exploit d’avoir traverser la zone périlleuse de la zaouia rebelle avec un prisonnier mouride s’est répandu comme une trainée de poudre. Même les akchich (4 ) et les femmes sortaient de leur chaumières pour le voir . La rumeur : « Un prince arabe a ramener un irhabi (5) au crane rasé et barbe au henné » a fait le tour du village berbère . Quoique convertis très tôt à l’islam , les hommes bleus ne se sont jamais soumis aux normes culturelles arabes . Jaloux de leur autonomie politique , culturelle et économique , ces farouches berbères n’ont jamais servi avec bonheur et passivité les seigneurs arabes. Leur pratiques antéislamiques n’entament en rien leur foi de croyants sincères , au contraire, ils essayent à pratiquer l’islam dans leur propre contexte culturel et à leur façon. , loin de l’orthodoxie musulmane, comme le culte des saints . ils considèrent certaines traditions prônées par certaine zaouïa, comme la prière à un saint, comme hérétiques .
La maison du chef du village était une modeste habitation dans une ruelle de la casbah , rien ne la différence des autres maisons voisines , construites en pisé et blanchies à la chaux . . Notes :
(1) Merci !
(2) maison
(3) salut
(4) Enfants
(5) Terroriste

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Le vieux amghar poussa une porte en bois , peinte en vert , qui s’ouvrit sur une grande cour rectangulaire .
Jilla franchissant la porte d’entrée derrière l’Amghar vit une véranda au toit en chaume et ses deux troncs de palmiers comme piliers prolongeant une belle bâtisse en terre crue. A sa gauche se trouve une étable et un grenier ou des traces de foin jonchaient le parterre . A sa droite, vu le rangements des fûts, des dépendances servant pour le stockage de l’eau, de la nourriture ou du bois . Une imposante cheminée en pierres partant du sol, indique la cuisine ou des silhouettes féminines semblaient épier son entrée, presque visibles derrière un rideau .
Le vieux amghar ayant perçu le regard de Jilla et qui a baissés les yeux avec pudeur sourit et lui dit :
« Ce sont mes filles et leur mère ! —tu es chez toi , noble prince ! »
« tanmirth honorable cheikh ! » lui répondit Jilla en le suivant .
Ils traversèrent la véranda et pénétrèrent dans un grande salle sobre à la décoration simple , typiquement berbère , par ses tapis , ses peaux de moutons , ses tables basses ,ses bibelots et petits meubles , objets d’une vannerie traditionnelle .
Une large cheminée à l’âtre éteint dominait tout le mur face à la porte ,un tapis aux signes et couleurs vives couvrait toute la salle , des matelas couverts de couvertures en laine à rayures multicolores servant de banquettes munies d’oreillers aux taies décorées . le cheikh pieds nus , prit place sur l’une d’elle . Jilla l’imitant se déchaussa et prit place sur une autre , face au cheikh qui lui lança un oreiller en l’invitant .
« Mets le derrière ton dos et sois à l’aise !» et ajouta en se redressant :
« Je vais chercher le thé ! akham akhamek (1) ! »

Notes : (1)La maison est la votre

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L’honorable vieux Amghar revint avec un joli service à thé , plateau et théière fassis gravés , deux verres en cristal fin à thé et un bouquet de menthe fraiche , embaumant la salle des invités .
il le posa délicatement sur la table basse , couverte d’un tapis berbère en laine fine à rayures colorées , se servit et s’assit devant jilla .
« Dégustez notre thé d’amitié, noble émir ! – prenez garde ! il est brulant.» lui dit il après avoir bu une gorgée bruyamment. Jilla pour prouver sa confiance et son respect à son illustre hôte , fit de même, en buvant du bout des lèvres , sans bruit . Le vieux cheikh sourit et lui dit :
« Vos aïeux ne sont idrisides que par l’alliance de votre vénérable aïeule berbère, ils n’ont rien à voir avec les alides (1) , –Nos sources disent que ce sont des arabes musulmans sunnites venant de Yanbu3 (2) du hijjaz à Sijilmassa. « Votre aïeul Si Chérif était un moudjahid ayant participé à la guerre sainte pour la réunification des taifas (3) d’Andalousie , il a combattu avec les Lemtouma, nomades Sanhadja du désert qui conquirent une bonne partie du Maghreb et de l’Espagne! Ensuite fuyant Sijilmassa devenue kharidjiste et les révoltes berbères.
Jilla écoutait pieusement, tout en sirotant son thé. Le cheikh continua son discours dans un ton grave.
« jaloux de sa foi et son honneur de guerrier , il fonda un ribat (4) au nom d’un Islam pur, régénéré dans la rigueur et l’ascétisme avec sa tribu dans le sahara au-delà de l’oued Draa , loin du makhzen dans une région, lieu de passage des grandes caravanes en provenance d’Orient et d’Afrique –On sait que votre islam , d’orthodoxie dite malékite , est éclairé , qui se distinguait par une vision modérée de l’Islam , celui des premiers souhaba (5) , la preuve , vous n’aviez pas de zaouïa et vos esclaves sont des affranchis.»
A ces derniers propos ! jilla osa avec conviction : « Esclaves ou émirs — Arabes, berbères, noirs africains , subsahariens ou andalous ? –Nous sommes surtout des musulmans ! » Le cheikh hocha la tête l’approuvant. Des voix se firent entendre à l’extérieur, le cheikh se leva et quitta la salle pour s’enquérir du brouhaha .

Notes :
(1) Dynastie alaouite
(2) Cité du hijjaz au bord de la mer rouge
(3)Principautés en Andalousie musulmane
(4) Couvent et garnison
(5) Compagnons du prophète Mohamed (saws)

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Le prince Jilla , resté seul dans la taddart (0) du chef du village berbère , méditait les paroles de ce dernier :
« Nos sources ! nos sources ?
– De quelles sources cite le vieux amghar ? »
S’interrogea le jeune émir ! sachant que le peuple berbère est de tradition orale bédouine , répandue dans tout le désert et n’ayant aucun manuscrit historique en langue berbère. « Surement celles transcrites en arabe du makhzen régnant et véhiculées dans tous les dialectes , comme le sanhaji et le chleuh du sud du royaume ? – En effet l’amghar est aussi un érudit docteur de la foi musulmane » conclu jilla convaincu, se rappelant les récitations coraniques du vieux cheikh , lors de sa première entrevue dans la dar djemaa (1).
« Les hommes bleus du Sahara qui portent la daraa (2) bleue , et le tagelmusts (3) de meme couleur indigo ont joué un rôle important dans la diffusion de l’islam en Afrique subsaharienne jusqu’à Tombouctou , lors du commerce transsaharien des épices, des minéraux, des animaux et des textiles. –Ce sont aussi de redoutables guerriers et d’intrépides cavaliers à dos de cheval ou sur leur fougueux dromadaires, parfois ils protègent les caravanes sur leur territoires en contre partie d’une rançon qu’on leur attribue volontairement . –,leur vêtement bleu symbolise la pudeur et la modestie , sa fonction première est de les protéger du soleil, ainsi que des fréquentes tempêtes de sable du désert d’où leur refus de porter des robes blanches de soie ou noires considérées de deuil
–Ces bédouins sont aussi des pasteurs nomades , certains sont sédentaires dans des villages fortifiés . » lui a confié un jour Sidi , son vénérable père .
« Quand on parle du dib (4) ? il surgit ! »
se dit jilla en percevant d’abord des échanges de voix et ensuite l’irruption dans la salle de diaf (5) , du cheikh et du chef de la cavalerie qui l’a secouru. Il se redressa sur ses jambes les accueillant ! Inquiet ! il s’adressa au chef berbère :
« Salam ! noble raiis jund (6) ! aviez vous trouvé des survivants ? »
« Oui prince jilla ! et j’ai une bonne nouvelle pour vous ! »

Notes :
(0) Maison
(1) Assemblée
(2) une robe longue et ample
(3) un voile de tissu utilisé comme un turban
(4) chacal
(5) Invités
(6) Chef de cavalerie

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Jilla fut aux anges quand il sut que le cheval de la princesse lalla zohra fut ramené par la cavalerie berbère . « D’après un makhazni parmi les survivants que nous avons secourus ! il a désarçonné un des assaillants et prit le chemin du retour au ksar de sa maitresse. – C’est le seul cheval arabe que nous avons intercepté! –Toujours d’après ce témoin ! C’est celui que vous montiez pendant votre escorte. –Nous l’avons remis à votre compagnon noir du blad soudan (1) » rassura , en terminant , le chef berbère . Retenant sa joie , Jilla osa une dernière question : « Qu’en est il du corps du rais kafila (2 ) Si Mansour et des victimes ? »
« Allah yerham houm (3) ! nous les avons tous enterrés dignement suivant la charî’a !(4 ) ainsi que les cadavres des agresseurs cagoulés ,» répondit le chef berbère , en soutenant le regard interrogateur du vieux Amghar silencieux . Ce dernier, sortant de son mutisme religieux, leva les bras en l’air et ordonna une prière : « Allah yerham dahaya(5) wa yaghefar li dalimine (6)! –Qu’Allah mets fin à cette fitna (7) entre musulmans !» « –Amine ! » répéta la djemaa (8) en chœur après lui .
L’amghar : fakih (9) et premier notable du ksar berbère fut souvent médiateur dans les conflits et révoltes contre le sultan Slimane . Moulay Slimane a dressé contre lui de nombreux opposants, surtout dans les zaouïas mystiques en luttant contre les marabouts et les moussem (10) autour de leurs tombeaux et leur vénération , le pèlerinage à leurs sanctuaires et le recours à leur protection . La Hiloula, ou moussem,est un aspect du patrimoine juif donc cette dernière pratique est une invention des wlad blad, (Musulmans descendants de fassis juifs convertis),. Il s’inspirait de la réforme wahhabite qui venait de triompher en Arabie avec les Ahl Saoud . Mais ces tentatives de réforme islamique ne firent qu’engendrer la révolte populaire.
Notes :
(1) Soudan aujourd’hui représenté par le Mali, le Niger, Nigéria, Sénégal.
(2) Chef de la caravane
(3) Dieu les bénisse !
(4) Loi musulmane
(5) L’assemblée
(6) Que dieu bénit les victimes
(7) Discorde
(8) Et pardonne les agresseurs !
(9) juriste, connaisseur des règles de la Charia
(10) Rassemblements festifs

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Après le ghadaa (1) offert en son honneur par l’Amghar du ksar berbère , Jilla se permets une ballade dans le ksar accompagné de Si Ahmed le chantre soudanais . Son souhait fut de visiter le Derb lihoud (2) . Une curiosité pressante le poussait à connaitre ce lieu et ses habitants, guidés par le raiss jund (3) , ils s’en allèrent à l’encontre de cette communauté juive considérée ailleurs , comme dhimie (4) payant la jizia (5) et si souvent : persécutée, pressurée, et marginalisée.
Empruntant sans cesse un dédale de ruelles étroites et ombragées et des arcades de souks animées de clients et de commerçants , Les gens , passants ou boutiquiers , se ressemblent tous dans le costume berbère, le mode de vie, les habitations et jusqu’aux artisans : forgerons, orfèvres , bijoutier , .armurier, cordonnier, matelassier… Jilla ne voyait aucun attrait différent du monde musulman , impatient ! il fini par demander à leur guide :
« Mais ou sont les juifs ? »
Le raiis jund éclata de rire et s‘exclama : « Vous êtes au milieu de leur derb , la synagogue est derrière ce pâté de maisons , cachée par la voute de la ruelle ! » Impossible de discerner un juif d’un musulman ! Jilla n’en croyait pas ses yeux ! La caricature maléfique du juif , avec kippa et costume noirs , cheveux longs tressés , dos courbé et ongles longs et sales qu’avait Jilla dans son esprit , s’évapora subitement . C’est cette image du juif qu’il cherchait partout parmi la foule ou devant les échoppes. Peine perdue ! D’une boutique d’un tapissier , bien achalandée, mais déserte, sortit un vieux commerçant et héla jilla , qui passait avec ses compagnons :
« hé Chidi ! Shalom Chidi ! (6) venez voir mes tapis d’orient ! –je vous ferais un bon prix » dit il en s’agrippant à son bras .
« Non ! je n’ai pas besoin de tapis ! Je suis juste de passage ! » répondit jilla en voulant se dégager. Le vieux tapissier , ressemblant à un quelconque caravanier nomade avec son turban et sa longue robe blanche , insista en serrant doucement ses doigts .
« Saha chidi !(7) N’achetez rien ! –mais faites moi juste l’honneur avec vos amis de voir ma marchandise » dit il en l’entrainant à l’intérieur de sa boutique.
Là , le lâchant , il s’empressa de dérouler pèle mêle sous ses yeux de magnifiques tapis perses et arabes tout en précisant leur origine . « Celui ci vient d’Hispahan ! celui-là de Baghdad ! »
Notes :
(1) Diner
(2) Quartier juif
(3) Chef de la cavalerie
(4) Minorité non musulmane
(5) l’impôt
(6) « Salut mon seigneur ! »
(7) « D’accord ! mon seigneur ! »
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Jilla confus , devant l’étalage à ses pieds du nombre de tapis, qui étaient bien enroulés et agencés avec soin à leur entrée , ne cesse de s’excuser auprès du vieux boutiquier : « Ya mohamed ! je n’ai pas besoin de tapis ! — je vous dis que je suis juste de passage et je n’ai pas de maison pour la tapisser ! » A ces propos ! Ses compagnons éclatèrent de rire , sous l’œil amusé du boutiquier qui exhiba un menu tapis de prière et le mit sur le bras de Jilla :
« Saha Chidi ! Prenez ceci pour 1 petit dirham ! » excédé Jilla paya et sortit de la boutique . Une fois dehors ! il fit front à ses compagnons qui répétaient en riant : « Ya mohamed ! ya mokhamed ! »
« Pourquoi vous riez en prononçant le nom du prophète ? –C’est notre coutume , lorsqu’on interpelle par respect un étranger ? » expliqua Jilla , l’air renfrogné.
Le voyant vexé , Si Ahmed et le raiss jund s’approchèrent et lui avouèrent la raison de leur hilarité : « Noble prince ! ne vous offensez pas ! –ce vieux commerçant est un juif ! — son accent le prouve ! puis il a fini par vous vendre un tapis malgré votre refus ! — Noble émir ! le commerce représente une spécialité dans laquelle excellent les juifs et que l’ économie traditionnelle de notre ksar est marquée par un quasi-monopole de l’artisanat juif ! — les juifs sont protégés par les notables, les chefs des zaouïas et les amghar des tribus pour assurer la continuité du commerce et l’artisanat dans tout le Tafilalet, ainsi que dans les vallées du Draa . – Le statut de «Dimmi » garantit leur vie, leurs biens, aussi que le respect tant de leur culte que des règles de droit qu’ils s’appliquent à eux –mêmes . –Mais cela, sous réserve par eux, de payer la «jizia »(2) – expliqua avec moult détails le raiis jund (1) à jilla , tout en déambulant ensemble dans les ruelles paisibles du Ksar d’amzrou. Puis lui tapotant amicalement le dos , il lui dit !
« Voilà une Moussala (3) Noble émir ! rentrons prier ! c’est l’heure du Asr (4)! ». Jilla confondu , ne s’est pas aperçut qu’ils ont quitté , voilà bien un moment , le Mellah (5). Jilla venait de découvrir que la communauté juive tant décriée et défigurée par la tradition orale bédouine, fait partie intégrante du paysage socioculturel du ksar , vivant libre et en osmose avec les berbères musulmans »

Notes !
(1) Chef de la cavalerie
(2) impôt spécifique pour non musulman .
(3) Salle de prière de quartier ou souk
(4) Prière de l’après-midi
(5) Quartier juif

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La cavalerie berbère de l’Amghar était chargée d’abord d’assurer la sécurité du ksar , ensuite de protéger les caravanes qui passaient sur son territoire contre rançon de leurs négociants. Les hommes bleus ayant fait la moubaya’a (1) avec le sultan alaouite de Fez ,Moulay Slimane , respectaient son makhzen et aidaient ses représentants . Cette fois , elle escortait Jilla , mandaté par le Naqib (2) du roi et emmenant son prisonnier , le chef mouride incendiaire du ksar des M’hadid , chez le Cadi (3) de Zagora pour être jugé . La caravane de Si Mansour , blessé et assassiné dans son sommeil , et l’escorte makhaznie de jilla furent décimées jusqu’au dernier homme . n’ont survécus que quelques serviteurs dont Si Ahmed le chantre et guide Soudanais . Ces rescapés étaient les seuls témoins de l’embuscade meurtrière des mourides. La région fait face, depuis un certain temps, à une série d’attaques dans plusieurs ksars de la province de Zagora. La plus récente est celle survenue à l’escorte de jilla , hier , très tôt le matin. Le bilan fut très lourd , d’après le rapport du raiis jund qui est revenu sur les lieux :
« Nous avons enterrés vingt morts ! six makhazni égorgés , troix caravaniers poignardés et onze hommes cagoulés tués par des armes à feu , toute la caravane fut pillée et le reste incendié »
Les forces du mal sont plus que jamais décidées à commettre leur forfait coûte que coûte pour des raisons propres à elles seules .
Oui ! les mourides cagoulés estiment agir au nom de la religion musulmane. Mais quelle religion musulmane où l’atrocité, la violence et la terreur sont leur seules actions ? Faisant fi du fait que l’islam prôné par le Prophète Mohamed (saws)(4) est basé sur la justice , l’amour du prochain et la paix .
Le prophète, dans sa khotba el wada’e (5) a été catégorique, dans son dernier message pour l’égalité des hommes dans les termes :
« Ô peuple, votre Seigneur est unique, et votre père est unique : vous êtes tous issus d’Adam, et Adam est issu de la terre. Le plus noble d’entre vous aux yeux d’Allah est le plus pieux : L’Arabe n’a aucun mérite sur le non-Arabe autre que la crainte de Dieu. » Une telle insistance sur l’égalité et la fraternité ne se retrouve nulle part ailleurs. L’Islam est une grande force morale pour faire respecter l’égalité et la justice ! C’est pourquoi les peuples opprimés en firent un étendard.

Notes :
(1) Pacte d’allégeance
(2) Représentant du makhzen
(3) Juge musulman
(4) « Que la paix soit sur lui ! »
(5) Sermon d’adieu !

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Les cavalerie berbère , armée jusqu’aux dents , escortait jilla et ses compagnons . Jilla enfourchant berk’(1) , le fougueux alezan de lalla Zohra , était en tète avec le raiis jund (2) et ses quatre lieutenants voilés , derrière eux , une trentaine de cavaliers formait un imposant escadron , munis de sabres et boucliers. A l’arrière de la cavalerie, des chameliers montant des méharis (3) et encadrant le prisonnier, ligoté sur la selle d’une mule , suivaient lentement .
Avant de joindre la porte Sud de la ville de Zagora , le rais jund leva le bras stoppant net la cavalerie , deux cavaliers voilés venaient galopant vers eux .
Jilla les reconnu : ce sont les éclaireurs de l’escorte berbère . L’un d’eux se découvrant informa le chef :
« Raiis ! il y a des escarmouches, partout dans la ville , entre makhazni et des bandes d’émeutiers ! –même l’3amma (4) fait partie de la révolte , des meneurs en cagoules et armés la commandent ».
« Et daar koudate (5) dans la kasbah du roi ? » questionna inquiet le raiis jund .
« Non ! elle est indemne et protégée ! mais son accès est difficile ! il faut se frayer un chemin vers elle .
Le raiis se retourna vers jilla , travesti pour la circonstance en cavalier bleu , et lui dit : « Noble émir ! Rejoint ton prisonnier, bâillonne le et couvre le avec ton burnous bleu , nous allons pénétrer dans la ville , la traverser prudemment jusqu’au tribunal du roi et le remettre aux juges ! »
Sans attendre ! Jilla fit volte face avec son cheval et rejoignit l’arrière de la cavalerie.
La cavalerie franchit sans incident la porte Sud . Un calme comme celui précédant la tempête y régnait . La rue principale menant au grand foundouk (6) de Zagora, généralement grouillante de camelots , était déserte . L’escorte berbère , sur ses gardes ,avançait en rangs serrés , pas une âme qui vive ! Arrivée à l’entrée du souk , le raiis fit un brusque arrêt ,
Un vrai champs de bataille s’offrait à ses yeux dans un vacarme infernal : fait de cris d’hommes , de détonations qui se succèdent aux crépitements de fusils à pierres, des mourants qui hurlent de douleur , des torches enflammées qui sont lancées à bout de bras . Au nom de « Allah akbar et aux hennissements des chevaux de la cavalerie , chargeant pour frayer un chemin , les émeutiers surpris derrière leur barricades de fortune , s’écartèrent avec effroi de peur d’être piétinés . A l’autre bout du foudouk , sous les arcades d’où venaient les tirs , des éclats de joie fusèrent , enthousiastes .
« Dawria zerka’a ! Dawria zerka’a ! hamdou allah ! (7).
hamdou allah ! (7).
Cessez le feu ! Cessez le feu !».

Notes :
(1) Éclair
(2) Chef des cavaliers armés
(3) Dromadaire d’Afrique
(4) Populace
(5) Maison des juges (Tribunal)
(6) Caravansérail
(7) « la patrouille bleue ! la patrouille bleue ! Merci dieu ! »

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La charge surprise de la patrouille bleue fut impressionnante. En effet ! le coup de butoir inattendu et l’apparition de la célèbre « dawria zerka’a » à Zagora (1) dispersèrent les émeutiers qui couraient, effarés, dans tous les sens, dans le grand foundouk (2) et revigora les assiégés affaiblis par le nombre des insurgés. Ces derniers, dirigés par des meneurs aguerris, armés d’armes blanches et quelques fusils à pierres osèrent une faible résistance , ignorant l’intrépidité de la patrouille bleue , qui une fois arrivée devant les makhazni , leur fit front en un bouclier de chevaux et de méharis . Une fois les cavaliers et chameliers , alignés en rempart , le chef de la cavalerie ordonna une salve fournie qui mit fin au siège . fauchés par les coups de feu , ils cédèrent en s’enfuyant comme des lièvres . Les assiégés sautèrent de joie et voulurent les poursuivre ! Mais, le Raiis refusa et s’interposa avec son escadron.
« Il faut exterminer cette vermine ! » dit un chef makhazni hors de lui .
« Nous ne sommes pas votre renfort ! Nous avons un prisonnier à remettre au Cadi du roi ! » leur rétorqua le chef de l’escorte , tout en lui conseillant : « Soignez vos blessés et Ramassez vos morts ! » et il ajouta pour le rassurer : « Vingt amazighens (8) vont rester pour vous protéger ! Notre cavalerie continue son chemin vers la kasbah de l’honorable cadi de Zagora».
« Cette ville est un des plus grand centre caravanier du Sud , elle fut le de départ des conquêtes des Almoravides vers Sijilmassa,(3) ensuite vers tout le pays.
–C’est de là ! que partit l’expédition des Saadiens (4) vers Tombouctou en 1591 –Cette immense oasis et ses nombreux ksours et kasbahs dispersés autour de sa gigantesque palmeraie est le passage obligé de tout le commerce transsaharien et aussi le siège du Cadi (5) qui représente la justice du makhzen sur toute la région de tafilalet : des M’Hamid El Ghizlane ,Tamegroute , Erg Lihoudi au ksar Amzrou .
–L’imposante casbah fortifiée , qui a été construite depuis deux siècles par les “Engadi”(6) et qui abrite le Mejless kadaa (7) du Makhzen , se trouve içi à Zagora » expliquait le chef de « la patrouille bleue » à Jilla en se dirigeant vers la cour de justice.
Jilla et son escorte y arrivèrent sans incidents à ses remparts, assiégés aussi par une autre foule bigarrée d’émeutiers, vociférant des slogans contre le roi Slimane et des appels au djihad (9), accentués de cris d’ « Allah wa akbar ! ».(10)

Notes :
(1)Dernier ville du royaume alaouite , avant le désert
(2)Caravansérail
(3)Ville à l’Est de Zagora
(4)Dynastie arabe.
(5)Juge musulman
(6)Tribu arabe
(7)Cour de justice
(8)Guerriers berbères
(9) guerre sainte
(10) Dieu est grand !

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Zagora Véritable citadelle du désert et dernière grande oasis avant l’immensité du Sahara, fut aussi la capitale de la tribu Mezguida (1)
La kasbah du cadi est une place forte aux enjeux stratégiques importants pour les manifestants , s’ils arrivent à faire tomber le Cadi et sa suite , ils contrôleront toute la ville et le territoire qui l’entoure, ce qui peut faire pencher la balance en leur faveur. Ainsi, le siège du Mejless kada’a (2), est mené par des jund de l’aama(3 ) en révolte , tandis que la citadelle est défendue par des makhaznis , déclarés coupables d’hérésie pour avoir obéi au Cadi qui a et continue de condamner les révoltés arrêtés et ayant comparu devant lui .
La kasbah construite sur un piton rocheux domine la ville, les assaillants sont vus de loin et sa défense est renforcée et puissante et d’accès difficile. Les assaillants ne peuvent se permettre qu’un blocus humain fait de cris et gesticulations devant son entrée car la forteresse est imprenable , entourée de hauts remparts et le rocher , sur lequel elle se dresse , la rendant quasi inaccessible du côté Nord. À cette première barrière naturelle qui protège la forteresse , s’ajoute une petite fortification construite au sommet de la crête Nord, dominant la vallée Le seul accès à la kasbah se fait par le côté Sud, là où la pente est plus douce. C’est là que la ville est installée, sur la terrasse naturelle du mont de zagora . C’est l’œuvre stratégique des Engadi (4) ses premiers bâtisseurs.
Le siège est la seule solution des insurgés adeptes de zaouia . Les assaillants espèrent ainsi obtenir la reddition plutôt par l’usure et le temps que par la force , en coupant tout soutien, que ce soit le renfort militaire ou l’approvisionnement en vivres. Leur première action fut d’attaquer la kasbah par le Sud, en bombardant la façade à l’aide de lancées de pierres et de torches incendiaires qui se révèlent toutefois faibles contre la solide muraille. Certains émeutiers non cagoulés ,sont des berbères de montagne qui se sont révoltés en raison de facteurs raciaux. Si beaucoup se sont intégrés aux Arabes en raison de leur similitude chamito-sémitique, ceux qui ont des ancêtres vandales se sont senti humiliés par le pouvoir chérifien des alaouites et ont rejoint la révolte. Ce sont les plus irréductibles et farouches opposants . Ce sont eux , visant à détruire le portail d’entrée et pénétrer dans la forteresse , qui s’attaquaient déjà au pilier de soutien , en enlevant les briques , une par une , avec des barres à mine .
C’est leur idée ! devant la difficulté d’envahir la kasbah . Manifester bruyamment sans résultats, n’est pas dans leurs mœurs guerrières ! Au lieu de gesticuler devant les gardes juchés sur la haute muraille , ils s’activaient à réaliser une ouverture à sa base et ceci dans un angle mort , loin des guérites de surveillance .

Notes : (1) tribu berbère de la branche Sanhaja. (2)cour de justice (3) milices populaires (4)Tribu arabe

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Le raiis de la patrouille bleue , renseigné sur le nombre et les agissements des révoltés assiégeant la kasbah du cadi , décida de lancer une offensive pour les déloger et les forçant à abandonner leur siège .
Tenant un conseil ou briefing avec ses lieutenants et Jilla :
L’un d’eux avertit :
« un éclaireur que j’ai envoyé surveiller les alentours m’a informé ! –De violentes émeutes se déroulent sur la quasi-totalité de l’oasis ! »
Ravisé , le raiis jund , habile stratège , divisa sa cavalerie en deux groupes de guerriers voilés .
L’un composé de méharistes, sous son autorité et l’autre formé de cavaliers , protégeant jilla et son prisonnier à un de ses lieutenant. Arrivé à hauteur des murailles de la kasbah , le raiis jund prit position en avant pour voir le siège et s’en approcher pour décider de la manœuvre . La masse des émeutiers semblait très hostile et décidée à occuper la kasbah .Des meneurs cagoulés l’agitaient avec des discours de haine , certains brandissaient des gourdins , d’autres des sabres . Ce qui retenait l’attention du chef de l’escorte : c’est la porte , unique accès à la forteresse et le groupe d’individus gigotant tout prés d’elle . Avant de se jeter dans la mêlée ! il ordonna à ses lieutenants : « Notre objectif immédiat est de dégager l’entrée pour pouvoir y pénétrer chez le cadi et interdire aux émeutiers de le faire ! donc il faut les éloigner de cet endroit ! » Le plan d’attaque arrêté ! il donna l’assaut . Chargeant en tirant en l’air , la cavalerie fondit sur l’émeute comme un épervier . les manifestants pris par surprise se scindèrent en deux , éberlués ! Le premier escadron de la cavalerie fonça au galop vers la porte d’entrée ! Les saboteurs se retournèrent , le pilier qu’ils démolissaient était déjà entamé , ils brandirent leur barre de fer : c’est trop tard ! ils furent encerclés et coupés du gros de l’émeute. Le Raiis jund les somma menaçant en berbère :

« Dégager l’entrée , nous n’avons rien contre vous ! notre mission est de remettre un prisonnier au cadi du roi , conduit par un noble prince de tafilalet , le voilà !»

A ce moment , le second escadron de cavaliers voilés fit son entrée triomphante . L’un des saboteurs apostropha le chef de la cavalerie :

« Au lieu de nous soutenir , vous venez en aide au makhzen des envahisseurs et racistes ! » « Non ! mon frère en islam ! je soutiens la justice , — sans le cadi ? c’est himajia et la fitna (1) Si vous aviez des plaintes ! faites les dans le calme et la sérénité ! » répondit sagement le raiis jund , le bras armé abaissé

Le saboteur furieux lança sa barre contre le raiis jund en l’injuriant : « Sale hypocrite de renégat ! tu soutiens les arabes ! » Parant au projectile avec son bouclier, le raiis riposta en le foudroyant à bout portant avec son pistolet .
Ses compagnons terrifiés, reculèrent, lâchèrent leur outils et se fondirent dans la foule . Celle-ci , coupée de la porte de la kasbah , fit un ultime mouvement d’assaut ! mais des salves nourries provenant de la cavalerie et des murailles mirent fin à leur desseins d’envahir la forteresse.

Notes :
(1) désordre et discorde !

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Du haut des murailles et cessant le tir de sommation , le chef des makhaznis , ayant observé le mouvement des méharistes pourchassant les émeutiers qui s’enfuyaient dans les ruelles du ksar voisin , ordonna d’ouvrir la porte d’entrée.

Celle ci grinça sur ses gonds et se pencha sur le coté le pilier supportant ses serrures , entamé par les saboteurs , s’écroula en un déferlement assourdissant de pierres entrainant un pan de la muraille aux pieds du reste de la cavalerie protégeant Jilla et son prisonnier.

Par l’ouverture béante Jilla vit un beau jardin fleuri devant un palais majestueux . Sur le perron de ce dernier , se tenaient une rangée de dignitaires , au vu de leur vêtements blancs et de grande toilette .

« Surement le cadi et ses koutab (1) pensa Jilla.

De retour de sa poursuite , le chef de la cavalerie et ses compagnons firent une entrée triomphale dans la forteresse sous les acclamations de tous ses occupants : gardes du makhzen , auxiliaires et serviteurs . Accueillis même par l’honorable Cadi Iddrisside de Zagora en personne.
Le pouvoir de ce magistrat est immense dans toute la vallée de l’Oued Drâa ; il s’étend jusqu’au ksar des M’hadid au Sud , Oum el guerdane à l’Ouest et jusqu’à moitié chemin de Sijilmassa à l’Est.
C’est une autorité très respectée , en raison de sa prétention chérifienne, c’est-à-dire de sa filiation généalogique avec le Prophète via une chaine d’ascendance le reliant à hassan, fils d’Ali quatrième calife musulman et Fatima , fille du prophète . Jeune , Il a reçu de son père , lui aussi ancien Cadi , les premiers principes de l’enseignement religieux et a poursuivi son apprentissage à la mosquée de Fez . Au terme de ce séjour de formation et ayant profondément développé ses connaissances théologiques et sa compréhension de la jurisprudence musulmane . il a obtenu le titre de faqih (2) ce qui signifie qu’il est considéré comme un juriste, connaisseur des règles de la Charia . Il fut désigné en 1820 , Cadi de Zagora , par le Sultan alaouite Moulay Slimane. A l’âge de 50 ans, il a le profil du Cadi charismatique et s’est déjà forgé une réputation de Juge rigoureux dans toute la vallée du Drâa et Tafilalet . Le sultan et son makhzen lui marquent en toute occasion le plus grand respect pour sa noblesse et aussi pour sa jurisprudence très poussée en droit musulman. Le Cadi a fait de sa cour un centre rayonnant de la justice musulmane. Le pouvoir du sultan alaouite étant en baisse , se morcelait particulièrement dans le Sud-Est de Zagora où s’affrontaient les intérêts divergents des tribus, des zaouïas et Amaa’ (3), où s’accentuaient les conflits entre berbères et arabes . Le Cadi , personnage clé du sultanat est un vecteur de stabilité et d’un nouveau rayonnement de la dynastie alaouite dans cette région presque insoumise ou blad sibaa’ (4) .

Notes : (1)Secrétaires (2)Juriste en droit musulman (3) Petit peuple (4) pays anarchique
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La casbah comprend le palais du Cadi , composé de deux éléments : la demeure seigneuriale, avec jardin et dépendances et l’appartement à l’étage . Et tout autour du palais sont construites : une mosquée, un tribunal et une prison.
C’est dans le tribunal que l’honorable Cadi prononce ses sentences sans appel , au nom d’Allah. Pour gagner le cœur des sujets, dans les ksars et surtout la badiya (1), il eut recours surtout à l’exemple. Il fallait montrer à ces tribus nomade et bédouines récalcitrantes, dont la religiosité est toujours très profonde, ce qu’était la vraie loi divine. Le procès du chef mouride du ksar M’hadid commença tôt , le matin du sixième jour de l’arrivée de Jilla à Zagora et le départ de son escorte. Devant le palais de justice , il n’y avait pas la moindre trace de l’émeute . La muraille fut reconstruite et la porte d’entrée, redressée et peinte. Jilla en la franchissant , pourtant témoin , n’en croyait pas ses yeux . L’accès en terre battue et le jardin étaient arrosés d’eau , des gens affluaient de partout au palais , son immense porte voutée en bois sculpté , gardée de chaque coté par des chaouchs (2) vêtus de burnous blancs , tels des chiens de faïence , était grand ouverte , recevant le grand public dans un calme solennel . Ils s’inclinèrent avec respect au passage de Jilla et ses témoins. Le prince drapé de son uniforme de chef d’escorte et le tarbouch rouge (3) à la main , pénétra , l’allure altière , dans la salle d’audience. Tous les regards convergèrent vers lui !

« C’est Jilla le noble prince bédouin du ribat (4) d’oum assel (5)
–C’est lui qui a ramené le chef criminel jusqu’au mejless kadaa’ (6) de Zagora ! »
Sans ce murmure sourd et la présence des makhazni chargés du maintien d’ordre , qui ordonnaient d’observer le silence , on aurait cru être dans un lieu de prières.

En effet ! La salle comblée de monde, avec ses murs nus, blanchis à la chaux et son plafond vouté et son parterre tapissé ressemble à une mosquée. Au fond de la salle , à la place du minbar était dressé un large trône fait de double coussins en velours , un peu surélevé de la scène du tribunal . Jilla et ses témoins prirent place à une distance respectable , limitée par un cordon blanc et désignée par des hajib (7) surveillant l’espace interdit entre le prétoire et la place des plaideurs , derrière eux, un autre cordon et d’autres chambellans les séparaient du public .
Jilla fut séduit par l’organisation spatiale et horizontale du tribunal iddrisside qui imposait de facto les frontières entre juge , témoins ou accusés et la foule sans aucun cloisonnement matériel ou sécuritaire .

Notes :
(1) Campagne
(2) Auxiliaires du cadi
(3) Coiffe officielle du makhazni.
(4) Couvent de foi
(5) Ksar au-delà du royaume
(6) Cour de justice
(7) Chambellan

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D’un voix de stentor , le munādī (1) annonça le Cadi :
« Noble assemblée ! levez vous ! Moulana (2) ! l’honorable cadi de zagora , l’imam hassani el ngadi ! »
Surprise ! La salle bourdonnante comme une ruche , se leva d’un bond , un lourd silence s’en suivit . D’une porte derrière le trône , dissimulée par un paravent , sortit un vieux cheikh , habillé en blanc : des chaussettes au turban . Une barbe poivre-sel ornait respectueusement son visage d’imam n’ayant jamais connu les rayons ardents du soleil du désert. La mine cérémoniale des grands jours , il prit place sur le trône , suivit de deux faqīh(3) qui s’installèrent à ses cotés ,tenant chacun dans leur main de lourds manuscrits jaunis par le temps.
Il salua de la main et ordonna à l’assistance de s’asseoir.
Avant de commencer à rendre la justice, il supplia en élevant la voix , ses mains tendues vers le haut :
« Qu’Allāh le Très-Haut ! yuwaffiqni (4) wa yusaddideni (5) –vers le bon droit (al-ḥaqq) (6) et de me prémunir de toute désobéissance à ses commandements ».
« Amine ya Allah ! » répondit , résonnant , tout le tribunal. Le cadi scruta du regard toute la salle et fixa le prisonnier assis entre deux makhazni sans armes et lui demanda : « Pourquoi ? vous aviez refuser d’obéir à notre héraut qui nous annonçait ! » Le Chef mouride à la tète rasée et barbe au hénné , répliqua froidement : « Oukoff ila amam allah El 3ali’ (6) et Non à ses serviteurs quel que ce soit leur rang ou leur science ! » Une sourde réprobation retentit dans la salle indignée. Le Cadi leva la main , l’a désapprouvant ; le silence obtenu, il répliqua avec calme au prisonnier : « Saha ya moumène (7)! puisque vous ne respectez qu’Allah ?
–Alors soumettez vous à sa loi qu’on va dicter devant toutes ses créatures ici présentes .
Le magistrat fit signe de la tète au Munadi , d’annoncer l’ouverture du procès !

Le héraut de sa haute voix cria au public : «Ya ayouh ness (8) ,! soyez attentifs ! –Le mouride naciri du ksar M’hamid comparait devant l’honorable Cadi hassani El Ngadi de Zagora ! –il est inculpé de rébellion et d’incendie volontaire, il sera jugé selon la chari’a d’allah ! Soyez en témoins »

Notes :
(1) Héraut
(2) Notre seigneur !
(3) conseillers
(4) « Que dieu ! m’assiste
(5) et me guide »
(6) « on ne se redresse que devant le très haut ! »
(7) D’accord oh croyant !
(8) oh gens !

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Le Cadi de Zagora en siégeant dans la Dar el Adala (1) séparée de la mosquée et du palais du Caïd n’est sans doute pas un hasard . Le pouvoir alaouite de Fez faisait face à une contestation récurrente dans la province et éloigner le lieu de l’audience du palais , rappelait que la nouvelle dynastie n’incarnait pas la véritable justice et que le juge n’est pas à ses ordres dans son district . Le transfert de l’autorité judiciaire , autrefois aux mains de l’imam puis du sultan vers les hommes des dar el adala, permet à l’épanouissement d’une judicature du droit musulman , échappant désormais au pouvoir du makhzen .Ainsi le déplacement de l’audience fut vers les lieux peu connotés religieusement ou du pouvoir . Quoi qu’il en soit, l’installation de l’audience judiciaire au palais du Cadi marque l’instauration progressive d’une justice se réclamant que du droit musulman et rien d’autres . Par contre la Zaouia monopolisait jusque-là : de manière symbolique, le pouvoir religieux . Siéger dans ce contexte , n’est pas chose aisée ! Car trancher entre les plaideurs n’était pas seulement l’œuvre d’un représentant du pouvoir ; c’était, aussi, une mission judiciaire nécessitant une mise en condition spirituelle. Réalisée en public et visible par tous, cette préparation spirituelle contribuait à promouvoir une justice placée sous le signe du musulman sans religiosité. C’est le crédo des juges de la tribu arabe des Ngadi , fondateurs de la Dar el Adala de Zagora . « Leur justice semble proche du peuple car la scène (cadi, auxiliaires et justiciables) et la salle (public) – ne faisaient pas l’objet d’un cloisonnement matériel (bancs, barrières, tables). –L’appréhension de la « frontière » entre le tribunal et le public laissent transparaître une forte proximité entre le cadi, les justiciables et la foule . » remarqua jilla , pendant que le greffier lisait la sahifa (2) du chef mouride qui souriait d’un air moqueur . Le Cadi l’observait silencieux ! Jilla , Si Ahmed le chantre soudani et le couple de serviteurs , assis les jambes croisés , face au juges , écoutaient , sereins , l’énoncé des inculpations rédigé par jilla lors de la remise du prisonnier aux géoles du palais de la justice . Cité d’office comme chargé de mission par le Nadir , officier du makhzen du ksar des M’hadid , un ordre de comparaitre pour ses témoins lui fut déjà remis par le greffier du Cadi . A la fin de la lecture de la sahifa (2) , le Cadi appela Jilla à témoigner devant le tribunal . « Nous ordonnons à Jilla ben Sidi ben chérif , Noble prince de tafilalet de se présenter devant cette honorable cour et apporter son témoignage en tant que représentant mandaté du sultan » . Jilla se leva , salua respectueusement le Cadi et ses assesseurs et narra avec calme et objectivité tous les faits et actes subits lors de sa mission , sans haine , ni parti pris
Notes : (1)Tribunal (2)l’acte d’inculpation
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Une fois terminée la kissa (1) de Jilla , le greffier fit appel aux témoins qui se levèrent et confirmèrent les dires du prince au Cadi .
Si Ahmed le vieux caravanier et chantre soudani (2) fut plus explicite , car témoin même de l’arrivée de Jilla au ksar des M’hadid , de l’attaque de sa caravane et de la mort de son raiis kafila (3) Si Mansour dans l’embuscade sans oublier de préciser le bon traitement de Jilla à son prisonnier durant le trajet et pendant leur fuite.
Ce témoignage troubla la salle et des voix osèrent s’élever, malgré le silence imposé par la Shorta (4) de la cour .
« tahia jilla !
–longue vie au noble prince ! » Occasionnant une certaine gêne au prisonnier et ses supporters .
« Silence ! sinon je ferais évacuer le public ! » avertit le Cadi pour éviter des troubles dans la salle. Le Munadi profita du retour du silence pour claironner :

« Abou lahya naceri de la zaouia de Tamegroute est sommé de se présenter devant l’honorable hassani el ngadi , cadi de Zagora .»
Les présents ,surtout ceux de derrière , tendent leur cous pour le voir ,mais en vain . Le Mouride resta assis , et ne leva que son bras pour signaler sa présence. Vexé par ce comportement insolite , l’un de ses hourass (5) voulut le redresser ; le cadi imperturbable, s’interposa :

« A son aise ! qu’il soit ainsi ! laissez le assis ! » et ajouta à l’intention de l’inculpé : « –Voulez vous défendre votre cause ? »
« Oui ! dit il ! » en se dressant brusquement et haranguant le public : « Je n’ai tué personne et incendié aucun palais ! –on m’emprisonne par ce que je veux la charia’a comme vous tous ! – Notre pays est dirigé par un sultan et une hachiya (6) hérétiques !»

Un remous de colère et d’indignation secoua le tribunal , les hourass et la shorta armés , se mirent en ligne , séparant le cadi et les plaideurs du public .

« Silence ! Asseyez vous ! Sinon je clos l’audience. » dit le Cadi qui s’est levé , à l’adresse de la salle . Le calme revenu , le Cadi reprit sa place et invita de la main le récalcitrant Mouride de continuer sa plaidoirie. .

Notes :
(1) Récit
(2) Noir
(3) Chef caravanier
(4) police
(5) Gardes ou géoliers
(6) secte

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« Je n’ai pas mis le feu au palais du naqib (1) des M’hadid , ni tuer personne ! – je veux des preuves et non la kissa (2) de son représentant !» Assène le prisonnier sous le regard attentif du Cadi,

Debout et devant une salle archi comble et suspendue à ses lèvres, le Mouride récusa toutes les accusations. Le public semble conquis , échappera-t-il à sa condamnation ? C’est en tout cas ce qu’il tente de plaider pour son innocence.
Grand juriste , l ’intime conviction du Cadi n’est pas déjà faite.

« Est-ce qu’un jour cet homme pourra revenir dans la Ouma (3) ou bien ! il est définitivement égaré ? Beaucoup sont arrivés devant nous avec des certitudes, sauf que notre travail est d’ébranler ces certitudes ! » pensa profondément le Cadi .

« C’est vrai ! vous n’aviez pas pu incendier le palais ! car empêché par le coup de feu du naqib et qui vous a soigné ensuite ! » répliqua le Cadi en poursuivant :
« Certes ! vous n’aviez tué personne dans l’émeute du ksar des M’hadid ! Mais vous étiez le mobile de la lâche embuscade sur la route de Tamegroute et l’attentat odieux dans l’Erg lihoud ! — Tous les assaillants cagoulés sont de votre secte criminelle. Le prince jilla et les témoins l’ont confirmé sous serment !
– Ils ont égorgés froidement des makhazni qui vous protégeaient et de paisibles caravaniers qui faisaient leur commerce pour vos ksars dans le désert ! – Est-ce que pour vous délivrer des mains de la justice , il faut autant de victimes innocentes ? — Si vous étes convaincus de la droiture de votre cause ? –Pourquoi vouliez éviter , même au prix du sang , la justice indépendante du makhzan et de tout autre pouvoir , que nous prônons depuis Iyās ben. Muʿāwiya , Cadi de Basra ! – Hatou el bayina (4) si vous êtes sincère !» trancha l’honorable Cadi hassani El Ngadi en pensant au légendaire cadi Baṣri (5) qui a mit ses compétences au service de la justice musulmane , ne se contentant pas d’entendre les témoignages ou les serments des plaideurs, mais menant, à l’occasion, de véritables investigations visant à découvrir la vérité à travers d’habiles interrogatoires des plaideurs, en les poussant à se trahir Le mouride , hébété , se rassit . Un silence macabre s’installa dans la salle d’audience après le réquisitoire du Cadi. Notes :
(1) Régisseur
(2) Récit
(3) Société
(4) Ramenez la preuve
(5) De la ville de Basra en Irak

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« Quelle que soit la justice , elle n’est belle que lorsqu’elle est bien rendue en s’appuyant sur la vérité. » Ainsi réfléchissait l’honorable Cadi en poursuivant son interrogatoire . « Pendant l’émeute au ksar , vous portiez une torche enflammée ? –Répondez par oui ou par non !» Le mouride marmonna sous sa barbe . « Le public ne vous entends pas ! levez vous et dites le lui à haute voix ! » pria le juge . « Oui ! mais ma torche n’a pas franchit le rempart très élevé du palais du naqib (1) ! » répondit le prisonnier sans se lever . « Vous l’aviez lancée contre qui et pourquoi ? » interrogea le cadi . « Contre le palais du makhzen et pour bruler les représentants du sultan hérétique ! » répondit avec haine le mouride en se levant et hurlant vers le public : « Il iras en enfer , lui et son makhzen ! –quiconque interdit nos coutumes ou s’oppose à nos traditions mourra par le feu ! » Quelques « Allah wa akbar ! » retentirent parmi la foule créant un mouvement réprobateur, vite contenu par la police du tribunal .

« Citez moi une interdiction et par qui ? » demanda le cadi , une fois l’ordre rétabli . « Les moussem (2) de nos marabouts furent interdits par les Caid de tous nos ksour (3) !» répondit , debout face au cadi , le prisonnier . « Mais pourquoi , vous vouliez incendier le palais du régisseur et non celui du Caid (4) ? » questionna le juge hassani El Ngadi . « hahaha ! –D’autres frères l’ont poignardé et mis le feu dans son palais ! » dit le mouride en ricanant ! « Donc ! vous étiez organisés en plusieurs groupes ? » interrogea le cadi . « Tout le peuple est avec nous ! Même les dhimi (5) !) « Qui commande ce peuple , vous ou le Sultan ? » demanda une dernière fois le juge . La réponse du mouride ne se fit pas attendre ! « Le sultan est un hérétique wahabite , il doit abdiquer ! nous suivons les orientations de nos Oulama en charia’a et nos saints marabouts ! »
Le cadi hassani El Ngadi se leva en invitant ses assesseurs de l’imiter et déclara d’une voix grave : « Nous allons délibérer, l’audience est levée pour aujourd’hui ! –Nous prononceront notre verdict dans une semaine ! » et ordonna aux gardes : « Emmenez le prisonnier dans sa geôle ! Vous êtes responsables de sa santé et de sa sécurité ! »
Notes :
(1) Le régisseur
(2) Fêtes religieuses
(3) Pluriel de ksar
(4) Magistrat et officier de police .
(5) Les juifs payant la dime .

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Le Cadi réfléchit longuement sur le verdict qu’il va prononcer :

« Comment juger un fanatique en rupture avec les valeurs réelles de l’islam , victime d’une odieuse manipulation ? –Un , pauvre diable , il n’est pas un des vrais instigateurs ! –Deux , il n’a commis aucun crime de sang ! Il ne rentre dans aucune de ces deux cases. –Mais sa participation dans les émeutes violentes et sa tentative d’incendier, rapportée par Jilla : l’envoyé spécial du naqib du ksar des M’hadid , est manifestement criminelle. –N’étant en aucun cas un lâche exécutant, il avoue et assume ses actes. –au fil de l’audience, le mouride a montré son vrai visage –pire ! il ne cesse de prêcher la désobéissance générale en alimentant la fitna par des discours de haine envers le hakem (1) en citant expressément la personne du Sultan , même en pleine audience , impliquant directement le cadi. –Et grave ! parmi le public , certains se sont régalés de ses propos. — Comment s’est-il radicalisé ? — Où se trouvent la genèse, la matrice de sa radicalisation ? » se questionna le Cadi.
« Le mouride , victime de la propagande maraboutique , conçue pour susciter l’envie d’agir de ses adeptes , voit le Caid interdire le moussem de sa zaouia et le courroux de ses chouyoukh (2) , il est d’abord silencieux puis adhère au mouvement de révolte , pensant faire le bien pour sa zaouia . –ce n’est pas un psychopathe, ni un illuminé , il est tout à fait de son milieu sociologique et il s’indigne, comme tous les mourides de sa zaouia généreuse . — le seul hic ! ils activent cagoulés , est ce une consigne pour ne pas impliquer les vrais instigateurs planqués ou proches du makhzen ? » Est-ce justice de condamner un égaré , qui va peut-être payer pour eux? Est-ce que punir le Mouride résoudra le problème de la fitna? Autant de questions à éluder avant de donner un verdict ? Pour juger et bien juger, il faut beaucoup de courage pour appliquer le droit , il faut surtout chercher à retrouver l’équilibre après le chaos. le Mejless al kada’a (3) ne doit pas sanctionner le Mouride pour ce qu’il a fait ou pas, mais comme un symbole . Ce procès est purement politique ! » conclu avec regret l’honorable Cadi . Un vrai dilemme pour l’honorable Hassani El Ngadi du mejless kada’a (3) de Zagora et son libre arbitre ! En effet ! Ce fût aussi une audience bouleversante et personne n’en est sorti indemne. Jilla admirant le cadi , avait quelques réserves sur son déroulement et le manque de respect du prisonnier et du public , envers leur hommes de loi , pourtant très experts.
Notes :
(1) Dirigeant en place
(2) Chefs de zaouïas ou de confréries
(3) Cour de justice

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Le Cadi , seul et confortablement installé sur un Seddari (1) , lisait méthodiquement sous la lumiere d’un quinquet , les minutes du procès , étalées sur la table de son mektab khas (2) . Il ne comprenait pas pourquoi que c’est l’unique émeutier qu’on lui présente pour être jugé et que ce n’est pas un fait unique , mais une série de faits. « Le crime supposé fut dans une région où ont eu lieu des émeutes quasi quotidiennes , partout dans le royaume et même devant son palais . Puis cet émeutier n’a pas été appréhendé , mais blessé à mort , soigné , mis en garde à vue et envoyer au Mejless 1) pour être jugé , alors que d’autres émeutiers sont exécutés froidement sur le champs . — Il a de la chance que le Naqib du ksar des M’hadid sois quelqu’un de bien et juste ! » s’interrogea l’illustre Cadi du canton judiciaire de Zagora en se remémorant les deux versets phares de sa doctrine juridique :
le 181 du Coran – « Parmi ceux que Nous avons créés, il y a une communauté qui guide (les autres) selon la vérité et par celle-ci exerce la justice. »
et le le 49 (Al-Hujurat)
« Et si deux groupes de croyants se combattent, faites la conciliation entre eux. Si l’un d’eux se rebelle contre l’autre, combattez le groupe qui se rebelle, jusqu’à ce qu’il se conforme à l’ordre d’Allah. Puis, s’il s’y conforme, réconciliez-les avec justice et soyez équitables car Allah aime les équitables. »

Le magistrat en faisant le point du procès, surtout pour déterminer les responsabilités : constate d’après les faits et témoignages le lien établi entre la Zaouia de Tamegroute et le prévenu.
Ce dernier : violent, instable et colérique durant sa captivité et même devant le Mejless , aurait trouvé dans l’idéologie radicale de sa Zaouia le terreau nécessaire pour favoriser le passage à l’acte criminel .
« Comment et pourquoi ? un pacifique mouride noyé dans une vie simple et sans accrocs est devenu subitement un terrible émeutier. –Devrait il payer seul pour tout le monde ? » C’est l’ampleur de ces questions qui taraudaient l’esprit du Cadi.
« La force du droit est la seule capable de venir à bout de la mécanique de la discorde . » se dit il , intimement convaincu . « Donc, puisque la responsabilité de la zaouïa de Tamegroute est engagée ? -la convocation de son cheikh à la cour est obligatoire avant le verdict » trancha définitivement l’honorable Cadi. Il prit un papier de pierre gravée du sceau du juge et se mit à écrire avec son kalame (4) une plume d’autruche noire, rapportée de Tombouctou . Notes :
(1) Canapé
(2) Pupitre personnel
(3) Cour de justice
(4) Plume

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Ayant finie et signée de son sceau sa Daa’wa (1) , le Cadi se leva et regagna ses appartements. Sur l’escalier menant à l’étage, il rencontra un gholām (2) qui descendait lentement les marches , chargé d’un plateau de dattes et de collations. Profitant de sa présence, il lui demanda :
« Si c’est pour le ḥāǧib (3) qui m’attends dans le d’iwan (4) ? — Dites lui de venir me voir ! » « Oui ! Votre honneur ! » dit le gholām en clignant des yeux, obéissant.
Le gholām fait partie du personnel de condition servile, attaché auprès de la personne du Cadi , affecté également à d’autres tâches domestiques et familiales et c’est le seul qui participe à l’admission de tout plaideur ou auxiliaire dans l’espace privé du cadi où personne n’entre sans son iḏn (6). Au d’iwan ! Derrière un pupitre de scribe, le ḥāǧib baillait de fatigue, depuis l’audience, il n’a pas fermait l’œil. A la vue du serviteur, ses yeux brillèrent d’une lueur de joie ! « Enfin ! je vais mettre quelque chose sous la dent et surtout d’être libéré et rejoindre mon logis avant la Sallat ichaa (5) ! » Espéra le le ḥāǧib , exténué. accablé . Ce fonctionnaire , le ḥāǧib, au nom significatif ( celui qui cache, qui voile ),
maintient la distance nécessaire entre le cadi et le reste des gens, qu’il s’agisse de simples plaignants ou de représentants du pouvoir. Il a également pour mission de faire respecter aux plaideurs les règles de l’audience , ainsi que la limite entre l’audience et le reste du public . il est le représentant direct du cadi , des fois son second et parfois son huissier . Le gholām posa le plateau devant le Hagib et l’informa : « l’honorable cadi vous demande ! ». Le hagib s’arrêta net de tremper un bout d’une galette de blé dur dans la hrira () encore fumante dont les épices exquises lui chatouillaient le nez. « Maintenant ? pourquoi ? »interrogea t’il , l’air inquiet . Le jeune serviteur hocha la tète par ignorance et s’en alla ;le hagib avala le bout trempé de la galette et s’empressa de le rejoindre en le hélant : « ya gholām ! ya gholām ! -Attends pour m’annoncer au cadi ! -C’est peut être très urgent ! » Notes :
(1) Citation écrite
(2) Serviteur
(3) Auxiliaire proche du cadi
(4) Chambre juridique
(5) Prière du soir
(6) Autorisation,
(7) soupe

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Le cadi connaissant parfaitement l’usage des convocations écrites et comment ne pas heurter la mauvaise volonté des puissants qui se croyaient au-dessus des lois, surtout celle d’une fondation pieuse comme la Zaouia Naciria de Tamegroute et face à ces résistances , décida d’une autre procédure. Car avec eux ! l’autorité de la convocation ne dépendait pas seulement du message écrit par le cadi, mais aussi de son porteur. . Après mures réflexions ! il trancha de recourir aux services du noble prince de Tafilalat pour faire adresser sa daa’wa (1) au puissant marabout de la Zaouia.
Suivant le récit de jilla à l’audience , ils se sont déjà rencontrés à l’entrée de Tamegroute , lors de sa victoire sur l’embuscade des mourides cagoulés. Cela va conférer une autorité accrue à sa convocation .
Le gholām , habitué des lieux , suivi du hagib , grimpa lestement l’escalier , traversa un vestibule , s’arrêta devant une porte grande ouverte encadrée de deux rideaux de velours rouge , retenus par des embrasses de la même étoffe et annonça à mi-voix : « Honorable Cadi ! votre hagib est là et attends vos ordres. » « Faites le entrer ! » répondit le cadi de derrière les rideaux. Le gholam souleva l’un d’eux et le hagib y pénétra dans la salle d’accueil. Le Cadi debout l’attendait , tenant un parchemin dans la main . Cette attitude le tranquillisa et il put discerner le but de sa convocation nocturne. Le cadi ayant remarqué le regard rassuré du hagib , lui tendit le parchemin et lui dit, d’une voix autoritaire : « Remettez cet ordre au noble prince Jilla ! -Je lui ordonne d’ aller à la Zaouia de Tamegroute demain pour livrer , entre les mains de son cheikh , notre rissalate houdour amamna(1) . Mettez à sa disposition les moyens nécessaires pour bien mener sa mission ! – vous en êtes responsable !» . « Sam’e wa taa’e (2) ! votre honneur ! » s’empressa d’obéir le hagib , soulagé et presque déçu . Car l’’usage des convocations pour faire venir des personnes importantes , le cadi a toujours recours au service du personnel judiciaire de plus en plus élevé dans la hiérarchie. Habituellement ! C’est le premier des hagibs qui est chargé d’une telle mission. Cette fois çi ! la procédure est toute autre ! « Le cadi a ses raisons ! » se dit le hagib en sortant du palais et se dirigeant vers Dar ma’bit (3) de la kasbah ou logeait jilla .
Notes :
(1) Notre lettre de comparaitre devant nous .
(2) A vos ordres
(3) Dortoir

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Le hagib qui devait remettre le kitāb (1) avec le kḫātam (2) du cadi au prince Jilla ,
réfléchissait à sa nouvelle mission . « Puisque le Cadi a décidé de changer la procédure habituelle en désignant un autre porteur que lui ! il doit s’assurer de l’exécution complète de cet ordre de haute importance . Pour cela : il doit désigner deux honorables mouhtaramine (4) devant accompagner le porteur qui doivent attester qu’il a bien transmis le message ! car sa responsabilité est lourdement engagée.»
Chemin faisant vers Dar Diafa (3) , il déroula le parchemin et lut :
« Au nom de Dieu, le Clément, le Miséricordieux. De Hassani ben Ngadi , Cadi de Zagora au noble prince Jilla de Tafilalat mandaté par nous. , Amène le Chérif cheikh Naceri de la Zaouia de Tamegroute ou son khalifa (5).
Agis sans tarder si Dieu le veut ! Que le salut soit sur toi ! ». La lettre est datée à Zagora et signée du sceau du cadi. Jilla discutait avec Si Ahmed le chantre soudani sur son retour au ksar des m’hadid et rejoindre son idylle : la belle zahra dont il languit de la voir . Etant mis au parfum par Jilla sur leur aventure, Le vieux noir écoutait en souriant. Profitant d’une pause des confidences de Jilla , il posa sa main sur l’ épaule du prince et lui dit : « Noble prince ! Allah est avec toi et te protège ! tu mérites tant de bonheur ! Rejoint ta dulcinée et mariez vous ! Son ksar est tout prés d’oum Assel , fief de ta tribu ! » Ému par la confiance du prince , il se tut un instant et lui confia amer « Quant à moi ! Ma vie s’est arrêtée avec l’assassinat de Si Mansour , notre feu Raiis kafila était mon maitre et mon fidèle ami ! » Jilla troublé lui répondit suppliant : « Viens avec moi au ksar M’hadid ! Zahra serait très contente d’entendre ton luth lui chanter les délices et merveilles de Tombouctou ! Puis arrêtons de parler sur l’avenir ! Advienne que pourra ! Allah seul a le secret » Si Ahmed , cachant son amertume , reprit son goumbri , posé sur ses rachitiques genoux noirs et allait vibrer sa corde quand soudain le hageb du Cadi fit irruption dans la dar diafa .
« Seigneur ! seigneur ! Le cadi a une mission pour vous ! » dit le hageb en lui remettant le parchemin ! » et il ajouta précis , pendant que jilla lisait : « vous partirez demain dés l’aube pour Tamegroute ! Deux Mouhtaramine () t’accompagneront et sous la protection d’une escorte du cadi !»
Si Ahmed et Jilla se regardèrent et éclatèrent de rire !

Notes :
(1) Billet
(2) Sceau
(3) Salle des invités
(4) Respectables
(5) Adjoint
(6) Notables

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Jilla en franchissant la porte voutée de la zaouia de Tamegroute , une question lui revient à l’esprit : « Comment est organisée cette Zaouia et quel rôle joue t’elle dans ce climat de discorde? » Il venait de penser à haute voix !
Le plus agé des deux mouhtarimine (1) qui l’accompagnaient dans sa mission , osa une sommaire description : « Au sommet de la hiérarchie de la zaouia est placé le cheikh, directeur spirituel et temporel de la zaouia , homme omnipotent et omniscient, il pense être favorisé du Dieu clément et miséricordieux, qui aurait étendu ses bienfaits sur sa personne en lui déléguant une étincelle de sa toute puissance (la Baraka), et qui en aurait fait son intermédiaire obligé auprès des êtres humains , honoré de tous les titres divins (Ouali, soufi, kotb, derouiche, marabout ), saint patron des adeptes ou serviteurs de la confrérie . Au deuxième rang se trouve le khalifa ou lieutenant du cheikh , investi d’une partie de ses pouvoirs . En-dessous du khalifa est placé le moqaddem , exécuteur fidèle des instructions du cheik , tantôt missionnaire, tantôt directeur d’un ribat ou couvent fortifié. Enfin, vient, au dernier échelon de la hiérarchie, la masse des mourides qui forme une colonie de serviteurs ou parfois une garnison de moines-soldats. Tous forment l’ensemble de l’ordre, Ahl-el-Tariqa.(2) »
« Ces adeptes ne sont ni des fous, ni des marginaux, ni des monstres, ni même des hommes aux parcours chaotiques ! » souligna l’autre Mouhtaram moins agé.
« Au contraire ce sont de simples Mourides (3) pacifiques qui pratiquent paisiblement leur rites ! ayant peu de contact avec l’extérieur, ignorant la vie politique et économique ; absorbés dans leur vie religieuse , vu leur condition sociale très précaire ! ils vivent leur ribat dans la zaouia , fermée aux influences de tout courant réformateur . Par contre la fonction du Cheikh quoique mystique ne se limite pas au seul champ religieux , il continue à distiller dans ses prêches une culture de résistances aux bida’e (4) sous le prétexte de protéger l’islam en tant que gardien du patrimoine islamique et prêtent être un facteur déterminant dans le champ politique dominé par le pouvoir monarchique . » expliqua à dessein , le plus âgés des mouhtaramines .
Jilla comprit le choix du premier des hagib du cadi sur la désignation de ce duo d’accompagnateurs , bien renseignés sur l’origine des mouvements de résistance et de contestation au Dahir du sultan Moulay Slimane , interdisant les moussem ou wa’edaa et autres adorations des tombes des marabouts.

Notes :
(1) ,Notables
(2) les gens de la voie
(3) Disciples
(4) Innovations
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Jilla ébloui par la blancheur des murs , le vert des portes et le bleu du ciel , avançait émerveillé , dans la vaste cour carrée de la zaouïa . Sous ses arcades de droite , Jilla et ses deux compagnons aperçurent une mosquée déserte aux grandes fenêtres ouvertes . A l’ombre de celles de gauche des indigents en haillons formaient des cercles espacés de cinq personnes et palabraient entre eux. Au centre de la cour , des pèlerins faisaient leur ablutions autour d’un bassin octogonal sous le soleil ardent du D’hor (1). Ils s’approchèrent d’eux , les saluèrent et s’empressèrent de faire de même. Surprise ! L’eau qui jaillissait du centre du bassin était fraiche et douce . Intrigué , Jilla inspecta d’un regard circulaire la cour : point de source en vue ni de puits visible . Curieux ! il demanda au vieux mouh’tarem (2) « D’ou vient cette bénédiction ? » Ce dernier, souriant , lui répondit : « D’Allah bien sur ! » et ajouta en pointant du doigt . « Vous voyez cette sublime porte aux gonds cuivrés en face de nous ? – C’est le mausolée béni de Sidi cheikh ? – La baraka vient de cette tombe ? » interrogea Jilla . « Oui honorable prince ! C’est aussi la khalwa (3) de Sidna avec ses aïeux ! Le cheikh Naciri est un soufi , il s’isole dans ce mausolée pour méditer ! -Il imite notre prophète que la prière et le salut d’allah soient sur lui , qui s’est retiré plusieurs fois à ghar (4) Hira avant que l’Ange Gabriel ne lui dicte le premier verset du coran d’ Allah . »
« Ikra bi ismi rabika ! (5)» récita jilla automatiquement.
« Aladi 3alama be kalam !(6) » s’empressa d’ajouter l’autre mouhtarem . »

« Notre rassoul (7) ne savait ni lire , ni écrire et le message divin est la vraie baraka ! Par contre le cheikh est un érudit » précisa Jilla .
D’un doigt sur les lèvres en regardant furtivement autour de lui , le plus âgé des accompagnateurs l’invita de se taire . Nul n’a entendu la réflexion de Jilla ! Les mourides étaient absorbés dans leurs ablutions.

Notes :
(1) L’après midi
(2) Notable
(3) Lieu de méditation
(4) Grotte de hira au mont Arafat !
(5) Lis au nom de ton Dieu !
(6) Celui qui a enseigné par la plume ! »
(7) Prophète

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En face de Jilla se dressait le mythique mausolée , rawdate chouyoukh (1) , des sages soufis Naceri qui tissèrent de pères en fils avec leur Zuhd (2) l’histoire de la confrérie de Sidi M’hammad Ben Nacer : fondateur de la zaouia , décédé voilà un siècle et demi (en 1674 ) . Jilla en profane , passa en revue les précieux enseignements fournis par ses deux accompagnateurs durant tout le trajet vers Tamegroute ou réside le cheikh . « Ce cheikh était un wali d’Allah (3) , qui enseignait les cinq arkan (4) de l’islam et non un Marabout (5) de zaouia ou couvent . Ce sont ses successeurs qui le devinrent quand la zaouia prit de l’importance par le nombre de ses adeptes et son rayonnement culturel et social . Certains fanatisés du maraboutisme prétendent même que : « le Marabout qui jouit de sciences et piété est au dessus du prophète par sa baraka en guérissant même la stérilité et le jrab (6) ! »
Sous les alaouites , la Zaouia du fait de son prestige par son enseignement religieux devint l’un des éléments de base et, en quelque sorte, la matrice de l’organisation sociale, religieuse et culturelle du royaume disloqué .
Déjà, vers la fin de l’ère almohade, au moment où l’empire mérinide passait une phase de dislocation , où l’idée du chérifisme montait en force dans les villes telle que Fès , capitale alaouite , la zaouïa a tenté de redéfinir un islam aux besoins populaires. Ainsi, on assiste aux cultes des saints, aux fêtes populaires : exemple du moussem ou wae’da.
Ce phénomène apparut lors de la chute de grenade et le déclin de l’empire musulman . des foyers de résistance se multiplièrent sous forme de ribats (7) xénophobes dans le désert alliant religion et politique. La zaouïa Nacéria veut représenter au royaume et plus précisément au tafilalat, une force propre des volontés populaires.
C’est elle qui canalise le combat, le jihad populaire, c’est elle aussi qui fait barrage au sultan Moulay Slimane, qui tente d’implanter le wahhabisme ( qui a énormément éprouvé ces rites , depuis les années 1790 .
Mais le désavantage principal de cette attitude réside dans le fait que la zaouïa Nacéria doit trouver une certaine crédibilité auprés du makhzen politique et donc se procurer une ascendance religieuse en imposant un ordre confrérique d’une dimension plus unitaire et incontournable . Et par conséquent représenterait, en plus d’une force populaire, un obstacle à toute réforme visant à réduire son champ d’action social et culturel. »
Notes :
(1) jardin des cheikhs
(2) Ascétisme
(3) Saint de dieu
(4) Piliers
(5) Grand prêtre
(6) Lèpre
(7) Couvent
( Doctrine islamique du hijaz (Arabie).

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« Le moment de la prière du D’hor approche ! Allons attendre le cheikh , c’est lui qui fait habituellement office d’imam prieur ! C’est là qu’on l’accostera ! » avait conseillé le plus âgé des mouhtarimine (1) en désignant la mosquée déserte.
Approuvant son sage conseil , Jilla et ses deux illustres compagnons, rafraichis et ayant terminés leur ablutions , quittèrent le bassin octogonal et entrèrent dans la maison d’Allah . Après la tahia du Mesjed (1) individuelle , ils s’essayèrent cote à cote Jilla et ses compagnons, arrivés les premiers , étaient au premier rang , face au minbar (2) ! . D’autres fidèles vinrent les rejoindre , la salle de prière s’emplissait au fur et à mesure. Derrière eux d’autres rang se formèrent en silence , chaque arrivant prenait place , soit finissant le rang , soit débutant dans un autre suivant une ligne faite par une mince ficelle de lin , d’un mur à l’autre de la salle , tapissée de couvertures multicolores en laine fine . Sortant d’une porte d’intérieur du mur de la qibla (2), un homme au teint pâle portant une barbe noire et vêtu de blanc, s’approcha lentement de la niche servant de mihrab (3) , se prosterna deux fois et s’assied , tournant le dos aux rangs des fidèles. Jilla , du regard , interrogea le mouhtaram installé à sa droite . « C’est le cheikh de la zaouia ! » murmura ce dernier à l’oreille du prince , surpris par l’âge du haut personnage , tant craint et si respecté . « C’est l’un des descendants du cheikh fondateur de la zaouia Naciria ! » précisa à demi-voix l’autre compagnon . Dehors ! à travers les fenêtres, grandes ouvertes, la voix du muezzin se fit entendre du haut du minaret , appelant à la prière .Le Cheikh se leva et fit face aux fidèles . Toute la salle de prière , archi comble , l’imita , en rangées alignées , pour prier derrière lui. L’imam se retournant vers la qibla , émis un « Allah Akbar ! » relayé par des centaines de voix et le culte débuta dans un silence religieux avec juste quelque toux étouffées .
En effet ! la prière du Dohr est silencieuse , ponctuée juste d’ « Allah wa akbar ! » pieux à chaque rak’aa et soujoud (4) . La fatiha et la chahada (6). « Les salutations bénies ainsi que les prières et les bonnes oeuvres sont pour Allah. Que la paix soit sur le prophète ainsi que la miséricorde d’Allah et Sa bénédiction. Que la paix soit sur nous et sur les pieux serviteurs d’Allah. J’atteste qu’il n’y a pas de divinité autre qu’Allah, et j’atteste que Mouhammed est Son messager. » sont lues mentalement Le salam final est prononcé par l’iman et répété à haute voix par tous .

Notes :

(1) Salutation à la mosquée
(2) Sens de direction de la Mecque
(3) Niche orientée vers la Mecque
(4) Prosternations .
(5) Profession de foi

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Aussitôt la prière terminée , le cheikh , exhibant un large sourire , fut entouré de ses disciples et des fidèles , ils formèrent un demi cercle devant le Mirhab qu’il occupait assis , les jambes croisées sous sa abbaya d’une blancheur éclatante . Chaque personne qui venait , après avoir baisé respectueusement le turba du cheikh , s’agenouillait devant et lui dit :
Qui une louange :
« Qu’Allah vous bénisse ! ici et dans l’au-delà. »
Qui une requête ;
« Donnez nous votre baraka , Sidna cheikh ! » Jilla et ses compagnons , sans le vouloir , furent submergés et intégrés à l’entourage . Immobiles et silencieux , ils regardaient les mourides multipliaient les signes d’appartenance à la zaouia , soit en se prosternant devant le chef religieux , soit en s’agenouillant, baissant la tête et en tendant les mains pour recueillir les bénédictions de celui-ci.
Le cheikh les bénissait avec des jets de salive sur les tètes et les mains des fidèles qui se prosternaient devant lui , tout en psalmodiant des prières inaudibles.
Jilla , consterné par ce qu’il voyait , sans rien laisser paraitre , rejetait en son for intérieur le culte de la personnalité , pour lui : l’adoration est exclusivement à Dieu . Il émis sourdement un soupir :
« La illaha ila Allah ! (1)»
Les deux moutarimines mirent leurs mains sur ses genoux , l’air grave , en terminant la profession de foi musulmane :
« wa mohamed rassoul Allah ! »(2) Le plus agé confia à voix basse à Jilla en désignant du front le cheikh : « Son aieul le cheikh Nacer , fondateur de cette zaouia ! s’est toujours tenu à l’écart du pouvoir politique et des choses de ce «bas monde» ; il s’est cantonné, strictement, dans le domaine religieux et n’a cherché d’autre gloire que celle d’un saint de l’Islam, en pratiquant la générosité et la charité. Tout ce qu’il recevait en dons, il le redistribuait aux pauvres et vivait en ascète ». Le cheikh se leva et tous les adeptes et fidèles l’imitèrent , cachant jilla et ses compagnons qui restèrent assis devant le minbar , tètes baissées . Lorsque l’espace fut dégagé autour de lui : il vit le trio d’inconnus et s’avança vers eux : « Salam alikoum ! m’rhaba fi rawadat (3)wali Allah Naciri ! »
« Salam wa rahma ! » répondirent en chœur jilla et les deux mouhtaramines , en voulant se redresser .
« Non ! non ! restez assis ! » ordonna le cheikh en s’agenouillant devant eux . Mes mourides m’ont signalée votre visite ! Pour l’instant, je vous invite à partager mon repas ! » D’un signe de la main , il héla un mouride qui se tenait à l’écart et qui s’approcha en rampant sur ses genoux :
« Apportez nous les dattes et le lait de chamelle de bienvenue et le couscous pour mes invités ! »

Notes :
(1) Il n’y a d’autre Divinité que Dieu !
(2) Mohamed est son messager !
(3) Bienvenue au jardin céleste du saint naciri

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Le cheikh zaouïa , prit la carafe de lait de chamelle et but une gorgée , puis la tendit à jilla :
« Buvez le breuvage de l’hospitalité !
Vous êtes la bienvenue parmi vos frères ! »
Jilla mouilla juste ses lèvres et passa la carafe au plus âgé des notables qui l’accompagnaient .
Le cheikh choisit une datte du t’bak (1) posé devant lui et la mis à sa bouche .
« Goutez les fruits du soleil de notre palmeraie ! » dit il en mâchant .
Jilla prit au hasard une autre et constata qu’elle était sans noyau !
« Surement une deglet noor royale ! » se dit il .
Elle fondit avec délice sous son palais .
Durant tout le diner , fait d’un excellent couscous lui aussi royal , le cheikh , malgré son sourire , semblait épier le moindre geste des nouveaux venus qui mangeaient silencieux .
Déja ! Aucun d’eux n’a baisé son front ou un pan de sa abbaya , ni a roulé à ses pieds , leur tenues était celle de dignitaires et le plus jeune d’entre portait une sacoche de cuir en bandoulière et il venait de la remettre avec soin sur ses genoux !
Jilla sortit un parchemin enroulé de sa musette, s’agenouilla devant le cheikh et lui dit
« Vénérable cheikh ! je vous confie un ordre de l’honorable cadi de Zagora ! »
Le descendant des Naciri , surpris , ouvrit grand les yeux et se saisit du parchemin et recula sur son séant et se mit à le lire .
Jilla et ses compagnons retinrent leur souffle .
Après un silence qui semblait une éternité pour les notables, le cheikh regarda attentivement Jilla et demanda :
« Ah !
C’est vous l’émissaire de Si Nacer le Nadir du ksar des M’hadid ? »
« Oui ! Vénérable cheikh ! » répondit Jilla qui s’est rassît .
« Si Nacer est un parent , sa femme est notre bien aimée sœur idrissia ! » ajouta fièrement le cheikh en s’approchant .
Il posa sa main sur le genou de jilla et demanda de lui narrer les tenants et aboutissants du motif de l’invitation du cadi .
Jilla rassuré , raconta neutre et dans le moindre détail , les péripéties de sa mission .
Le cheikh écoutait silencieux et attentif , ses mains croisées sur sa poitrine , hochant parfois la tète , approuvant ou désapprouvant les faits des acteurs du récit !
Quand Jilla eut fini !
Le cheikh poussa un long soupir et expliqua calmement :
« Notre zaouia fut , est et sera pacifique et non subversive
Depuis le déclin des mérinides , un mouvement de révoltes de tribus s’est installé semant la discorde dans toute la région , notre confrérie n’a pas échappé à la fitna , malgré notre vigilance parmi nos disciples .
Hélas ! on trouve en son sein d’anciens jihadistes en chômage du fait de l’arrêt des guerres saintes , des chefs de guerre destitués, des esclaves en rupture de ban, des caravaniers qui ont été victimes de pillages et maintenant des marabouts qui sont contre le dahir du sultan, surtout la plupart des individus que le désordre avait plongés dans une profonde détresse .
La présence de ces mécontents de ce mouvement donna à notre confrérie , l’aspect d’un abri où se réfugièrent tous les ennemis de l’administration alaouite au point de rendre possible l’équation selon laquelle l’appartenance à la confrérie impliquait l’hostilité au makhzen alaouite du sultan Moulay Slimane .
Le cheikh en érudit , bien au fait de la plasticité de l’islam sacré qui offrait une gamme extraordinaire de système d’action et d’interprétation , évitait de tenir un discours autre que religieux , termina sagement :
« A tous ses gens , notre zaouïa semble convenir à leurs expériences, à leurs problèmes et à leurs espoirs car source d’éthique et de morale, pour un monde de paix, d’amour pour le Bien souverain et de justice sociale. » Notes : (1) Plateau traditionnel en alfa
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Le cheikh dévoila la raison invoquée par tous les mécontents ::
« Qu’il n’y a d’autre autorité que celle de Dieu !
Et s’il faut obéir à ceux qui détiennent le commandement ?
C’est à condition que l’ordre soit en parfaite conformité avec le Kitab (1) »

et profita d’asséner pour ébranler Jilla qui le regardait impassible, qu’aucun signe sur son visage ne trahissait ses sentiments :
« Comment obéir à une autorité dont la légitimité ne repose que sur la force brutale alors que fondamentalement l’islam rejette ce qui s’appuie sur le despotisme. » .

« Honorable cheikh ! ce n’est pas le makhzen , même illégitime , qui brule , pille ou fomente le désordre ! » osa timidement Jilla , en ajoutant avec franchise :
« La majorité des meneurs et des incendiaires sont des mourides ! la preuve : l’inculpé , présumé du ksar des m’hadid , principal protagoniste et objet de notre démarche ! »

Le cheikh acculé par les faits essaie de se justifier :
« Ce n’est pas notre faute !
Si tous ceux qui étaient en quête d’absolu nous choisissent comme guide spirituel !
Ou si certains mourides intempestifs refusaient de s’accommoder du dahir wahabite qui interdit leur moussem et leur waa’da ! (2)»

Le plus âgé des mouhtaramines (3 ) avança avec diplomatie une réflexion :

« Notre société doit être basée sur la Miséricorde, puisque l’homme est faible, l’égoïsme et les intérêts étroits de chacun sont là, de même que les enjeux de pouvoir et autres enjeux occultes; il faut donc développer dans chaque homme cet aspect de la Rahma (Miséricorde). »

Sans sourciller , le cheikh répliqua en fixant le vieux notable :
« Parmi les quatre-vingt-dix-neuf noms d’Allah, celui que je révère le plus, c’est ‘’Arrahmane Arrahim ’’ (3)
Et je n’en tire aucune vanité !
un cheikh est un homme, ni plus ni moins qu’un autre.
Notre but est la quête de la vérité par l’expérience de tous les jours .
Nous sommes l’un des héritiers du wali salah (4) Naciri et l’un des continuateurs de son message spirituel.»

Jilla en profita pour rappeler la pensée muhamadienne.(5)
« Nos actions musulmanes sont en quelque sorte des ruisseaux qui se rejoignent à la rivière, et les rivières au fleuve, et les fleuves à la mer qu’est l’islam ! ».
Notes :
(1) Coran
(2) Fêtes religieuses
(3) Miséricorde et miséricordieux
(4) Saint utile !
(5) De mohamed (saws)

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Pour appuyer ses propos le noble prince bédouin, récitant confirmé du coran, cita le verset :
« Et Nous ne t’avons envoyé que
comme Miséricorde pour l’univers ! ( Coran-2-107)»

Le cheikh , pesant ses mots , répliqua religieusement à Jilla :

« Notre zaouïa suit le chemin de notre prophète Mohamed que la prière et le salut d’Allah soit sur lui et sa sunna est notre modèle d’inspiration. »

«que la prière et le salut d’Allah soit sur lui ! » répondirent en chœur Jilla et ses accompagnateurs .

Dans la lancée de ce pieu vœu, Jilla ajouta :

« Nabina alih sallat wa salem Allah (1) est le khatim anebiya wa roussoul (2)!
Dans sa khotba el wada’e (3), il a remis le message divin à la Ouma (4) toute entière ».
Sentant l’allusion subtile, le cheikh acquiesça, contraint, en hochant la tète.

Pour détendre l’ambiance des échanges, le plus âgés des accompagnateurs s’empressa de conclure :
« Le message d’Allah est destinée à l’humanité entière!
libre à celui qui veut croire ou qui refuse, toute contrainte est proscrite par Allah lui même !
L’islam nous suggère la voie médiane qui est l’ lstichâra (5) !
‘’Consultes les sur leurs affaires !’’
Cette consultation est dans le sens de la participation de chacun à l’édification d’une société qui est toujours en perpétuelle évolution.
C’est vrai l’humanité évolue sans cesse, les idées progressent ou régressent et puis Allah l’a ordonné :
Amr’oukoum choura’a (6)!
Faire le contraire serait se mettre à une place qui n’est pas la nôtre !
Cela nous aidera certainement à mieux vivre notre islamité et à mieux respecter les autres » .

Notes :

(1) Notre prophète que la prière et le salut d’Allah soit sur lui !
(2) Ultime prophète et messagers de Dieu !
(3) Discours d’adieu
(4) Nation musulmane
(5) la consultation
(6) Conseil

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Jilla se rappelant l’aube de l’attaque de son bivouac par les mourides égorgeant hommes et éventrant bêtes, dit en contenant sa colère :

« Quand je pense à cette Rahma (1), une idée me vint à l’esprit :
celle de ne pas faire subir à l’autre ce qu’on ne veut pas que l’on nous fît.
Une espèce de Miséricorde à la fois individuelle, au fond de chacun de nous, et collective , au fond de nous tous .
Cette Miséricorde concerne aussi le monde animal, végétal et minéral qui nous entoure.
Du moment que l’homme est considéré le Khalifat (2) de Dieu sur terre.
Il doit étre à l’image de son Créateur. »
Il ajouta , en fixant le cheikh droit dans les yeux :

« Pour concevoir la société musulmane., le Prophète Mohamed (QSSL) est un modèle qu’on a beaucoup à découvrir à la lumière des valeurs de cette Rahma .

Le cheikh , devinant le reproche du noble prince , riposta sans attendre :
« Notre zaouia applique cet ordre divin dans toutes ses actions quotidiennes depuis sa fondation, voilà deux siècles !
En hébergeant les sans abris , en nourrissant les indigents , en leur inculquant la rahma tout en leur enseignant le coran sacré .
Nos adeptes sont des hommes et non des saints malgré leur foi assidue !
Tout acte individuel répréhensible est personnel et n’engage pas la responsabilité collective de notre confrérie.
Nos prêches sont axés sur d’abord tawhid (3) khir (4) et la rahma , oh noble iddrissi ! »

Jilla , contenant sa colère ,rappela froidement :
« La majorité de nos assaillants et leurs chefs étaient des mourides ! ya sid cheikh ! »

Le cheikh encaissa, se tut un moment et dit l’air sombre :
« Quand on sème le vent , on récolte la poussière !
La discorde vient du dahir du Sultan de Fez !
Nous vivions notre foi en paix avant cette kafara (5) »

« Kafara ? » s’étonna à haute voix Jilla .
« Oui ! noble prince ! » répondit le cheikh tenta d’expliquer :
« Une kafara est un reniement d’une chose qu’on a toujours admise !
Nos moussems étaient célébrés bien avant les alaouites qui reprochent aux mourides de vénérer les tombeaux de nos saints aïeux !
Ce qui est faux ! ils ne cherchent que la baraka !»
« La baraka des morts ? » ironisa Jilla excédé.

Notes :
(1)Miséricorde
(2)Lieutenant
Unicité de dieu
Le bien
Hérésie

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Le cheikh évita l’ironie du prince en changeant de sujet :
« En quoi ma présence au procès va aider l’honorable cadi de Zagora ? »
« Pour mettre fin à la fitna (1) ! le prévenu risque la peine capitale !
Votre notoriété parmi les mourides et votre sagesse lui seront très utiles .» répondit le plus âgé des deux notables qui accompagnaient Jilla .

Ce dernier devinant l’embarras du cheikh , proposa une autre sortie diplomatique :
« Ya cheikh ! vous étes le guide spirituel des mourides , désignez votre khalifa (2) qui sera porteur d’une missive de paix de votre main , appelant les égarés de revenir à la raison .
Le Prophète (QSSL) a dit
« la plume d’un savant est plus sacré que le sang d’un martyr».
Dès qu’un mouride devient partisan, il est récupéré par un hizb (3) chitane ou par un autre et il ne joue pas son rôle pacifique de croyant !.»
Les deux notables, surpris , se regardèrent !
Le cheikh rassembla les pans de sa large abbaya et se leva en s’adressant à ses interlocuteurs :
« Nobles émissaires ! Reposez vous pour l’instant !
Vous êtes invités à partager mon diner ce soir après sallat () ichaa !
In chaa Allah ! »

« In chaa Allah ! In chaa Allah ! » répondirent jilla et ses compagnons, en se redressant , saluant le départ du cheikh .
Celui-ci disparait derrière la porte interne, prés du mihrab !
Un vieux mouride qui se tenait à une distance respectable , à l’écart de la discussion du cheikh avec les inconnus à la zaouia , s’approcha d’eux en saluant :
« Que le paix et la miséricorde d’Allah soit sur vous ! »
« Salem wa Rahma ! » répondirent jilla et ses accompagnateurs, qui s’assirent.

« Soyez la bienvenue !
Comme vous l’aviez remarqué !
J’étais en retrait par respect à votre confidentialité avec le cheikh !
Je suis le khalifa de sidna ! »
S’annonça le vieux mouride en s’adressant à Jilla .

« J’ai vu la remise de votre parchemin et entendu tout votre entretien !
J approuve votre proposition et vous remercie de votre sagesse !»

Jilla se redressa sur ses genoux et baisa l’épaule du vieux khalifa , imité par ses compagnons.
D’autres fidèles rejoignirent leur cercle.

Notes :
(1) discorde
(2) Lieutenant
(3) Parti

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Du dhor (1) au Asr (2) le petit cercle de mourides entourant l’émissaire du cadi de Zagora devint une réelle assemblée !
Jilla , gardant sous silence sa mission auprès du cheikh , profita de narrer , aux mourides qui l’assaillaient de questions , toutes les péripéties de son voyage jusqu’au tribunal avec moult détails.
Un des mourides qui entouraient assis le khalifa et les visiteurs , se leva et déclara :
« Ce noble prince raconte la vérité !
Ce mouride au crane rasé et barbe au henné était un prédicateur zélé à la moussala (3) du ksar des m’hadid !
Il se nomme Abdu Allah el fassi (4) et porte le quolibet « Abou lahia hamra (5)»,
Ses prêches contre le Sultan étaient toujours virulentes.
Je le connais ! il a un fort tempérament et ne recule devant rien.
Il a quitté notre zaouia avec l’interdiction du culte des tombeaux des saints et des moussem (6) .
Il se proclamait Mokadem (7) de notre zaouia .
C’est lui et ses fidèles qui collectaient l’argent et les tentes pour organiser des wa’adi (8) ou la prostitution , les jeux de hasard et la sorcellerie sont tolérés. »
Le mouride termina son témoignage par :
« C’est un homme du mal , il fait du tort à notre confrérie et à l’islam !
Il mérite la pendaison !»

Un « Allah wa akbar ! » fusa d’on ne sait ou et repris par toute l’assemblée.
Le khalifa leva le bras pour obtenir le calme et prononça à haute voix :

« Nous n’avons pas le droit de juger qui que ce soit !
Il est devant notre honorable cadi et il répondra de ses actes ! »

Et du doigt , il désigna le témoin qui s’est rassit :
« Si smail ! vous m’accompagnerez chez le cadi , si notre vénérable cheikh le permettrait , pour faire votre déposition au tribunal ! »

L’interpelé joignit ses mains et les posa sur sa tète en signe d’obéissance.
Une , deux , trois , quatre mains …se levèrent parmi l’assemblée !
« Que voulez vous ? » questionna, sévère, le Khalifa de la Zaouïa .
« Nous sommes aussi témoins contre ce Mourtad (9).

Notes :
(1) Prière du midi
(2) Prière de l’après midi
(3) Salle de prière
(4) De Fez
(5) Barbe rousse
(6) Fete religieuse
(7) Directeur
(8) Pluriel de wa’ada (fête populaire)
(9) Renégat

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Jilla et ses deux illustres compagnons furent introduits par le khalifa chez le descendant du cheikh Naciri dans une vaste salle recouverte de tapis et éclairée par des quinquets à huile, accrochés aux murs blanchis à la chaux .
Une odeur de misk (1) s’en dégageait, emplissant l’atmosphère religieuse de la salle presque déserte !
En avançant pieds nus, derrière le khalifa , Jilla vit un groupe de fidèles assis , formant un demi cercle autour d’un homme .
Celui-ci adossé à l’angle droit de la salle et enroulé dans un ample burnous couleur datte , les yeux fermés , semblait en transe , marmonnant des versets du coran que )les fidèles d’un certain âge ,vêtus de blanc, récitaient à haute voix devant lui .

Jilla ne reconnut le cheikh que quand il abaissa son turban blanc en se redressant sur son séant dés leur approche.
Les fidèles intrigués , arrêtèrent leur récitation et se retournèrent .
« Merhaba bi douyouf(2)!
Prenez place parmi notre halka moubaraka(3) ! » invita le cheikh en ordonnant du geste ses fidèles de reprendre la séance de la récitation collective.
Jilla s’assit le premier et sans attendre, entama, précis et haute voix, celle-ci à la dernière sourate (4) arrêtée.
Les fidèles surpris , regardèrent le jeune prince et reprirent la récitation là ou jilla en récitant averti l’a mentionnée .
Car nul profane même musulman ne peut le faire s’il n’était pas un taleb (5) assidu.
Le chapelet à la main , le cheikh récitait du bout des lèvres , tout en observant le jeune prince , fasciné par son éloquence et surtout son aspect physique.
Le prince a de beaux yeux noirs. Il est grand et fort.
Il a de longs cheveux noirs bouclés. son nez aquilin et ses lèvres minces soulignent ses traits racés.
Il semble très gentil, futé, réservé et courageux.
Il a la peau blanche et il est musclé. Il porte une large abbaya blanche couvrant de larges épaules et cintrée par une épaisse ceinture de guerrier.
Même sa voix timbrée , en récitant le saint coran , émeut plus d’un !

« Ce jeune ne peut être qu’un prince de la race des seigneurs du Draa ! » se dit le Marabout en son for intérieur.
Jilla menait la récitation sans ostentation, sa voix chaude dominait le groupe des réciteurs qui essayaient de l’égaler en raffinant leur Tejwid (6).

Notes :
(1) Ambre
(2) Bienvenue aux invités
(3) Cercle bénis
(4) Verset
(5) Etudiant coranique
(6) Maitrise des régles de lecture du coran

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Le cheikh de la zaouia , profitant d’une pause d’alternance de versets , se leva .
Jilla en averti de la tradition coranique , mis fin à la récitation par la formule incantatoire clôturant tout verset ;
« Sadaka allahou el adim !(1) » relayé par le cheikh et les réciteurs qui se dispersèrent, laissant le cheikh seul avec ses invités debout devant lui .
Ce dernier se rassit en invitant jilla et ses deux compagnons de s’assoir .
« Ahlan ! ahlan ! bi douyouf kiram!(2) »
« Choukran ! (3) » répondirent aussitôt les deux notables qui s’empressèrent de baiser sa razza blanche en satin (4) .
Jilla résigné, se leva en silence et posa maladroitement son menton sur l’épaule du marabout en signe de salut et prit place sur le tapis au milieu de ses compagnons.
Le geste de jilla n’a pas échappé aux regards de ces derniers.
« C’est un manquement de respect ! » pensa le plus âgé en tentant de le mettre sur le compte de l’ignorance des usages en pareille circonstance par jilla .
Feignant ne pas s’en apercevoir et pour distraire le cheikh , il proclama à haute voix en désignant son compagnons :

« Vénérable cheikh !
Si Ramdane et Morad votre serviteur sommes des zenati (5) au service de l’honorable cadi de Zagora !
Notre mission est d’aider le jeune prince de tafilat dans sa délicate démarche !
C’est sous la bienveillance de la dynastie berbère des mérinides , nos aieux !
qu’est née votre zaouia et vos medersa (6) qui se sont propagées dans tout le maghreb aksa (7) »
Nos aieux ont cédés l’autorité religieuse à votre aïeul , le saint wali salah ,cheikh Sidi ben Nacer !
que Dieu le bénit et le fait entrer dans son vaste paradis ! »

« Amine ! » répondirent en chœur le cheikh , Si Ramdane et Jilla .

« Nos Sultans ont marqué en toute occasion le plus grand respect pour lui , comme wali Allah (8) et guide éclairé , comme nous aujourd’hui ! » précisa Si Mourad en ajoutant :

« Le noble prince Jilla , içi présent ! est l’envoyé spécial de l’honorable cadi auprès de votre sainteté .
! ».

Notes :
(1) Le Dieu suprême a raison
(2) Bienvenue aux dignes invités
(3) Merci
(4) Turban servant de coiffe
(5) Zénètes
(6) écoles coraniques
(7) Couchant lointain
(8) Saint de dieu

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Jilla , se tordant les mains , fixa son compagnon longuement et lui dit :
« Al- ouboudiyya wa koudoussia ila li Allah !(1)
Cette deuxième qualité est tout ce qui est Muqaddas.(2) Allah , ses livres et ses prophètes !
Allah se cherche dans le cœur de chacun de nous, et dans cet état d’Al- ouboudiyya que le Prophète Mohamed ( ASS) est venu nous apporter
l’homme se défend spirituellement contre cet obscurantisme intérieur qui le pousse à
commettre des actes d’une férocité barbare, pire qu’un animal , il peut se défendre à travers une multitude de choses : ses idées, son intellect, par la connaissance contre l’ignorance .
C’est le Jihâd (4) que l’homme doit mener sur plusieurs fronts de sa vie ».

Jilla se retourna vers le cheikh et lui dit , droit dans les yeux :

« C’est pourquoi il est indispensable de maintenir la Muhâssaba (5) qui conditionne nos actes qui ne sont nullement sacrés .
Il faut revenir à Allah , au Coran et à son prophète Mohamed (ASS) qui n’ont jamais dit que le Jihâd est un Harb (6) .
Le Jihâd en islam est un effort pour se défendre en se posant toujours la question :
est-ce que j’ai bien agi dans ma façon de me conduire ?
Le jihad est mal interprété par certains ,souvent à dessein , ils traduisent «Jihâd» par guerre sainte , alors que c‘est un combat moral et intellectuel .
Nos oulama fi dine (7) doivent le stimuler dans leur prêches , chaque jour pour eux même et chaque vendredi pour les musulmans pour leur participation à l’évolution du monde içi bas ! »
« L’islam est un message religieux et spirituel , basé surtout sur une foi en le tawhid (8) qui relie intimement l’homme à Allah . Il prône la paix, la tolérance et véhicule un humanisme profond . » conclut Jilla comme vidé de sa hargne.
Un silence de cimetière plana dans la salle après le discours du prince .
Personne n’osait émettre un seul mot !
Le cheikh , muet comme une carpe , brisa la gène en déclarant :
« Notre khalifa Si youcef va vous accompagner, il me représentera chez l’honorable cadi et aura la liberté de répondre à toutes ses questions !
Maintenant ! allons souper ».
Il se leva , imité par ses invités soulagés .

Notes :
(1) L’adoration et la sainteté ne sont qu’à Dieu !
(2) Sacré !
(3) Servitude
(4) Combat intérieur
(5) l’autocritique
(6) Guerre
(7) Savant de la foi
(8) Unicité de Dieu

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« L’islam prône la sacralité de la vie ! »
conclut Jilla à la fin de sa déposition lors de l’audience finale du procès du mouride du ksar des M’hadid , inculpé d’incendie , en appuyant ses dires par le verset 32 de la sourate coranique 5,du coran :
« Quiconque tue un homme, tue l’humanité toute entière »
tout précisant :
« L’islam est là pour éclairer, éduquer et éveiller la conscience de l’individu, afin qu’il joue un rôle actif et utile au service de tous et non qu’il devienne un élément destructeur de lui-même et des autres au nom d’une vérité qu’il prétend détenir .
Sidna Ali (Radia Allah anehou ) gendre du Prophète et quatrième Calife de l’islam, nous dit :
« Si l’esprit anime le corps, la raison anime l’esprit ! » .
La salle émue fit retentir un vibrant :
« Allah wa akbar ! »
Le Cadi ordonna le silence et clôtura le procès par des mots qui terrassèrent toute l’audience .
« Noble prince ! je tiens à vous remercier pour votre haut sens d-intégrité et dé dignité !
Mais je tiens à vous rappeler que la fitna est pire que l’assassinat et Dieu maudit celui qui la ressuscite !
Que Dieu nous épargne cela !
Vu votre déposition et tous les témoignages devant nous , je déclare :

« En son nom miséricordieux et son livre sacré
Abdellah el fassi ,surnommé Lahia hamra sera sous liberté conditionnelle pendant trois ans et puni d’une khtia (1) de mille dirham alaouite et qu’allah lui pardonne !»

Notes :
(1) amende pécuniaire

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Trente année de règne (1792-1822) du sultan Moulay Slimane lui furent fatales .
Sur le plan interne ses dahirs d’inspiration ouvertement wahabistes ont provoqués des révoltes des villes et des tribus du royaume alaouite et sur le plan extérieur, menant une politique isolationniste, il a fermé le pays au commerce étranger, notamment européen, et a supprimé les postes de douane créés par son père.
Son règne fut difficile et chaotique en raison de ces deux axes de sa politique :
Un , sa lutte contre l’Islam confrérique, d’inspiration maraboutique.
Moulay Slimane est en effet un adepte du wahabbisme ( une vision puritaine de l’Islam), née de la prédication de Muhammed Ibn al Wahabb, un théologien originaire du Nejd en arabie séoudite .
Cette politique consiste essentiellement à freiner ou gêner autant que possible les pèlerinages sur les tombes des Saints.
Il a déclaré à ce sujet :
« La voie droite n’implique pas de nombreuses bannières, des réunions nocturnes où se coudoient femmes et enfants, la déformation des règles de droit divin par les innovations, les nouveautés, la danse rythmée des battements de mains ainsi que d’autres pratiques toutes entachées de vices et de bassesse. »
d’où l’hostilité de toutes les confréries maraboutiques malgré le travail de centralisation et d’expansion du royaume .
Deux : en raison du conflit qui l’opposait à l’Espagne et à la France , il cessa tout commerce avec l’Europe.
Il considère en effet que le commerce avec les infidèles (les Européens) contribue à une perte de force vive et constitue une source de corruption.
Il limita autant que possible les échanges commerciaux avec l’Occident allant même jusqu’à déclarer que :
« le plus beau jour de sa vie sera celui où l’argent des douanes ne lui rapportera plus rien ».
Le sultan parvient à écarter sur le plan extérieur les velléités de pression exercées par Napoléon Ier et par son frère Joseph Bonaparte intronisé roi d’Espagne. Pendant de sa campagne militaire contre les Turcs d’Algérie, Moulay Slimane parvient à expulser définitivement les troupes ottomanes du bey d’Oran qui occupaient l’Est du royaume et à rétablir son pouvoir ,en nommant des caïds représentants du pouvoir chérifien qui s’assurent du versement de la Zakât au Trésor makhzénien .
Napoléon lui aurait proposé, par le biais de son émissaire à Fès de s’allier avec la France contre la grande Bretagne et l’Algérie ottomane , en contrepartie il recevra toute la partie ottomane de l’Afrique du Nord d’Alger au Caire ,mais les efforts des français furent vains en plus du conflit religieux qui prit peu à peu une allure de guerre confessionnelle contre le Wahabbisme du sultan, conflit qui aboutit à la prise de la capitale par une coalition pan confrérique et les tribus insurgées arabes et Berbères
Le sultan finit par abdiquer en 1822 au profit de son neveu Moulay Abderahmane Ben Hisham de l’une des branches de la dynastie alaouite .

En route pour Tlemcen et fuyant la fitna , Jilla apprit la nouvelle dans un foundouk à Sijilmassa avec son seul compagnon , Si ahmed le chantre soudanais qui voulait rejoindre sa famille dans cette ville d’arts et d’histoires .

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.
« La région de Sijilmassa occupée d’abord par les haratine (1) d’origine subsaharienne , considérés comme les premiers habitants des oasis du Tafilalet , a accueilli de nombreuses communautés juives , puis fut soumise peu à peu par des tribus Zénètes et Sanhadja , berbères nomades à peau blanche .
Les arabes arrivèrent dans le Tafilalet dans les années 600 avec les conquêtes musulmanes de l’Afrique de Nord , leur influence fut amoindrie par les grandes révoltes berbères à partir de l’année 739 .
Une autre population venue d’Afrique subsaharienne en qualité d’esclaves, appelée localement laâbid,(2) via le commerce caravanier transsaharien ou lors des conquêtes guerrières saadiennes (3) vers le Soudan ou pays des soud (4).
En 757. un berger zénéte a fondée le ksar de Sijilmassa.
Bien avant votre venue au fondouk (5) dans Sijilmassa , des centaines de khawarij (6), venant d’orient en suivant les pistes commerciales , de caravansérail en foundouk et fuyant l’orthodoxie des premiers temps de l’islam se sont installés dans cette cité mythique .
« Les tribus berbères des zones sahariennes du Maghreb se sont ouvertes à cette nouvelle idéologie spirituelle apportée et prêchée par les réfugiés kharidjites venus d’Orient.
Les berbères de la région de Tafilalet se sont à leur tour ralliés aux chefs de ces dissidents kharidjites et se sont converti à leur religion, le Kharidjisme (6) , et plus précisément à une de ses sous-branches en vigueur et dénommée le Kharidjisme Sufrite qui se distinguait par une vision modérée de l’Islam, en comparaison des autres segments plus radicaux. » « Sijilmassa a surtout attisé la convoitise des différentes puissances qui se sont succédé au pouvoir sur l’ensemble du Maghreb
Peu à peu le rayonnement de la grande cité commença à attirer un flot ininterrompu de populations en provenance d’Orient.
Grâce à la cité de Sijilmassa , la région de Tafilalet devint un carrefour qui reliait toute l’Afrique de l’Ouest aux mondes méditerranéens et orientaux. » Racontait un vieux guide de caravane à Jilla et son compagnon.
Autour d’un thé savoureux , nos voyageurs malgré eux , furent émerveillés et éblouis par l’histoire fascinante de la cité .
Notes :
(1) autochtones subsahariens
(2) esclaves noirs
(3) du sultan Ahmed Al-Mansour lors de son expédition vers Tombouctou en 1591
(4) Caravansérail
(5) Pays des noirs .
(6) Secte islamique

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Jilla et le vieux chantre soudani (1) Si ahmed , assis sur une natte d’alfa devant la porte du merkad (2) à l’ombre des arcades , observaient le fondouk qui grouillait de monde .
Jilla voyant son compagnon silencieux lui dit :
« Si Ahmed ! d’après les dires du gérant juif de notre Merkad , il y a deux pistes qui mènent à Tlemcen !
-L’une caravanière, au Nord !
Mais, dangereuse car elle traverse le pays des Chleuhs (3) hostiles au makhzen !
-Et l’autre à l’Est plus sure, sera en pays inconnu et sans caravansérail. »

« Nous prendront celle que tu choisiras ! » répondit Si Ahmed.
Jilla se tut ! Indécis.

« Il nous faut recueillir d’autres informations ! » se dit il en replongeant dans sa réflexion se remémorant les récits de son pére Sidi .
« Ce pays inconnu à l’Est est celui des tribus arabes nomades de Banou Hilal, alors chassées de la péninsule arabique en raison de leur violence et à fort tempérament guerrier ont profondément bouleversé l’ordre politique, économique et social de toute l’Afrique du Nord et opérant une sédentarisation massive et un métissage avec les populations berbères locales et accélérèrent leur arabisation surtout au maghreb central .
A partir du 11ème siècle, d’autres tribus arabes en provenance du Yémen, les Banu Maqil, arrivèrent à nouveau et s’installèrent progressivement dans les ksour et les oasis du tafilalet jusqu’au adrar , prés du ribat (4) d’Oum Assel , fief des nobles chorfas des Hamada du Ghir et de la Abadla . » .
Durant le règne saadite d’Ahmad al-Mansur ,ils formèrent le gros du système du jeich saadien (tribus militaires) .
Son armée principalement composée de tribus Banu Hilal et Banu Maqil parmi lesquelles les Oudaïas, Rahamna, Ouled Dlim et Ouled Jamâ .
Les tribus arabes hilaliennes Khult et Cherarda étaient également utilisées et désignées comme tribus makhzen .
A sa chute et avec l’avènement de la dynastie Alaouite , les Khult qui constituaient l’une des plus grandes tribus du Gharb et fidèles à l’héritage Saadien,se dispersèrent à l’Est et Sud-Est du royaume ou ils s’opposèrent à l’émergence des Alaouites et leur extension vers l’Est dans la zone frontalière du royaume .
Cette hostilité n’a jamais faibli, même avec le nouveau sultan Moulay Abderahmane Ben Hisham. »
Jilla se retourna vers le vieux soudani , sourit et lui annonçât :
« Notre chemin est tout tracé !
-Demain ! nous prendront la route vers les Beni hillal ! »

Notes :
(1)du pays des noirs
(2) Dortoir
(3) berbères montagnards de l’atlas
(4) Ermitage

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Le vieux dalil kafila (1) soudani répondit au sourire de Jilla par un éclat de rire .
Ce dernier écarquilla les yeux !
Si Ahmed s’empressa d’expliquer sa soudaine hilarité !
« Ne sois pas offensé noble prince !
-Certes ! il existe des tribus arabes banou hilal et banou makil à l’Est du royaume alaouite !
Mais sans piste de caravane, donc sans relais ou foundonk entre les oasis , c’est le, le désert !
Si tu veux le dénuement total .
Par contre au Nord ! C’est l’ancienne route des caravanes que je connais qui peut nous mener jusqu’à Oujda l’Alaouite et Tlemcen la turque ! ».
En effet !
Culturellement , ces deux villes sont si voisines et presque unies , ce permet l’interpénétration des populations frontalières arabes ou berbères soient elles .

L’une à l’Ouest : Oujda avait été jadis l’objet de conflits répétés entre les mérinides de Fès et les zianides de Tlemcen , plus tard entre les chorfas Saadiens puis Alaouites et les Turcs .
Cette ville fut reconquise par le sultan Moulay Slimane qui libérera Oujda des mains des Turcs en 1822

Et l’autre à l’Est :
Tlemcen , ville Idrisside , agrandie par l’Almoravide Youssef ben Tachfine , reprise par les zianides et que les Turcs d’ Eljazaiir (3) en firent une dépendance du beylik du Gharb (4) en 1555 » .

« Dire qu’on passe notre temps à essayer de contrôler son destin ! » Murmura jila pour lui-même.
Au bout du compte !
Convaincu par Si Ahmed , guide chevronné et encore actif sur les pistes , malgré son âge : il abandonna son trajet inspiré par les maigres informations de Sidi , altérées par l’oralité bédouine et les oui dires du juif gérant de leur merkad .

Si Ahmed , pour appuyer ses dires , lui révéla :
« Ces deux villes appartenaient à tes ancêtres :
- Près d’Oujda, il y a le tombeau de Sidi Yahia – un saint homme vénéré des musulmans, des juifs et des chrétiens et Tlemcen fut fondée par Idriss 1er, votre aïeul , noble prince ! »
« Merci honorable guide pour tes sages conseils et ta science de grand voyageur !
-Nous prendront la piste que tu désigneras ! » répondit Jilla , entièrement confiant .

Notes :
(1) Guide de caravane
(2) Ouest du Maghreb
(3) Al-Jazaïr, « les îles » en arabe fondée par les Zirides tribu berbère
(4) Oranie

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Au sortir de Sijilmassa , silencieux , les deux cavaliers en file indienne , Si Ahmed en tète sur sa mule et Jilla derrière sur son cheval berk , profitant de la fraicheur matinale pour rejoindre allègrement un petit village berbère du nom d’Aoufous , ont repris la route pour le ksar Meski situé à 20km au Sud d’Errachidia .
Maintenant ! ils marchaient sous un soleil de plomb sur la piste caravanière menant à Oujda !
Si Ahmed stoppa sa mule pour permettre à Jilla de le rejoindre et lui expliquer le pourquoi de cette prochaine étape qu’est le Madkhal (1) Meski :

« C’est là que bifurque à l’Est la piste chamelière conduisant à Tlemcen !
Au lieu de traverser les montagnes de l’ Atlas au Nord !
On va les contourner à l’Est pour rejoindre Bouarfa , pas loin de Figuig .
Car cela est impossible et pénible de franchir les montagnes qui se dressent entre Errachidia la bédouine et le ksar Midelt en pays berbère au-delà de l’Atlas saharien. »

Puis voyant le prince tout en sueur , il ajouta :
« Noble prince ! vous serez très content de vous désaltérer et de vous baigner dans l’eau fraiche de la magnifique source bleue à une centaine de mètres du ksar Meski sur l’autre rive de l’Oued Ziz ! »

Lorsqu’ils arrivèrent à destination, Jilla n’en croyait pas ses yeux !
Une eau cristalline d’une limpidité extraordinaire , jaillissant d’une cavité rocheuse , s’écoulait généreusement sous l’ombre des palmiers pour former un bassin naturel , entouré d’ocres parois rocheuses , propice au rafraîchissement et à la baignade .

« Hamdou Allah wa Allah ibarek !(2) » s’exclama Jilla sous l’œil amusé du vieux dalil kafila soudani (3) comprenant la surprise de son compagnon.

« Que dire quand on voit surgir une source fraiche et limpide dans une région aride ?
Elle ne peut étre qu’un don d’Allah ! » pensa tout bas Si Ahmed .

Il ajouta , en habitué des secrets des pistes transahariennes :

« Sais tu noble prince que cette eau est considérée sacrée ! -De plus, les nomades locaux prêtent à cette source des vertus curatives. -Un rite des nomade locaux , en l’absence de caravanes , veut que des jeunes filles se baignent nues dans l’eau claire car réputée vertueuse et donnant la fertilité. »

Et finissant de conclure à l’adresse de jilla , merveilleusement ébloui par la beauté du paysage.

« Cet endroit constitue depuis toujours une escale parfaite des légendaires caravanes de Tombouctou vers le port méditerranéen de Honaïne située à 60 km au nord-ouest de Tlemcen !»

Notes :
(1) Entrée du col montagneux.
(2) Merci dieu et que dieu bénit
(3) Guide de caravane noir

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Résurgence de l’Atlas saharien et l’Oued Ziz .
La source bleue du ksar Meski, entourée d’une végétation luxuriante forme un panorama à couper le souffle , comme sortie au milieu de nulle part .
Le site semblait désert .
Jilla , ayant fait ses ablutions et rempli les outres d’eau fraiche , s’apprêtait à prendre un bain quand des rires mêlés d’éclats de voix féminines se firent entendre d’un bassin plus élevé et proche de la source , caché par des palmiers .
En effet ! l’écoulement interminable de la source , épousant le relief cascadé du pied de la montagne ,formait plusieurs retenues d’eau à chaque niveau .
Nos deux voyageurs se trouvaient à son niveau bas , là ou elle rejoint la rivière .
Des voix , des rires de femmes et des éclaboussement parvenaient progressivement aux oreilles de Jilla .
Jilla étonné par ces clameurs , se ravisa de se déshabiller pour se baigner et interrogea du regard Si Ahmed qui revenait à la surface après s’être jeté , tout vêtu dans l’eau.
Pointant du doigt la direction des clameurs, il lui demanda :

« Tu entends ?
- il y a des femmes qui se baignent là-haut ! »
Si Ahmed , tout mouillé , écouta un moment et lui répondit :
« Surement une séance de fertilité pour jeunes femmes dans cette source dite aussi ; lac des fiancés !
-Ce rite est très répandu dans cette contrée matriarcale ! »
Sur ce ! jilla se brusqua et ordonna au vieux guide noir :
« Allez sorts de là et partons d’ici !
-Hada hamam nissa’ !(1)»
« Regarde la bas sur l’autre bord de ce lac sous l’ombre des palmiers ! » dit il pour preuves.
Si Ahmed se retourna et vit une dizaines de vieilles femmes massées par grappes , içi et là qui leur lançaient des regards furtifs , tout en lavant leur linge.
Penaud! il sortit tout dégoulinant de l’eau , suivi par Jilla qui rajustait sa chemise .

Ils enfourchèrent leur montures chargées d’outres pour le voyage en pays désertique et quittèrent contrariés la rafraichissante source bleue.
Le guide Soudani pour s’excuser de son oubli , se rattrapa en racontant à Jilla :
« Noble prince ! je te présente toutes mes excuses , le soleil et la soif ont ramollit mon cerveau ! J’ai omis de t’informer sur la vérité historique de ces lieux !
-suivant la mémoire collective , les Berbères de cette région étaient des sociétés bien organisées sur un modèle matriarcal très fort jusqu’à l’arrivée de l’islam !
-Le pouvoir et l’impôt des caravanes étaient détenus par des dihya (2) , les vergers et palmeraies par les hommes et les esclaves du Soudan (), quand à la minorité juive , elle s’occupait de l’artisanat . »

Notes :
(1) Bain de femmes !
(2) Princesses
(3) Pays des noirs

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Nos deux cavaliers, suivant la piste de l’axe : Tombouctou – Honaine , franchirent en un seul trait les trois ksours : Boudnib , Bouanane , Boukais jusqu’à Mengoub .
Là ou se rencontrent deux pistes caravanières , celle qu’empruntent Jilla et son compagnon , menant au Nord vers Oujda via Bouarfa et l’autre , venant du Touat par cette voie via Figuig .

C’est dans le ksar Mengoub , véritable point de départ et concentration des caravanes venant de Sijilmassa et des oasis du Gourara , qu’ils mirent pieds à terre après une chevauchée de plusieurs heures et le soir à la tombée du soleil , ils décidèrent de camper prés d’un talus de tamaris .
Ils débarrassèrent leur montures de leur selles et des outres d’eau
qu’elles transportaient.

Jilla constata que Berk , l’Alezan de Lalla Zahra , le mors en bave et le poil luisant , transpirait fortement et que l’extérieur de la mule du guide , habituée à la fatigue , semblait sec .
Il le couvrit de son burnous et l’attacha au pied du talus pendant que son compagnon qui ayant déjà ligotée sa mule , s’affairait à ramasser des brandilles sèches pour allumer le feu du bivouac choisi sur son conseil .
Après une journée passée à trotter sur la piste caravanière , voici venu le moment de planter la tente pour la nuit pour bien camper et dormir à la belle étoile au pied du talus touffu !
Pour le vieux guide noir, préparer le thé chaud et revigorant des bédouins, c’est avant toute chose !
Il s’activa de choisir un endroit dégagé du campement et creusa une cuvette dans laquelle il déposa les brindilles sèches et ajouta des feuilles mortes du tamaris .
Une fois le feu lancé, il déposa des branches un peu plus massives.
En déposant de grosses pierres qu’il stabilisera tout autour de la cuvette qui va lui servir de réchaud .
D’une outre d’eau , il remplit sa vieille casserole cabossée en fer blanc et la posa sur la cuvette ardente .
Jilla ayant installée la tente à poil de chameau , achetée à Sijilmassa pour le voyage , à l’écart du coin de feu allumé par Si Ahmed , déroula et étala une natte et s’assit en tailleur dessus .Il regardait les flammes danser dans la demi-obscurité car le crépuscule a déjà pris possession du ciel bleu .
Jilla réfléchissait à cette première journée de marche depuis leur départ du ksar Meksi .
Ce qui l’intriguait toujours ! C’est l’histoire des chefs religieuses et militaires !
« Comment une région si rude et montagneuse à la porte du désert aride fut elle commandée par des femmes ? »
« Si Ahmed doit être au courant de ces dahya (2) berbères ! »
se demandait il en souriant au vieux guide soudani qui préparait le thé en cassant du sucre avec un mehraz (1) pour le remuer ensuite dans la casserole bouillante.

Note :

(1) pilon en bronze
(2) prêtresses.

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Dégustant le traditionnel breuvage des bédouins, chaud et sucré, par petites gorgées ,Jilla interpella son vieux compagnon :

« Ya Si Ahmed ! les anciens n’ont-ils pas maudit le peuple commandé par une femme ? »

Le vieux chantre soudani sourit et répondit à son jeune et novice compagnon sur ce matriarcat local, maintenant révolu avec l’avènement de l’islam .

« Je vais te chanter quelques grains d’un chapelet d’histoire vraie des Berbères de la région ! »
Il sortit son goumbri (1) et le fit gémir , tout en chantonnant en berbère d’une voix langoureuse .

Jilla écoutait religieusement trois chants fabuleux sur les célèbres matriarches,
séparés chacun par des gorgées de thé pour accentuer sa mélodie.
A chaque couplet , le vieux guide fit une pause et expliquait au prince en arabe .

Le premier contait que la dahya amoureuse Leïla , a tué 99 hommes et son amour Amar.
Dans celui de la fantastique Lalla Mehaya , elle a fini par percer un trou dans la montagne juste avec ses cheveux enduits de henné, et enfin, dans celui de Mama Tamza la grande déesse ,c’est-elle la plus forte face à la mythique El ghoula (2), .
Cette dernière faisait figure d’idiote en face d’elles.

« Mais ! ce sont des sornettes de païens ! » s’offusqua jilla incrédule.

« Certes , Noble prince ! les contes déforment la vérité mais mettent en exergue la suprématie des femmes en déesses invincibles et redoutables au milieu de leur peuple. » s’efforça d’expliquer Si Ahmed .

« Hamdou allah (3) ! l’islam a mis fin à ce matriarcat païen .
Son arrivée dans cette région s’est faite sans heurts et a été diffusé par des autochtones berbères , moines chrétiens , des survivants du manichéisme au Grand-Maghreb, convertis pendant leur pèlerinage à Ûrshalîm (4)
sous le règne de salah edine ayoubi .(5) » conclut le vieux guide .

Notes :
(1) Luth soudani
(2) L’ogresse
(3) Louange à dieu !
(4) Jérusalem
(5) Saladin

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Au lever du soleil , jilla ouvrit les yeux et vit son cheval et la mule de Si Ahmed broutaient un drin vert , une espèce de grande graminée croissante dans les déserts de l’Afrique et qui sert de fourrage aux chevaux , chèvres et chameaux.
Ce drin parfois très fourni qui pousse autour des points d’eau ou berges d’oueds dans le désert , avec les tamaris et les roseaux indiquent aux caravaniers la proximité d’un puit ou de l’eau dans le sol .
Arrivés au puit de Mengoub à la tombée de la nuit , nos voyageurs ne ce sont pas aperçut qu’ils ont dressée leur tente sur le bord d’un oued à sec au pied d’une immense dune .
Donc ! le puit de Mengoub n’est pas loin ?
Si Ahmed , réveillé tôt et parti à sa recherche , revint vers Jilla , lui annonçant la nouvelle :

« Noble prince ! j’ai retrouvé les puits creusés au pied de la dune ! »
Jilla sauta de plaisir , dans l’espoir de se baigner enfin !
Mais sa joie fut de courte durée, le temps que le vieux guide s’assit à ses cotés .

« Dommage ! ils sont tous comblés de sable et les ghedir (1) sont aussi à sec. »

« Faut il déblayer pour avoir de l’eau ?
– Connais-tu au moins leur profondeur ?
– L’eau est elle bonne ?» questionna jilla inquiet.

« Naam Sidi (2) !
- Vu la végétation aux alentours !
- ils ne doivent pas dépasser 2 m 50 ! » Répondit le vieux guide, tout en rassurant :
« Hamdou Allah !
-Nous avons fait notre provision d’eau à la source bleue ! »

« Dans la piste du Nord vers Oujda !
y a-t-il des points d’eau jusqu’au prochain ksar de Bouarfa du royaume alaouite ? » interrogea Jilla .

« il y a des puits le long de la piste !
Mais , vu l’état de ceux là , rien n’est certain !
Si nous suivrons celle de l’Est via figuig , puis en remontant vers Moghrar et Ain Sefra ? on se rapprochera du Chott-el-Gharbi (3) ! » Renseigna avec précision le vieux guide Soudani.
Jilla décrochant les outres d’eau , donna immédiatement l’ordre de faire boire et seller les bêtes, d’arracher du drin dans les dunes, pour leur fournir un supplément de fourrage en plus de l’orge emplissant leur musettes et de se diriger vers Figuig .

Notes :
(1) Retenue d’eau
(2) Oui seigneur !
(3) Lac de l’Ouest du Maghreb

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A mi chemin de Mengoub , à un autre point d’halte sur la piste Sud Est du Touat , Jilla et le vieux guide du Soudan , vraiment chanceux , rencontrèrent une caravane venant de Figuig ou mont des sept ksours (1) zone jadis contrôlée par le sultan Saadien Ahmad al Mansour , trouvèrent un puits fraichement curé par elle , purent faire boire leur monture et surtout se renseignèrent sur leur prochaine étape .

« Figuig se trouve dans une zone d’influence partagée entre la régence d’Alger et les alaouites et payait impôt auprès du bey d’Oran .
Réhabilitée en 1805 par le sultan Moulay Slimane pour une brève période , d’autres conflits se déclenchèrent pour la domination des sources d’eau , tout particulièrement l’abondante source de Tzadert qui était la cause principale des conflits.
Figuig fut tout le temps la destination des fuyards , à la suite des guerres de succession des sultans alaouites comme nos deux voyageurs .
La majorité de sa population s’était opposée à leur makhzen ; une seule partie : les meh’erzi (3) a conclu un pacte de l’amane (4) .
Elle était totalement autonome dans ses sept ksour éparpillés le long de l’oued Zouzfana.
Chaque ksar avait ses propres lois et coutumes.
Ensuite tous les anciens ksars se sont regroupés , pour mieux se défendre et garder leur caractère culturel et politique , indépendante du makhzen et de bab 3ali (5) autour de la Zaouia de Sid Cheikh, connue localement sous le nom de Ouled Sidi
Tej .(5)
Une tribu de marabouts d’origine arabe qui pratiquait le commerce des burnous et des bijoux entre la région de Figuig et Moghrar Tahtani et qui avait bien implanté son pouvoir moral dans tout le sud oranais , principalement chez les tribus arabes et les Berbères des oasis .
L’oasis Figuig contrôle une des routes méridionales du commerce transsaharien reliant le Touat et le Nord , mais elle est aussi une étape importante au piedmont de l’Atlas saharien.
Le long de cette route, empruntée par les lettrés comme par les marchands musulmans , il existe des vallées qui assurent un ravitaillement en eau et en nourriture aux caravanes. » renseignait un vieux chef de caravane , rencontrée sur les lieux .

« Donc ! le choix du vieux guide était salutaire !
- Nous ne manquerons pas d’eau si vitale , ni de fourrage sur notre chemin dans cette contrée rude et aride . » pensa tout bas Jilla enfin rassuré pour son cheval si fragile.

Notes :
(1) Pluriel de ksar
(2) Pays des ( Soud ) noirs
(3) Du ksar d’Aït Meh’rez
(4) Pacte d’accueil et de défense mutuelle
(5) Porte sublime ottomane
(6) Famille de cheikh bouamama .

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Suivant les recommandations du vieux pistard de la rihla (1) venant de Figuig et rencontré sur l’axe Touat –le Tafilalet , le jeune prince et son compagnons arrivèrent à Figuig sans incidents .
Située au sud Est du royaume Alaouite , l’oasis indépendante de Figuig, reroupe sept ksour (2) occupés par Quatre grandes tribus : les Awlād Sīdī -Cheikh Sharaga (3)qui se consacrent à l’étude et à la prédication et les Banū Guil, les Dwī Menī’e et les Awlād Jarīr qui s’adonnent au commerce en terre du Soudan (4) , aucune frontière ne sépare leur vaste espace ,car au-delà des ksour , dans cette terre inconnue , le pays est habité et parcouru par des tribus arabes , berbères ou Juives nomades vivant sous la tente, possédant de nombreux troupeaux de moutons, de chèvres ou de chameaux .
L’oasis de Figuig est leur passage obligé à travers l’Atlas saharien, faisant le lien entre le Nord et le désert grâce aux oueds Zousfana et Saoura .
Le grand commerce et tous les itinéraires sont détenus par les marabouts de wlād Sīdī Cheikh Cheraga et Gheraba (5), les Dwī Manī’e, les tribus du Kenadsa et celle du djebel Amūr hors du royaume Alaouite.
les wlad Sīdī cheikh sont le groupe le plus important en nombre dont l’influence s’étend jusqu’au Touat.
La tribu se serait installée dans la région vers le XVIIe siècle à la suite d’une lente migration entamée depuis l’Ifriqiya (6).

Ayant loué deux sedari (7) d’un Mergad (8) à l’entrée du fondouk du ksar zenaga , Jilla et son vieux guide soudani écoutaient silencieux , tout en sirotant le thé traditionnel de bienvenue , le récit fourni de figuig et de sa population que narrait le propriétaire du Mergad .
Profitant d’une pause, Jilla osa une question :

« Ya Maalem (9) ! ces wlad Sidi Cheikh sont ils des Idrissides ? »
L’aubergiste juif surpris ! sourit tout en scrutant les traits de son jeune locataire .
« Les wlad Sidi Cheikh sont de seconde noblesse !
-ils ne sont pas issus directement de votre prophète Mokhamed (10) comme les Chorfa , leur lignée descend de son khalifa Abou bekr seddik , le véridique comme vous dites , dont il a épousé une des fille . » confia tout bas le patron de l’auberge .
Notes :
(1) expédition
(2) villages fortifiés
(3) de l’Est
(4) pays des Noirs
(5) de l’Ouest
(6) Actuelle Tunisie ,constantinois et le souf réunis
(7) Canapé
(8) Dortoir
(9) Oh patron !
(10) Mohamed (saws)
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L’aubergiste juif continua son récit , en ajoutant cette fois , à haute voix à ses hôtes :

« Le Makhzen considère la tribu des wlad Sidi Cheikh comme dépendante de la ‘amala (1) d’Oujda, et lui a constitué, un commandement (khalifalik), dont l’autorité s’étend de Fighig jusqu’aux ksour d’Aïn-Sefra , Tiout , Asla , Stitten, Boussemghoun, Brezina, El-Abiod, Ghassoul , Chellala, Boualem et Laghouat .
Leur Cheikh possède un ẓahīr (2) royal le reconnaissant comme Charif (3) ce qui lui confère une certaine autorité judiciaire et témoigne ainsi de son importante influence politique, sociale et religieuse dans toute la région et jusqu’au Touat. »

« C’est grave !
-Pourquoi cet octroi de titre à des gens que vous dites qu’ils sont de seconde noblesse ? » s’offusqua Jilla .

Le patron juif du merkad regarda autour de lui et confia tout bas :

« C’est politique et pour des raisons commerciales car le beylek ottoman d’Oran voisin revendique aussi cette zone de grand trafic caravanier pour contrôler les itinéraires et lever l’impôt , en occultant son aspect , culturel et religieux , commun ! »

«Puis tous les nomades des kssour de la région ont leur greniers à Figuig ! » ajouta malicieusement le gérant juif en les quittant pour recevoir des clients.

Jilla fixa le vieux guide d’un regard interrogateur.
Ce dernier hocha la tète affirmatif !

« Le juif dit vrai ! Figuig est un vaste entrepôt sur et très bien gardé !

-Dans cet entrepôt à l’abri des razzias : on trouve de tout !
jusqu’à une contenance de 200 charges de chameaux et 100 peaux de bouc d’orge , dattes, étoffes, tapis, tentes, de beurre , œufs d’autruche, manuscrits par silo !
Ce qui donne une idée de la richesse et des échanges des sept Ksour de l’oasis avec le reste du Maghreb et du Soudan (4)» confirma Si Ahmed en ajoutant pour conclure :

« Tous les Marabouts des différentes zaouias des ksars ont leur mausolée içi !
-Même ceux lointains d’Ouazane ,Kerzaz et Kenadsa . »

Notes :
(1) Gouvernorat
(2) Décret
(3) Noble Idrisside
(4) Pays des noirs

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Jilla fut émerveillé par l’interaction économique et les liens maraboutiques entre les mondes nomade et sédentaire .
Curieux ! il demanda à son compagnon qui s’apprêtait à s’allonger sur son seddari :

« Comment font ces tribus éparses sans makhzen pour gérer et protéger leur riches dépôts ? »

Si Ahmed mit un cousin sous son coude et répondit en parfait homme du désert :

« Ya amir chorafa (1) la société saharienne est composée de deux mondes nomade et sédentaire qui interagissent entre eux et les ksour sont les lieux de leurs rencontres et de leur pèlerinages.

-On trouve dans les différents ksour de Figuig des adeptes des wlad Sidi Cheikh et quelques Darqāwa .

- Au côté de ces zaouia établies dans les villages, les wlad sidi cheikh exercent une ascendance sur les tribus comme sur les habitants des ksour et de nombreuses tribus, du Tell jusqu’au Touat sont leurs khuddām (2)
-Donc ! Leur Marabouts servent d’intermédiaires dans les conflits locaux dans chaque kṣar de Figuig .

Les wlad sidi cheikh sont aussi investis de la justice civile .
-mais leur jugement peut être porté en appel auprès du cheikh de Kenadsa ou celui de Kerzaz .
Leur appui est souvent recherché !
Leur Marabout permet aussi une redistribution des richesses , grâce aux dons reçus lors des ziyāra(3) ou des tournées effectuées dans les zwi (4).
-Ces rôles de médiation et de redistribution leur sont dévolus car leur puissance spirituelle et leur nombre, permettent de résoudre les conflits entre toutes les tribus et assurent protection aux juifs des ksour :d’ el-Hammam Foukani , d’ el-Maïz et d’el-Oudaghir .»

Jilla appréhendant ce nouveaux territoire et les populations qui les habitent , ose une dernière question :

Notes :
(1) Oh noble prince
(2) Serviteurs
(3) Visites aux mausolées
(4) Pluriel de zaouia
(5) Dis moi !

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« Gol lia (1) Si Ahmed !
- qui prélève les impôts du commerce des fondouk et des caravanes et la dime des juifs du ksar el-Oudaghir pour le Makhzen ? »

Le vieux guide se redressa , ajusta son coussin derrière son dos et répondit à son compagnon assis sur le seddari en face de lui :

« Noble prince ! les tribus arabes et berbères des ksour et l’oasis de figuig refusent de payer tout impôt .
- Au sultan de Fez : les sédentaires prétextent que le pâturage et leur cheptel sont sur l’espace de la régence turque au-delà de la moulouya .
-Et au bey d’Oran : les nomades disent que leur silos de récoltes sont en territoire Alaouite. La dime est perçue par les marabouts locaux .»
« Dans cette anarchie, l’autorité revenait aussi aux chefs des djemaa (2) berbères.
Figuig se trouve en Blad siba’a (3) ou le sultan est reconnu chef religieux , tout en refusant son makhzen et leur cadis (4 )sont des Oulèma (5) nommés par les tribus et n’envoie aucun contingent sauf si le sultan déclare le Djihad ! (6)» expliqua enfin Si Ahmed en s’allongeant pour dormir .

Jilla , sa curiosité assouvie , fit de même .
Soudain ! le vieux guide éclata de rire .
Jilla qui faillit s’endormir , ouvrit les yeux et vit Si Ahmed , la bouche édentée grande ouverte , secoué par le rire , demanda :

« Chaa dahkak (7) vieux goual ?( 8) »

« Je me suis rappelé une anecdote de Figuig sur l’autorité du sultan Slimane !
-Tous les caids qu’il a nommés içi , furent renvoyés à Fez , montés à rebours sur un âne ! » dit Si Ahmed expliquant son rire à Jilla qui contaminé , s’esclaffa lui aussi.
Des coups sur le mur de la pièce d’à coté se firent entendre !
« Chut ! il est tard et nos voisins veulent dormir !
Bonne nuit prince et à demain ! » conseilla le vieux guide soudani .
Les yeux en larmes , Jilla étouffa son rire et s’endormit .

Notes :
(1) Dis moi !
(2) assemblées
(3) Pays anarchique
(4) Juges
(5) Savants en théologie .
(6) Guerre sainte
(7) Qui te faire rire ?
(8) Vieux chantre

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Jilla et le vieux guide partirent de bonne heure au fondouk situé à la sortie du ksar de figuig , des informations circulaient q’une caravane se préparait à quitter Figuig pour Bechar , ensuite kenadsa au Sud sur le territoire de la régence d’Alger .
Ce qui les intéressait, c’est trouver un passeur pour rejoindre Moghrar au Nord sur une piste non fréquentée par les caravanes .
C’est une idée du vieux compagnon soudani , pour protéger de toute mauvaise rencontre , le jeune prince Idrisside ! craignant pour sa sécurité hors du territoire du makhzen .
Les ottomans opposaient Zaouia contre zaouia , Marabouts contre chorfa et arabes contre berbères et en tiraient bénéfices de ces désunions sur le Sud oranais récalcitrant à leur pouvoir .
« Mais les wlad sidi cheikh et les derkaoua installés des deux cotés de la frontière impossible faisaient fi des combines ottomanes , comprenant leur vraie raison qui est juste la collecte d’impôts auprés de tous pour le bey d’Oran . » expliqua un vieux bouchikhi (1) passeur de profession contre une poignée de dirham alaouite .
« Dans deux jours ! vous serez à Moghrar .
-Pour passer inaperçus ! on doit se mèler avec les Adid (2) de la caravane pour Kenadsa au Sud et la quitter à mi-chemin au ksar Beni ounif pour le Nord .» déclara le passeur en ajoutant à l’adresse de Jilla :
« Moulay (3)! Vous devez changer de vêtements un peu plus modestes et dissimuler votre belle chevelure par un bonnet de grosse laine ! »

Jilla regarda le vieux guide soudani qui approuva par un hochement de tète .
« Donc ! Berk (4) ne sera pas du voyage ? » s’inquiéta Jilla auprés de son compagnon .
« Qui est ce Berk ?
On a convenu que pour vous deux !» demanda le passeur devenu réticent .

« Non ! non ! c’est le nom du cheval de notre noble prince ! » rassura Si Ahmed .
Le passeur sourit et leur asséna moqueur :

« Un domestique , supposé corvéable à merci , avec un cheval avec un si beau nom alertera toute la caravane et sûrement les agents du bey d’Oran ! »

Jilla senti un pincement au cœur et un rictus déforma un instant sa bouche et affirma stoïque et froid :

« Pas de problème !
-Nous serons sans montures pour la traversée ! »

« Alors ! soyez au rendez vous à la sortie du ksar , prés du cimetière juif ! »

Notes :

(1) Membre de la confrérie des wlad sidi cheikh
(2) domestiques
(3) Seigneur
(4) Eclair

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Jilla noble, fils de nobles, se rappelait qu’enfant dans la steppe avec son immense troupeau , il lui arrivé de se grimer ou se déguiser, pas trop mal. mais en malik (1 ) pour se rapprocher de son éducation ou de sa haute naissance .
« Maintenant pour sauver sa vie et celle de son compagnon, il lui faudrait se camoufler en khdim (2), avoir, si possible, l’air d’un mendiant !
C’est plausible !
Ce n’est pas ce qui le gênait !
Mais ! se séparer de Berk son Alezan ! Non !
Mille fois non !» trancha jilla décidé.
S’étant fait couper les cheveux, il enfila un habit de khdim ramené par le vieux guide qui le regardait d’un air amusé et silencieux .
Jilla tournoya un moment sur lui même , mit ses mains sur ses deux hanches et dit :
« A quoi ai-je l’air dorka ? (3) »
Si Ahmed hésita entre les qualificatifs et prononça son verdict :
« Oh ! noble prince ! vous ressemblez à un inoffensif domestique de palais .»
« Saha Sidi (4) !
Maintenant arrête de te moquer de mon déguisement et trouve un moyen pour que Berk et ta jument soient du voyage ! » ordonna Jilla en sortant du Mergad pour ronger son frein dans le dédale des rues du ksar Zenaga .
Travesti en un humbIe khdir , il se fond dans le décor parmi la foule , déambulant dans une rue , voutée par endroits .
Le ksar organisé autour du fondouk est un véritable labyrinthe parcouru par des venelles étroites , juste pour le passage de deux piétons ou un seul âne bâté pour le ramassage des ordures .
Il s’enfonce dans le ksar par une ruelle déserte et portes closes ,! il tombe sur une impasse .
Il rebrousse chemin et soudain ! un portique s’ouvrit et deux hommes cagoulés avec d’énormes gourdins à la main apparurent et lui barrèrent la route .
Jilla stoppa net et mit sa main droite sur sa hanche ,attendant leur réaction , dos à l’impasse .
Son geste n’a pas échappé aux deux énergumènes , ils s’immobilisèrent à deux pas de lui .
L’un d’eux , lui cria d’une voix rauque :
« Awid sordine (5)? ya gharib ! (6) »
« Viens le chercher ! ya sa3louk (7) ! » lui rétorqua jilla en sortant son pistolet à pièrre offert par le nadir iddrisside du makhzen du ksar des M’hamid lors de sa mission au juge de Zagora.
Les deux malfaiteurs regagnèrent à reculant le portique d’où ils ont surgis et le refermèrent sur eux .
Jilla entendit les verrous grinçaient derrière !
il s’apprètait à continuer son chemin quand d’un stah (8) d’une maison voisine , il entendit un applaudissement et un éclat de rire .

Notes :
(1)Roi (2)Domestique
(3) Maintenant
(4) ok Monsieur
(5)Donne ton argent en berbère
(6)Oh étranger
(7)Voleur
(8) Terrasse

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Jilla encore troublé , d’être tombé dans cette souricière, recula d’un pas , dos au mur en face du stah (1) .
il leva les yeux et vit un homme noir de grande taille , tapant des mains et riant à pleines dents !
Des dents rangées et d’une blancheur éclatante, c’est ce qu’il percevait le plus d’en bas.
« Çà t’amuse ? » lui dit Jilla .
L’homme voyant le pistolet pointé vers lui , arrêta de rire , leva haut les mains et s’empressa d’expliquer sa position et sa hilarité :
« Non Sidi ! Vous ètes en légitime défense ! Bravo !
Attendez moi je descends ! » et disparut.
Sans réfléchir , Jilla se déplaça à la porte fermée d’en bas du stah et se plaqua sous celui çi , en pensant tout bas :
« C’est surement leur chef ou un complice chargé de faire le guet dans la ruelle pour les avertir qu’il y avait une proie. »
Un moment , un long moment se passa dans cette impasse lugubre aux murs délabrés , percés d’ouvertures closes .
Il n’y avait pas âme qui vive et la rue totalement déserte .
Jilla sur ses gardes , décida de quitter les lieux , en surveillant les portes .
Il fit quelques pas ! quand soudain celle du dessous du stah s’ouvrit largement .
Un colosse noir fit son apparition et lui dit :

« Astena ! astena (2) ! »

Jilla se retourna et vit ses cheveux crépus et courts, son visage d’un teint luisant , surmonté d’un front découvert et sur ses larges épaules de gaillard joyeux , une abbaya blanche à même la peau et chaussé de sandales .
Un large sourit fendant sa bouche !

Rassuré sur la physionomie pacifique de l’homme , jilla abaissa son arme .
Le noir demanda conciliant :
« Ou logez vous Sidi ? »
« Au Mergad du fondouk !» lui rétorqua Jilla .
« Vous connaissez le chemin du retour ? » demanda l’homme noir .
Jilla bafouilla une réponse inaudible !
Comprenant son embarras , l’homme se proposa derechef comme guide en se mettant devant le prince égaré .
« Aya ! je vous raccompagne, suivez moi Sidi ! »
Jilla rengaina son arme sous ses guenilles et demanda :

« Mes agresseurs sont vos voisins ! »
« Non ! non ! cette porte donne sur un haouch (3) vide et en ruine , les stah communiquent entre eux et vos assaillants peuvent venir de n’importe quelle ruelle plus loin ! »
Notes :
(1)Terrasse
(2) Attends ! Attends !
(3) Rez de chaussée

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« Vendre l’alezan Berk au souk des bestiaux ?
C’est aller contre les sentiments du prince !
-Ne pas le faire ? C’est risquer sa sécurité !
il doit prendre une sage décision alliant les deux !»
Ainsi réfléchissait indécis Si ahmed , allongé sur son Seddari !
L’absence prolongée de jilla accentuait son stress , il se redressa , chaussa ses sandales et sortit devant le Mergad s’enquérir de ses nouvelles .

A ce moment ! Jilla flanqué d’un colosse noir firent irruption du coin de la ruelle menant droite à l’entrée du dortoir.
Le fragile cœur du vieux guide soudani bâtit plus fort que d’habitude !
doublement réjoui, du retour du prince et de la présence de celui qui l’escortait comme une mastodonte.
Ne croyant pas ses yeux , les frotta pour s’assurer de sa vision .
C’est bien Mbarek le gorille noir de Tombouctou , chef caravanier craint de tout le Soudan (1) .
Ce dernier reconnut aussi Si Ahmed le Soudani , le plus célèbre des guide de toutes les caravanes du grand commerce transsaharien .
Les deux hommes accoururent l’un vers l’autre et s’enlacèrent frénétiquement bousculant les passants.
Jilla , l’air ébahi , les regardait ému .
Se détachant de l’étreinte du colosse , Si Ahmed , les yeux en larmes , vint vers jilla ,le prit par la main et le lui présenta :

« SI Mbarek !
-Voiçi Jilla ben Sidi Chérif , prince idriside du ribat des hammada Ghir et Oum Assel .

« Allah ibarek fih (2) ! » s’exclama le colosse et ajouta , regardant Si Ahmed :
« Sa bravoure que je viens constatée personnellement prouve son noble sang !
-C’est pour cette raison que je l’accompagne !»

« Que s’est il passé ? » demanda Si Ahmed soudainement inquiet .

Jilla intervient calmement :
« Si M’barek , je suis très content de vos retrouvailles avec Si Ahmed !
-C’est mon confident et mon compagnon ! »
Et s’empressa d’inviter fièrement le colosse :
« Soyez la bienvenue parmi nous !
-Rentrons au Mergad pour discuter à l’abri des oreilles !
-C’est moi qui offre le diner !
Quand au thé ? ce sera celui de Si Ahmed !»

Notes :
(1) Pays des noirs
(2) Que dieu te bénisse !

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Pendant qu’ils dinaient , M’barek et Si Ahmed riaient comme des gamins en s’échangeant des souvenirs , parfois si rigolo , qu’ils faillirent parfois s’étouffer .
Jilla souriait en silence , respectant leur retrouvailles .
De temps en temps , il demandait des choses à M’barek , voulant tout savoir sur lui .
Plus jilla le questionnait , plus la distance entre m’barek et lui se réduisit .
Une bonne nouvelle !
M’barek est le chef conducteur de la caravane qui part demain pour Kenadsa .
Joyeusement surpris , nos deux voyageurs s’échangèrent des regards complices .

Devinant leur manège , le colosse noir comme à son habitude , éclata de rire , dévoilant leur secret :
« hahaha ! Quoi ?
Vous êtes du voyage ? »
La chance semblait etre de leur coté et leur problème résolu ,quand M’barek leur déclara :
« Je vous embauche tous les deux comme éclaireurs !
-Et puis ! je ne peux pas abandonné ce vieux renard du désert içi dans ce pays anarchique ! » dit il en tapotant le dos du vieux guide soudani .

« Merci frère ! » remercia Si Ahmed ému .
Le repas terminé, ils prolongèrent leur discussion autour d’un thé à parler de choses et d’autres plus sérieuses.
Les interrogations de Jilla étaient plus orientées vers la régence d’alger , le passage en territoire ottoman , de ses agents .
Pour nos deux voyageurs , la prochaine étape serait Beni ounif , puis l’inconnu.
Ils n’avaient, d’autres solutions, que composer au mieux avec M’barek .
Celui-ci sentant l’heure tardive , se leva et prit congé de nos deux chanceux voyageurs en leur sommant :
« Ramenez vos montures avec vous !
-La caravane part après la prière de l’aube !
Soyez à l’heure prés du cimetière juif avec votre passeur !
Et dites-lui ! que vous renoncerez au voyage sans vos bêtes et que vous prenez le risque d’être découverts ! »
tout en ajoutant malicieux :
« Payez le et rejoignez la caravane !
-Bonne nuit , frères !»

A peine sorti du Mergad , il revint sur ses pas , fixa Jilla et lui dit amicalement :

« Noble prince ! cédez votre beau alezan à Si ahmed et montez sa mule ! »
Jilla hocha la tète consentant.
M’bareb sourit et s’en alla en saluant :

« Salem alikoum ! (1)»
« Salem wa rahma ! (2) » répondirent en chœur Jilla et son compagnon .

Notes :
(1)Que la paix soit sur vous !
(2) Paix et miséricorde
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La caravane traversa lentement en file indienne le col entre le djebel Zenaga et le djebel Taria qui séparent les sept ksour Figuig pour rejoindre le huitème ksar beni ounif situé environ à une journée de marche de l’oasis le long de l’ Oued Taria.

Le ksar beni ounif se trouve au pied de la montagne Zenaga à l’Ouest sur le territoire vivrier des tribus nomades et espace de pâturage de leur cheptel jusqu’à kenadsa au Sud et Ain Sefra au Nord .
Si Ahmed en tète de la caravane ouvrait la piste en éclaireur sur l’intrépide Berk’ , tandis que Jilla et le passeur fermaient la marche sur leur mules chargées .

La mule du vieux guide montée par Jilla trottait à coté de celles du passeur et d’un marchand d’esclaves et de laine dont figuig est la plaque tournante de ces commerces .
« A l’aller la laine est achetée aux nomades, propriétaires des troupeaux dans la régence d’Alger et transformée à Figuig, au retour, les esclaves sont vendus aux roumi (2) des ports du Nord ».
Ecoutant en retrait le dialogue en berbère du sinistre marchand et du passeur ,
Jilla ressentit d’emblée en son for intérieur , une sourde révolte devant cet ignoble trafic d’ètres humains que l’islam a proscrit dés sa révélation .
Le trafiquant vient de la tribu des Bnī’ Guil qui pratique la razzia et le pillage des caravanes et des nomades avec les Dwī Mnī’a de figuig aux dépends des Wlad Sidi Chikh qui contrôlent toute la région , dans les deux entités politiques du Makhzen alaouite et de la régence ottomane .
Lors de leur échange de paroles ! Jilla sut que le passeur est un Bouchikhi et que sa traversée sera facile et sûre.
D’un léger coup de rênes, il fit ralentir sa mule pour permettre aux mulets chargés de provisions de le dépasser et ainsi , se mêler parmi les porteurs haratines (3) .
Ses guenilles furent un parfait déguisement !
Hormis le passeur et le chef de la caravane , nul ne pouvait savoir qui est jilla ?
Ses traits aidant ! tout le monde ne voyait qu’un jeune domestique , genre wared (5) ou valet de riches markanti (4) accompagnant son maitre .
Un cavalier noir , chèche et abbaya blanche , galopait en sens inverse de la marche , c’est M’barek le raiis ou chef de caravane qui vint haranguer les trainards et inspecter ses arrières et prévenir toutes attaques ou désertions des porteurs à pieds

Il s’approcha de Jilla et lui dit autoritaire à haute voix , pour être entendu par tous :
« Toi le ghoulam (6)! Secoue moi ces flemmard !
-Sinon ! tu descends de cette mule ! »
Le colosse noir repartit en trombe comme il est venu .
Notes :
(1)Montagne
(2)Européens
(3)Domestiques noirs
(4)Marchands
(5) serveur d’eau
(6) jeune valet

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La caravane lourdement chargée avançait difficilement à deux miles (1) à l’heure sur le sol couvert de cailloux tranchants du défilé ,le long de l’oued Taria .

Arrivé au camp du même nom , quelques bâtisses délabrées servant de relais .
M’barek , le chef de la kafila (2), ordonna une halte pour permettre aux mulets porteurs qui trainaient sur la piste très difficile de rejoindre le gros de la caravane et faire hâter la marche .
Il vint au devant de Jilla en souriant et lui dit :
« Hé le ghoulam ! Nous sommes au camp Taria !
-Va boire un bol de chnine (3) et quelques dattes avec les haratines !
-Avant sallat Asr (4) , nous seront au Ksar Beni Ounif .»

Jilla descendit de sa mule et rejoignit un groupe de porteurs assis autour d’un Warad (5).
Celui-ci lui remit , sans le regarder , une poignée de dattes sèches et rabougries .
Jilla en mit une sous ses dents et la rejeta en s’exclamant :
« Hadi hajra ! machi tamra ! (6)»
Les haratines pouffèrent de rire , l’un d’eux lui tendit le bol , en argile cuite , débordant de chenine :
« Ramollit la avec çà dans ta bouche avant de la mordre ! »
lui conseilla le wared .
Jilla essaya une seconde fois avec une autre datte et eut mal aux dents .
Chose impossible, elle était aussi très dure , il abandonna en offrant le reste de ses dattes à son voisin et se contenta du seul breuvage fade .

Il s’éloigna des haratines et se mit à la recherche de Si Ahmed qu’il n’a pas vu depuis l’aube , il rencontra le passeur qui le renseigna :
« Il est parti en éclaireur devant la caravane !
Nous lèverons notre camp qu’à l’alerte de son coup de fusil , si la voie est sure ! » dit le passeur .
Ce dernier ouvrit sa sacoche en cuir, en retira une khobza (7)de froment et un pot de miel .
Il ouvrit en deux la galette , nappa l’intérieur de miel et l’offrit à Jilla .
Jilla se fit pas prier et mordit goulument dedans.

Notes :
(1) environ 3 Kms/H
(2) Caravane
(3) Mélange de lait et d’eau
(4) Prière de l’après midi
(5) Distributeur d’eau
(6) C’est un caillou et non une datte
(7)Galette

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Le vieux guide Soudani marchant à pied , un mousquet en bandoulière et tenant la laisse de Berk’ (1) inspectait d’un regard d’aigle , les traces sur la piste et les flancs du col montagneux, bien au devant de la kafila (2) .
Si ahmed sait qu ‘une erreur de sa part . sera fatale , sinon dramatique pour toute la caravane .
Dans le désert ,école de la sagesse , l erreur est impardonnable .
il vérifie le sol , s’il n ‘a pas des traces suspectes récentes .
La vigilance est vitale , par les temps qui courent , redoutant des imprévus .

Un proverbe dit :
« Si vous ne voulez pas qu’on vous ramasse au bord de la route la gorge tranchée et votre marchandise pillée ?
-Engagez des pisteurs soudani ! »

Ces pisteurs parcourent le sahara , suivant des pistes que peu sauraient déceler .
Leur rôle est simple : ils sont chargés de conduire les caravanes en un lieu précis et de l’en ramener sans encombre .
Ils louent régulièrement leurs services aux négociants et voyageurs qui doivent s’aventurer dans le désert .
Ils progressent généralement en avant, tentant de détecter les embuscades et autres dangers qui peuvent s’abattre sur la caravane .

Si les Pisteurs se retrouvent couramment dans les régions non sures aux abords du royaume, ils servent aussi au-delà de ces frontières.
On peut compter sur eux pour tracer des pistes , faire de la reconnaissance pour les caravanes organisées , à s’orienter et déjouer les nombreux pièges du désert .
Les grandes caravanes achètent la protection des chefs des tribus de la région qu’ils traversent .
Isl existent sur ces territoires immenses et incontrôlables, souvent en rébellion avec leur autorités , des dangers de toutes sortes .
Les négociants, propriétaires des chargements convoyés , payaient un fort tribut , pour leur acheminement en toute sécurité sur l’itinéraire qui traverse la contrée contrôlée par les marabouts .
Car les razzia (3) sont fréquentes dans le Makhzen Alaouite et la Régence d’Alger avoisinante qui sombraient tout deux dans l’anarchie due aux soulèvements tribaux et confrériques.

Toute la région en pâtissait de cette insécurité et les Béni Guil ou khil (4), tribu dissidente, en profitèrent de cette anarchie .
Les wlad Sidi Cheikh , forts de leur capital moral maraboutique , leur nombre et leur implantation des deux territoires , assuraient tant bien que mal le trafic transsaharien.

Notes :
(1) éclair
(2) caravane
(3) attaques de pillards
(4) Cheval

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Profitant de la halte , Les haratines ayant bu tout le chénine de l’outre du wared ,formant un cercle , discutaient tout bas entre eux , Jilla à l’écart avec le passeur , regardait sa mule broutait les brindilles sèches d’un tamaris que lui disputait un des mulets des porteurs .
M’barek le chef soudani , fouet à la main , allait et venait , scrutant l’horizon .
Le signal de l’éclaireur Si Ahmed tardait à venir !
Voilà une bonne heure que la caravane est à l’arrêt.

Craignant le pire ! le rais kafila (1) cachant mal son anxiété , pestait contre tout le monde .
Passant devant un porteur , accroupi sous son mulet , il gueula en claquant sur sa tète son nerf de bœuf :
« Imbécile ! l Anehad (2) et serre la sangle de ton mulet !
- son chargement est penché ! »
Au son cinglant du fouet , les haratine en cercle sursautèrent et se dispersèrent , chacun se précipita vers son mulet porteur , redoutant l’humeur du colosse noir .
Une lourde crainte pesait sur la kafila .
Quand soudain ! un coup de feu se fit entendre au loin !
M’barek s’immobilisa et écarta verticalement ses gros bras en ordonnant :
« Silence ! »
Jilla , le passeur et le marchand d’esclaves se redressèrent sans bruit .
Un seconde détonation retentit .
Le colosse sauta de joie et cria à la volée :

« Mettez vous en selle !
-Nous partons ! »

Le passeur secoua jilla , figé par le brusque départ sans attendre Si Ahmed , et l’informa :

« Si Ahmed a tiré deux coups !
-Devant une embuscade , l’éclaireur ne tire jamais : il rebrousse chemin .
-La voie est libre ! »
« Hamdou Allah ! » dit Jilla en enfourchant sa mule , imitant le passeur .

La caravane s’ébranla vers Beni Ounif , situé d’après ce dernier , à deux autres miles (3) restants de Figuig l’alaouite et la prochaine escale sur les terres de la régence d’Alger .
Jilla un zeste rassuré , avait surtout hâte de voir sain et sauf son vieux compagnon soudani .
Il comprit que son destin reposait sur l’expérience de Si Ahmed pour s’aventurer dans ce nouveau territoire inconnu.

Notes :
(1) Chef caravane
(2) Lève toi !
(3) Environ 3 Kms

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La caravane de M’barek le colosse soudani (1) fit son entrée dans le ksar Beni ounif , bourg rural et fortifié d’une vaste zone de razzia de pilleurs nomades , face aux ksour turbulents de Figuig .
Elle vient de passer sans incidents, le redoutable col Zenaga ,
Si Ahmed l’attendait, tenant à la main la bride de Berk’, l’alezan blanc qui se cabra en hennissant , la crinière dans le vent , à la vue de son maitre Jilla qui venait les rejoindre en courant , abandonnant la mule qu’il montait depuis Figuig .
Le jeune prince en haillons et méconnaissable récupéra berk’ que le vieux guide a lâché en s’écartant.
« Allah wa akbar ! il t’a reconnu ! » dit Si Ahmed .
« Oui ! il a senti mon haleine et se calme ! » répondit jilla en caressant l’encolure de Berk’.
« Wach Si Ahmed ! tu a pris du galon ? » plaisanta jilla en désignant le mousquet en bandoulière sur l’épaule du vieux guide .
« Je dois le rendre au raiis kafila !
-Ma mission se termine ici comme convenu !
-la caravane quittera Beni ounif après Sallat d’hor (2) et descendra au Sud , vers Kenadsa .» rappela le vieux guide soudani tout en invitant Jilla de le suivre .
« Allons voir Si M’barek ! avant de partir vers Moghrar au Nord ! »
-Nous devons quitter au plus tôt cet endroit ! » avertit Si Ahmed .

En effet ! Les alentours de Beni ounif regorgent d’esclaves affranchis , maures , haratine ou noirs d’Afrique .
Ces derniers sont Soninké, Wolof ou Hal Pular ( de la famille des Peuls ).
ils se replient toujours dans cette région libre et inhabitable, le seul inconvénient pour eux est qu’il n y a pas de nourriture.
Le pays est pauvre et inhospitalier et n’offre aucune alimentation, les oasis appartiennent aux autres tribus sédentaires et hostiles, donc ni viande, ni orge, le blé et les dattes leur sont inaccessibles
Manquant de nourriture, les pillards rançonnent les passages de caravanes
volent du bétail pour se nourrir sans débourser un sou
la raison du plus fort prime dans le désert
c’est une lutte pour la vie .
Alors ils s’adonnent aux pillages et participent aux razzias contre les caravanes organisées, par les invincibles Doui mni’ , les béni guil ou khil et les Awlād Jarīr, tribus arabes indépendantes venant de figuig .
Par contre les Baydines (3) forment une société hiérarchisée, en clans, castes et tribus et détiennent tous les pouvoirs .
Tout comme les wlad Sidi cheikh , forts de leur papier de chérifs octroyé par le makhzen , possèdent la majorité des troupeaux dans les parcours si bien gardés, par des nomades arabes affiliés, avec armes et tentes .
Notes :
(1)Noir
(2) prière de midi
(3) Arabes ou berbères au teint blanc

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Jilla et si ahmed s’en allèrent à la rencontre de M’barek le raiis kafila .
Ils le virent entrain d’inspecter des marchandises, portées par des mules .
Arrivés à sa hauteur, ils constatèrent qu’il vérifiait leur attelage et leur colis.
Si Ahmed le héla :

« Oh Si M’barek !
On veut prendre congé de votre caravane …
Nos chemins se séparent ici ! »

M’barek se retourna , abandonnant son inspection et fit face à son interlocuteur .
« Déjà ! vous nous quittez Si Ahmed ? »

« Oui raiis …( silence ) et je vous rend votre fusil ! » déclara le vieux guide en lui tendant le mousquet .s

« kalaa ! hacha mi3ad allah (1) !
– Gardez-le !
–Merci pour vos bons services pendant le passage du dangereux Col de Zenaga . »

Et s’adressant à jilla qui tenait en laisse Berk’ :
« Noble prince ! ce pays croule sous la servitude !
–débarrasser vous de votre accoutrement ignoble et défendez votre rang !
–Les ottomans régentent cette terre d’islam juste pour leur collecte d’impôts, tout en attisant la division de leur sujets , qui vivent le dénuement le plus total !
–Il existe un accord tacite , entre les Alaouites et les ottomans , qui maintient une ambiguïté sur cette région , en vue de soutirer le maximum de profits sur le florissant commerce caravanier ! »

En ajoutant , sévère , montrant du doigt :
« Regardez ces pauvres bougres de toute race qui croule de misère dans un pays si riche par son commerce transsaharien, tenu par des juifs et des marabouts ! »
Il finit par avertir :
« Noble prince ! Dans les villes et les ports de la régence d’Alger ! El Rakik (2) fait rage !
–On vend à la criée des Roumi (3), des noirs du Soudan (4) , des Andalouses et même des princes arabes !»
Le colosse soudani se tourna vers le vieux guide , mis ses grosses mains sur ses épaules et lui dit l’embrassant :
« Mon vieil ami ! Prenez soin du prince et que Dieu vous éclaire et vous protège ! »

Notes :
(1) Que Non ! Sauf faire offense à Dieu !
(2) Traite d’esclaves !
(3) Européens .
(4) Pays des noirs

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Avant d’arriver à Moghrar au pied du djebel (1) du meme nom , Jilla et son vieux compagnon font une halte à Djeniene (2) Bourzeg à un jour de trot de cheval de Beni ounif sur la route de la Saoura .
Quand le soleil commence a décliner, ils se mettent à cherchent un meilleur endroit pour installer leur campement pour la nuit , de préférence a l ‘abri du vent .
Pendant que Jilla plante les piquets de la tente , après avoir déchargées et ligotées les montures à proximité , Si Ahmed s’activait à allumer le feu et préparer les braises pour le thé et cuire le pain.
Une fois la tente dressée et les chargements mis à l’abri , Jilla rejoint le vieux guide et s’assit prés de lui !
Si Ahmed ayant aplatie une boule de pâte de Gam’h (3) avec ses paumes, la déposa au centre du foyer brulant, débarrassé de ses braises ,et la recouvrit avec la cendre chaude qu’il a étalée tout autour .
Avec son poignard de chasse, il rassembla les braises ardentes sous son inséparable casserole cabossée et noircie qui lui sert de théière.

Tout en observant les gestes, familiers à tout nomade dans le désert, de son compagnon, qui lui firent rappeler son honorable mère Oum el kheir autour du Kanoune (4) le jeune homme vif ,vigoureux , perspicace et astucieux , réfléchissait à son sort dans ce bled inconnu .

Il avait, abandonné son troupeau et sa tribu et coupé ses racines.
Depuis son départ du Draa, il a pleinement épousé sa nouvelle condition et avançait vers son destin, cessant de regarder derrière lui , découvrant au fur à mesure de sa fuite en avant , dans l’immensité de ce grand désert , tout un monde varié , fait de nomades et hdar (5) de berbères ou arabes , libres ou esclaves .
Une organisation sociale binaire :
Les premiers, sont qualifiés de pilleurs, d’oisifs ou d’alliés peu recommandables.
Tandis que les seconds sont considérés : industrieux, paisibles et inoffensifs.

Une chose sûre , jalouses de leur indépendance , toutes ces tribus ne se lient que contre un occupant Kafer (6) qui envahit leur territoire ou un pouvoir qui veut les commander , à part cela ! ils sont libres sans aucune cohésion et sans accords entre elles.
Jilla venait de constater de visu que tous les habitants du Sahara , nomades ou sédentaires , sont hostiles à tout pouvoir central : régence d’Alger ou Makhzen alaouite soit ‘il .

Notes :
(1)Montagne
(2)Petite oasis
(3)Blé dur
(4)Récipient de braises
( 5)Sédentaires
(6) Infidèle

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Frais et reposés ,ils attaquèrent l’itinéraire vers Moghrar !
Sur le chemin ,ils rencontrèrent une caravane qui se dirigeait dans le même sens vers le port de Honaine (1).
A la traine de celle ci , des charrettes attelées à des mulets encadrées par des cavaliers armés s’ajoutaient au cortège.
A l’intérieur de celles ci , s’entassaient , au milieu des malles , des esclaves noirs , certains sont des enfants .
Jilla n’en croyait pas ses yeux !
Ebranlé dans ses convictions , il demanda furieux à son vieux compagnon :

« Mon dieu ! Pourquoi ces traitements ignobles envers des êtres humains ?
– Comment peuvent-ils les considérer comme des marchandises ? »
Si Ahmed , en habitué des caravanes lui répondit calmement :
« Ces captifs , comme le sel , l’or , l’ivoire , les peaux de panthères ou de lions , plumes d autruches sont échangés contre du blé , de l’orge , des cotonnades , des burnous , des calicots , de la soie , du poivre , des miroirs , peignes à barbe ou du tabac .
–Moi même ! je fus échangé contre une bourse de tabac à chiquer
–Ce genre de caravane appartient à des négociants juifs ou affilié au pouvoir du dey d’Alger ou du makhzen .
–Dans le désert , les tribus indépendantes sont démunies et n’ont aucune fortune et considèrent honteux de travailler pour des autorités étrangères .
–Par contre les marabouts ou chefs de zwi (), rendent des services , se livrent au commerce , louent des chameaux pour les transports , possèdent des troupeaux et jouissent d une certaine aisance ,certains sont trés riches
–Quant aux gens de la régence , ils demeurent focalisés sur le profit et le gain .
les autres tribus doivent se plier a leur exigence et ne pas rouspeter , sinon c est le fouet et les réquisitions abusives . leur lois les protègent et leur permettent de dépouiller quiconque de sang non turc .
Alors , peu importe la nature des commerces , du moment qu’elles ne menacent pas leur pouvoir .
Les percepteurs d’impôts, de vrais kaddour (3) ne font que fructifier leur richesse personnelles .»
Un cavalier , surement un éclaireur , vint au galop à leur rencontre , d’abord menaçant :
« Qui ètes vous ?
–Que voulez vous ?
–Eloignez vous de notre kafila ! »
Puis , voyant le Sil’ham (5) doré et le cheval blanc du jeune prince et le fusil du vieux guide soudani , changea de ton et salua en parfait courtisan :
« Salam alikoum ! Sidi !
–Soyez la bienvenue dans la caravane de Hayem ben gui gui , commerçant de Tlemcen ! »

Notes :-
1- Port prés de Tlemcen-
2-Pluriel de zaouia
3-mulets en turkmène-
4-Burnous de soie

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Venant du Touat sous la protection des tribus , d abord de la zaouia kadiria du kenadsa et ensuite des wlad sidi cheikh d’el biod sidi cheikh , la caravane emmenait pour Tlemcen et plus précisément à Honaine ( port espagnol ) des esclaves noirs , de l’or , des pierres précieuses ,de l’ivoire , des plumes d’autruche , des peaux de panthères et de lions ,ou du sel du soudan (1)

Dés que l’éclaireur de la kafila fut parti avertir son chef de caravane , de la présence de deux voyageurs parmi le convoi .
Le noble prince demanda à son compagnon :

« Que fait la caravane de ce négociant juif dans ces parages ?
–Pourtant Tlemcen est alaouite !»

« Les juifs et les marabout ne peuvent pas faire ces boulots pénibles et dangereux dans le désert !» renseigna le vieux guide en ajoutant :

« Alors ! les caravanes sont confiées entièrement aux indigènes locaux, nomades berbères ou arabes des tribus soumises ou alliées des régions qu’elles traversent. »

En effet ! Le personnel indigène de la caravane du juif est composée d’un khabir ou chef de caravane , trois chaouchs du khabir , un katib ou secrétaire ,quatre éclaireurs tous montés à cheval ou sur méhari ou dromadaire et trente conducteurs à pieds , conduisant , les méharis chargés de marchandises ou de provisions de la caravane , et les mulets trainant les charrettes , remplies d’esclaves et autre colis .
Les tribus sédentaires offrent les dépôts , l’approvisionnent en nourriture et la protection de la caravane , contre échange de denrées ou troc de leur produit en laine ou dattes.

Le seul souci de la 3amala (2) d’Oujda et de la régence d’Alger est purement économique …A proprement parler ! de profits.
Les situations politiques, sociales ou culturelles des tribus leur importent peu
La majorité des tribus éparses vivent dans l’anarchie et le dénuement.
C’est deux entités s’appuient sur leurs tribus relais, pour s’imposer dans le Sud
et pour prélever les impôts .

La tribu la plus riche et la plus puissante est celle des Wald sidi cheikh .

Son marabout , fort du dahir (3) du sultan alaouite l’intronisant comme « Cherif » d’une part et d’autre part du khalifalik (4) ottoman , dont l’autorité s’étend sur les ksour de Boualem, Stitten, Ghassoul, Brezina, El-Abiod, Chellala et Boussemghoun , fait fonction de juge parmi les indigènes et de garant de la sécurité des caravanes.
Comme la tribu est répandue , par ses fractions , sur tout le sud oranais, elle fait la loi et l’ordre selon le bon vouloir des indus occupant du territoire d’Alger ou d’Oujda.

Notes
-1-Afrique noir
-2- gouvernorat alaouite
-3-décret royal –
4-Commandement turc

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Le jeune prince fit ralentir son alezan en tirant sur la bride , pour permettre à la mule , du vieux guide , qui trottait , d’être à sa hauteur pour lui demander d’une voix curieuse :
« Si Ahmed ! les wlad Sidi cheikh dits chérifiens sont partout , nombreux et fortunés !
–Avec tout çà , ils sont avec qui ? »

Le vieux soudani éclata de rire et clama ironique :
« Avec tout le monde et avec personne ! » et d’une voix grave , il expliqua :

« Dans l’impossibilité de régenter lé Sud oranais libre et les tribus dissidentes ; les ottomans et le makhzen optèrent de gouverner par influence payée , en choisissant un homme intermédiaire , un marabout ou un chef influent et en l’aidant à se hisser au dessus de sa tribu et des autres tribus .
En retour , il leur rend la monnaie de leur aide en appliquant leurs politiques et protègent leurs intérêts , par le contrôle des tribus qui participent aux plus longues pérégrinations entre le Tell et le Sahara.»

« Ces tribus indépendantes possèdent des biens immobiliers et fonciers dans les zwis , des dépôts de marchandises dans tous les ksour (1 ) du Sahara , des oasis vertes , des terres de parcours et d’immenses troupeaux de moutons et de méharis !
–Pourquoi ? ils composent avec ces tyrans ! » dit Jilla sur un ton irrité .

« Le désordre et la discorde ! Noble prince ! » avoua tristement Si Ahmed .

« Had fewda (2) et cette Fitna (3) vont nous nuire profondément, et ce qui reste de la terre d’islam se disloquera ! » conclut Jilla , triste .

« Ainsi ! ont succombées les Taifas (4) d’Andalousie ! » rappela Si Ahmed .

Une voix faible dans un dialecte inconnu miaulait :
« A boire ! à boire ! »

Tout en discutant , nos deux voyageurs ne se sont pas aperçus qu’ils sont si prés des charrettes qui transportaient les esclaves entassés parmi des malle ,

« Qu’est ce qu’il veux ? » cherche à s’enquérir Jilla .
Si Ahmed s’empressa de traduire :
« C’est un peul ! il veut boire ! »
Sans réfléchir , d’un coup d’étrier , Jilla fit rapprocher Berk’ de la charrette , décrocha son outre accrochée à sa selle et la lança vers les captifs .

Notes :
(1)pluriel de ksar
(2)Anarchie
(3) Discorde
(4) Principautés

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A la vue de la scène ou Jilla lançait son outre d’eau aux esclaves, un cavalier noir armé de leur escorte, arrêta son cheval et l’apostropha durement :

« hé ! vous la bas !
-Que faites-vous ?
-Il est interdit de s’approcher de cette charrette …
-Éloignez-vous de là ! »

Jilla fit la sourde oreille, d’autres cavaliers au teint blanc, surement des maures, vinrent à la rescousse en vociférant.

Jilla s’écarta de la charrette et leur fit front en s’expliquant :
« Ces pauvres ont soif, l’un d’eux m’a demandé de l’eau.’ »

« Suis moi auprès du khabir [1], c’est lui qui tranchera sur ton geste «
Dit l’un d’eux , en arrachant l’outre des mains des captifs qui se sont jetés sur elle .

Si Ahmed s’interposa :
« Votre éclaireur arabe nous a souhaité la bienvenue…
-Allez le chercher ! »

A la vue du mousquet sur l’épaule du vieux soudani et les habits de l’incriminé, le garde se ravisa et s’éloigna de Jilla.
Il éperonna son cheval et partit en avant aviser le khabir , emportant l’outre avec lui .

Jilla et son compagnon, optèrent pour une distance respectable entre eux et les arrières de la kafila [2] , tout en la suivant au trot , adoptant son rythme jusqu’au ksar

A Moghrar , la caravane ne fait là qu’une halte pour faire reposer les bêtes , mulets , chevaux et méharis , inspecter l’état des chargements et compter les captifs
Généralement, il y a des morts de soif parmi les esclaves, pendant les longs trajets.

Car les wared [3] distribuent avec parcimonie cette denrée rare et les esclaves sont souvent ignorés, surtout craignant les ordres stricts du chef de caravane : la priorité d’abreuver un Méhari avant de faire boire un esclave.

Notes :

[1] Chef de caravane
[2] Caravane
[3] Distributeurs d’eau

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On n’est pas loin d’Aïn Sefra , pays des berbères Zenâta et marabouts de la zaouia Kadiria .
Le khabir inspecte sa caravane pour faire une entrée remarquable dans le ksar.
Un bédouin d’un certain âge, enveloppé dans sa djellaba en poil de chameau, coiffé d’un turban blanc, aborda nos deux voyageurs qui attendaient impatiemment, à l’ écart, le prochain départ de la caravane.
« Salem alikoum …
Ana raiis kafilate (1)Hayem ben gui gui …
A qui ai je l’honneur ? » demanda-t-il en un arabe châtié, l’œil scrutateur .

Si Ahmed se leva et présenta son compagnon assis.
« Voici le prince Jilla d Oum Assel , fils de Sidi ould cherif idrissi du ribat au-delà du Draa.
Et votre serviteur Ahmed, guide soudani de la caravane de Tombouctou.

« M’rhaban (2) bikoum …
Ou est ta caravane ? ya batal (3) ! » interrogea le khabir .

« C’est une longue histoire, ya seydi (4)! » répondit Si Ahmed en souriant.

Le chef de la caravane impressionné par l’attitude tranquille du prince, le jaugea de nouveau :
Le jeune homme était assis à ras le sol, imperturbable, les épaules couvertes d’un sil ‘ham (5) en soie et bottes de cuir, avait des traits racés et les mains blanches qui arrachaient , une à une, les tiges d’une chétive touffe d’alfa se trouvant devant ses pieds croisés a la turc .

Il s’empressa de l’inviter :
« Levez-vous prince Jilla !
–vous êtes mon invité !
–Si Ahmed me racontera tout cela en buvant mon thé sous ma tente ».

Notes :

-1- chef de caravane de hayem
-2- soyez la bienvenue
-3-oh brave
-4- mon seigneur
-5- burnous fin

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Suivant le khabir qui a l’amabilité de les guider, Jilla et son compagnon quittèrent le convoi stationné à l’extérieur de Moghrar pour une palmeraie de dattiers du ksar ou était plantée la tente de leur hôte .
La tente du chef de la caravane est adossée à un long et court mur ,fait de moellons d’argile, surmonté de rameaux épineux de jujubiers servant de clôture à la palmeraie.
En s’approchant de ce muret , Jilla découvrant la palmeraie , s’écria ébahi :

« Allah ibarek ! (1)
–Hadi jena ! » (2)
Le khabir et Si Ahmed sourirent devant son étonnement et s’installèrent sur une natte devant la tente !
Jilla pantois , mit un temps à contempler l’intérieur de la palmeraie avant de les rejoindre .
Celle-ci savamment irriguée , protégeait , contre le vent chaud et poussiéreux ,un verger d’arbres fruitiers variés , fait d’ abricots , pêchers ,grenadiers ,figuiers et quelques citronniers , espacés par de petits champs d’orge , ployant sous le poids de leur épis , de fèves et de melons .

Le mur séparait deux mondes végétaux, l’un aride fait d’une étendue de sable jaune et parsemée juste de tamarix et de touffes d’alfa et une verdure luxuriante faite de d’ombrages et de fraicheur sous un soleil ardent .
Le miracle vient des alluvions des crues de l’oued Moghrar qui coule à coté et des bras rigoureux des bédouins sédentaires qui combattent le sable de la dune menaçante qui avoisine l’oasis.

Jilla , en prenant place auprès du vieux guide soudani , face au raiis kafila qui servait le thé, ne s’empêcha de louer ce qu’il venait d’observer de l’autre coté de la clôture :

« Wallah ! hadi khayrat rabania ! (3)»
–je n’ai jamais vu ces beaux fruits que je n’arrive même pas à les nommer ! » avoua t’il sans honte .
–Au fait ! c’est quoi ces boules jaunes de la grosseur d’un œuf d’autruche, sous la verdure à même le sol et d’autres plus petits , de même couleur , accrochés aux branches des arbustes. »
Les deux hommes éclatèrent de rire !
« Noble prince !
–Ceux sur le sol sont du Batikh (5) les suspendus c’est du limoun (6) »répondit Si Ahmed , bon enfant , étouffant son hilarité pour expliquer la présence de ces fruits :
« Depuis fort longtemps les tribus berbères de cette région sont considérés comme de bons agriculteurs maîtrisant parfaitement les techniques hydrauliques dans les kṣūr et les oasis qu’ils occupent. »
Notes :
(1) Que Dieu bénit !
(2) C’est un paradis !
(3) Par dieu !ce sont des richesses divines
(4) Melons
(5) citrons

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« Cette palmeraie parmi d’autres , appartient à une ancienne tribu juive de Figuig et est cultivée par les wlad Sidi cheikh sédentaires de Moghrar tahtani (1) qui s’étend le long de cet oued !
Dans cette oasis , il y a plus de quinze mille dattiers .» renseigna le khabir en désignant du doigt le paysage de l’oasis à Jilla .

Tout en ajoutant :
« Moghrar foukani (2) situé au pied des falaises rocheuses rougeâtres et noires que allons longer sur la prochaine piste accidentée menant à Ain Sefra : pays du mouton, de l’alfa et du chih (3).
–C’est pourquoi ! j’ai fait une halte ici pour permettre à mes éclaireurs d’inspecter les falaises aux blocs rocheux menaçants ! »

Et se tournant vers le vieux soudani , en lui tapotant amicalement le genou noir :

« Aya Si Ahmed ! raconte moi l’histoire au complet de la caravane de Tombouctou !
– On a ouïe dire dans le désert , qu’elle a été attaquée , pillée , son or volé et son chef tué par des hommes cagoulés ? »

L’interrogé soupira un long moment , et commença son triste récit .

Jilla s’empara de son verre de thé et retourna à la clôture de la palmeraie , grimpa sur le muret et s’agenouilla dessus pour contempler la merveilleuse végétation du verger qui s’offrait à ses yeux .

Une eau limpide ruisselait dans des rigoles toutes droites et semblait chanter sous l’ombre des palmiers , scintillante parfois quant elle coulait dans les espaces éclairés par le soleil .

Notes :
(1) d’en bas
(2) d’en haut
(3) plante aromatique de la steppe

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Jilla revint vers la tente et se tint debout derrière le vieux soudani .
Celui-ci , ayant fini son récit , était silencieux.

Le khabir se leva brusquement et fit une forte accolade à jilla :

« Noble prince ! toutes mes excuses d’avoir était si indiffèrent à votre rang.
–Si Ahmed vient de me raconter toute votre bravoure et votre sens de l’honneur.  »
–Wallahi [1] Je me rachèterais durant ce qui reste de votre voyage. »

Un bruit de galop de cheval , soulevant une trainée de poussière derrière lui, se fit entendre, ils se retournèrent.

Arrivé à leur hauteur, un cavalier noir emmitouflé dans un burnous blanc en grosse laine et d’un litham [2] mit pied à terre, s’approcha du khabir et lui chuchota dans l’oreille.

Le khabir tapa des mains et les serviteurs qui étaient un peu à l’écart de la tente accoururent.

« Pliez la tente … Nous partons pour Ain sefra ! –La piste est libre ! » ordonna-t-il tout en rassurant :

Il se tourna vers ses invites et leur dit conciliant :
« Noble prince ! Si Ahmed !
Ramenez vos montures, vous faites partis de mon escorte personnelle. »

La caravane s’ébranla lourdement chargée pour Ain sefra , le long des falaises de Mohgrar foukani [3] , le pays des pasteurs et des pierres écrites .

Notes /
[1] Par dieu…
[2] Voile buccal
[3] Moghrar d en haut

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« Les gens de Moghrar sont très connus pour leur esprit très hostile aux pouvoir de la régence d’Alger et du makhzen.
–Mais en habiles commerçants, ils gardent des liens diplomatiques avec eux par l’intermédiaire de leurs Marabouts avec la 3amala [1] d Oujda et le bey d’Oran .
–Ce sont aussi de grands agriculteurs et de riches mouwala [2]
–Ils sont conscients de la position stratégique de leur ksour et oasis pour le passage des caravanes vers le tell.
– le Makhzen considère que toutes les tentes de Moghrar dépendent de son autorité et que les ksours Moghrar tahtani et Moghrar foukani indument occupés par la régence font parties de son territoire.
– Meme si les Caïds sont d’obédience ottomane, les Ouled sidi Taj fils de Sidi cheikh de Figuig ont une influence considérable sur toutes les tribus de la région en particulier les Beni guil ou khil , les ouled Djerir , les doui mni’e et les 3amor . » expliqua le chef de caravane à jilla .

« Et a Ain Sefra ? » Demanda jilla.

« Ce ksar dépend de la zaouia kadiria de Sidi Boutkhil , un chérif adepte du grand saint de l’islam , Moulay Abdelkader jilani , ennemi des wlad sidi cheikh , c’est lui qui a construit Ain Sefra . » répondit le Khabir .

« Toujours la même fitna ! [3]
–Zaouia contre zaouia , Arabes contre Berbères , nomades contres ksouriens [4]
–Délaissant le lien sacré qu’est l’islam, toutes ses tribus désordonnées sont la proie des appétits voraces des tyrans et la duplicité aigüe des commerçants juifs .» Conclut Jilla fort triste.

Le khabir le fixa un moment, baissa la tête et éperonna son cheval qui partit aussitôt au galop .

« Noble prince !
–Ne dites pas tout haut vos réflexions ! Le khabir travaille pour le juif Ben gui gui , un des plus grands organisateurs des caravanes commerciales permettant le troc qui se fait naturellement dans les kṣoūr et Figuig apparaît comme le centre redistributif de la région .
– Vous le mettez dans l’embarras.» conseilla Si Ahmed .

Notes :

[1]Gouvernorat
[2] Éleveurs
[3]Discorde
[4] habitants de ksar

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Apres un trot de trois heures, le long des falaises abruptes de Moghrar foukani , à la vue d’un chemin bifurquant à l’Est , le khabir vint auprès de jilla et son compagnon pour les informer de la séparation de leur chemin .

« Noble prince !
–Prenez cette piste, c’est un raccourci qui vous mènera a Tiout et Boussemghoun situé à quelques kilomètres d’El Biodh selon votre désir .
–Dans ce ksar berbère Zenâta , vous trouverez une grande zaouïa de la Tijania indépendante , ainsi vous éviterez la zaouia Sidi Bou Dekhil d’Ain Sefra que nous allons traverser au nord pour Tlemcen .
– Dans les ksours de Boussemghoun et Tiout, vous trouverez les pierres écrites .
–Je vous souhaite une bonne Ziara [1] ! »

« Merci honorable khabir , nous vous remercions pour votre hospitalité parmi votre caravane , pour le bout de chemin qu’on a fait ensemble !
–On se reverra in chaa Allah à Tlemcen ! » lui répondit jilla en poussant son cheval Berk’ vers le chemin désigné, suivi de la mule aux flancs lourdement chargés que montait Si Ahmed.

L’œil de lynx du vieux soudani , constata que la piste semblait avoir été longtemps désertée, aucune traces de sabots de cheval ou de chameau ou de roues de charrettes, juste quelques empreintes de pattes d’hyènes , que le vent qui se levait en soulevant de grosses volutes de sable, effaçait et freinait leur progression.

Aveuglés, Ils avançaient lentement au milieu des dunes qui cachaient l’horizon.
N’en pouvant plus !
Jilla fit grimper avec fougue l’intrépide Berk’ sur l’une d’elles.

Arrivé à son sommet, il s’écria comme un enfant :
« Si Ahmed ! Si Ahmed ! Djebel [2] kbir devant nous ?
–Ya Allah ! Son sommet est tout blanc ! » -déclara Jilla en descendant en trombe.

« C’est le Djebel Aïssa [2], sûrement, il a neigé cet hiver ! » affirma souriant le vieux guide soudani.

Notes :
[1] Visite
[2] Montagne

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« Si le djebel Aissa au Nord est visible derrière cette dune ?
–Cela prouve que le ksar de Tiout , pays des chorfa , n’est pas loin ! » Renseigna le vieux guide.

Au sortir des dunes de sable, nos voyageurs parcoururent un terrain rocailleux, puis une plaine de touffes d’alfa qu’ils sillonnèrent sans peine jusqu’au Ksar.

Ils arrivèrent au ksar de Tiout , enfoui sous les palmiers au milieu des jardins , clos par des murs assez élevés en terre battue .

L’oasis entière est entourée de murs en pisé avec des tours de défense .

Ils pénètrent par une porte en terre battue comme le reste, un peu plus large que les autres brèches espacées de la clôture.
La rue principale est bien en dessous des habitations, jointes cote à cote,

Jilla fut charmé par les jardins , aménagés autour des masures en pisé, arrosés par l’eau de l’oued.

L’œil flatté, Il vit l’eau abondante qui coule sous des arbres fruitiers qu’il n’a jamais connus et que Si Ahmed énumère pour lui :
des abricotiers, des amandiers, des figuiers, des grenadiers et des vignes gigantesques enlaçant des arbres.

Jilla s’exclama en arrêtant son alezan blanc :
« Si Ahmed regarde la bas sous les hauts palmiers !
–De gros oiseaux qui voltigent dans les herbes inondées.

« Hahaha ! Hadouk dajaj el maa [1] » expliqua le vieux guide Soudani .
En ajoutant pour impressionner encore le jeune prince .

« La nuit !
Même les gazelles y viennent se désaltérer.. »

Tiout est en effet une paisible oasis , faite de verdure et de fraicheur sous un ciel d’un bleu profond.!

Notes :

(1) Ce sont des Poules d’eau

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Installé sous un palmier émergeant des rochers sur la rive de l’oued , Jilla dégustait sa tchicha , un mets bédouin fait de farine d’orge , eau bouillante , graisse, poivre , girofle , muscade et de piment , habilement mijotée par le vieux guide soudani .

Ce dernier, ayant consommée sa soupe, s’en alla faire ses ablutions du soir à la berge de l’oued ou se mirent d’autres palmiers, en se penchant, il sourit en voyant des barbeaux fuir l’endroit calme qu’il venait de brouiller .

« Des poissons ?
–Dommage !
–Une autre surprise qu’aurait pu voir le noble prince ! » Regretta Si Ahmed.

Le plus grand nombre des habitants sont des wlad sidi cheikh Gheraba , une minorite est de la zaouia du marabout Sidi ahmed ben youssef de Meliana dont la porte d’entrée du ksar porte le nom .
Ce sont de pauvres khamas [1] travaillant pour le compte de la tribu des 3mour qui les traitent durement et ne leur laisse que de quoi vivre.
C’est pourquoi aucun habitant n’a invité nos voyageurs, qui se sont retirés à l’extérieur du ksar.

Ayant fait sa prière, le vieux guide s’approcha de son compagnon qui machinalement lui versa du thé en lui demandant curieux :
« Si Ahmed !
–Qui sont ces 3mours ? »

« Les 3mours sont une tribu arabe qui viennent du djebel du même nom, ce sont des conducteurs de troupeaux pratiquant la transhumance sur tout l’Atlas Saharien, là où ils s’implantent, Ils chassent les occupants berbères et pratiquent le servage parmi les maures sans ressources, les harratines ou les noirs islamisés.
-
-C’est le cas de ce ksar ! » Confia amèrement le vieux guide Soudani.

Le visage de Jilla s’assombrit malgré le site féerique de leur campement.

« Demain in chaa Allah ! Nous quitterons Tiout pour Boussemghoum ! » ordonna Jilla en se levant et se dirigeant vers son cheval attaché à un palmier voisin.

Note :

[1] Cultivateurs recevant 1/5 de leur récolte.

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Ayant démontée leur tente, ramassées leurs affaires et sellées leurs montures , le jeune prince et le vieux guide quittèrent , de bonne heure , l’oued qui dort aux pieds des palmiers de l’oasis Tiout .

Ils suivirent, pendant un moment, son cours qui diminue, absorbé par le sable et le traversèrent à un gué.

Un peu plus loin, sur l’autre rive , le long des rochers de grés rougeâtre , sur une falaise à pic , Jilla remarqua des figures bizarres , gravées sur leurs parois , il s’approcha pour mieux discerner .

Ce sont des figures grossières, dessinées sur le roc , représentant des scènes de formes humaines et de bêtes inconnues.

Si Ahmed qui s’est rapproché de Jilla essaya d’expliquer sommairement :
« Nobles prince ! Ces gravures sont très anciennes, bien avant la venue des arabes dans la région.
–Regarde ce guerrier ! il porte un arc et une flèche ! –Et celui-ci ! Il a des plumes sur la tête. –D’après les anciens ! C’est l’œuvre de Askar roum (1) venant de Misra (2) ! »

« Comment ? Romane (3) sont venus jusqu’ici ? » Demanda Jilla surpris.

« C’est ce que dit le récit berbère sur les pierres écrites de Tiout . » avoua le vieux guide.

« Regarde ces bêtes ! –ce ne sont pas des chameaux ou des moutons ? –On dirait des bêtes sauvages ? –Je ne reconnais que la Na3ama (4)! –As-tu vu de semblables ? Si Ahmed ! » Interrogea Jilla, curieux.

« Oui j’ai vu le phil (5), cette grande bête avec une longue trompe comme nez que voici ! » désigna le vieux guide soudani .

Notes :
(1) soldats romains
(2) Egypte
(3) Les romains
(4) Autruche
(5) L’éléphant

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Sur la piste menant à Boussemghoun , le vieux guide renseignait son compagnon :

« Noble prince ! le ksar ou nous allons fut la retraite de 1786 à 1798 du marabout Ahmed Al Tijani ou il se consacra kotb al aktab (1) mohammadia (2) avant de mourir à Fèz , il y a huit années .
–Il a dit qu’il n’a aucun lien avec les zaouias du maghreb musulman et que sa tariqa (3) est la véritable voie du prophète (Qssl) , aidant les pauvres et protégeant les faibles ! »

« Ou se trouve sa zaouia ? » demanda Jilla.

« A ain Madhi , prés de Laghouat ! »

« Laghouat ? »

« Oui ! c’est un caravansérail à l’Est sur la piste , trig al hajj (4) de Sijilmassa à Trabless (5) ! »

« Trig al hajj ? Trabless ? » s’étonna Jilla incrédule .

Le vieux guide souriant lui répondit : « Noble prince ! C’est la piste que nous empruntons maintenant !
–Après Boussemghoun , ce sera le ksar d’El-Abiod, puis Brezina qu’un col relie à Ghassoul.
–À partir de Ghassoul, l’accès à Laghouat s’effectue par Aïn-Madhi, rejoignant ainsi la voie vers l’Ifrīqīya (6) et Lybia . »

« Mais ou se trouve Tlemcen ? » interrogea Jilla perplexe, comme perdu au milieu de ces pistes inextricables du commerce caravanier transsaharien et voila qu’elles les relient toutes vers Oum qora (7) en terre sainte .

« Nous avons bifurqués vers l’Est pour contourner les Awlād Sīdī l-cheikh Sharaga, les Ḥamyān et les Banū Guil ou khil , les Dhawī Mnīʿe et les Awlād Jarīr sur le territoire alaouite , pratiquant la razzia et le pillage ! » répondit le vieux guide tout en rassurant :

« Nous allons vers les tijania ! Marabouts en guerre contre les ottomans !»

Notes :
(1) pôle des pôles
(2) voie du prophète Mohamed
(3) voie mystique
(4) Route du pèlerinage à la Mecque
(5) Tripoli en Lybie
(6) Actuelle Tunisie
(7) La Mecque

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A la porte d ‘entrée du ksar boussemghoun , Si Ahmed le guide soudani avertit Jilla de ne pas pénétrer a l’intérieur du ksar .

« Les zkak (1) ne sont pas permises aux étrangers !
–car les femmes circulent sans voile.
–et que le domaine public est limité à la sahat djemaa (2)
–Entrons par ce Bab (2) dakhla et restons dans cette cour ! »

Ils franchissent la porte, grande et solide, faite de bois de palmier, ses serrures sont de simples bâtons ronds très durs qui tirent horizontalement ses deux vantaux.

« Elle s’ouvre le matin dès l’aube pour se fermer à la tombée de la nuit ; le ksar est jalousement gardé pour se protéger contre les raids et les éventuelles attaques. » précisa Si Ahmed.

Les maisons autour de la cour étaient construites en argile et soutenues avec du bois de palmiers, certaines échoppes d’artisans et de marchands donnent seulement sur la cour grouillante de bédouins.

Un homme drapé d’une superbe djellaba en poils de chameaux et babouches de cuir jaune les accosta dans un dialecte, inconnu de Jilla , Si Ahmed traduisa sur le champs :
« Il nous souhaite le bienvenue et nous demande d’où nous venons ! »

« Réponds lui et demande lui qui est-il ? »

Après un échange dialectal, le vieux guide annonça à son compagnon :
« C’est le Mokadem de la zaouia tijania du ksar !
–Noble prince ! il vous invite dans sa maison ! »

Jilla sourit à l’homme en joignant ses deux mains sur sa poitrine en signe d’acceptation et dit a Si Ahmed :

« Dites-lui ! Que nous seront très honorés de sa diaffa (4) ! »

Notes :
(1) Ruelles
(2) Cour collective
(3) Porte d’entrée
(4) Invitation

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Le Moukadam (1) tijani recevait avec honneur le noble prince et son compagnon .
Après le thé de bienvenue ! un taam (2) royal leur fut servi et de succulentes grenades offertes comme dessert .
Pendant qu’ils mâchaient par poignées leurs grains juteux , le mokadem les informait sur les derniers évènements subits par les habitants du ksar .

«Voilà quelque années que les deux fils de Si ahmed tijani guerroyaient avec le bey d’oran , refusant de payer l’impot , deux expéditions militaires furent lancées contre eux .
–il faut remercier Allah !
–La porte qui fut grande ouverte à votre arrivée était murée , ainsi que tous les accès au ksar
–Boussemghoun et Ain madhi furent mainte fois assiégées !
–Mohamed el kbir tijani les força à lever leurs sièges de plusieurs jours et les pourchassa jusqu’à Mascara , leur causant de grandes pertes lors de leur retraire vers Oran .
Il périt , blessé d’une flèche qui lui a transpercée la gorge .
–Son frère Mohamed séghir tijani acheta sa dépouille à Mascara et la ramena au ksar .
Depuis l’an passé , le calme est revenu ! Mais la paix est toujours menacée , d’ou notre vigilance et notre peur des étrangers ! » informa le Mokadam .

Si Ahmed qui traduisait au fur et à mesure ,rassura :
« Honorable mokadem ! le prince Jilla ben Sidi wald Si Chérif , votre invité et moi même , venons de Tafilalet , au delà de l’Oued Draa !
–Nous n’avons aucun lien , ni avec la 3amala d’Oujda , ni le bey d’Oran , notre destination est Tlemcen ! »

« Je sais !
–Nos khebarjia (5) vous ont déjà repérés et signalés !
-Votre venue par le Bab (3) Tiout . seuls et armés et surtout l’accoutrement du prince et son cheval racé vous ont déjà disculpés !
Les pillards se déplacent cagoulés et par bandes et les militaires du beylik n’osent pas venir de l’Ouest , pays Blad sibaa (4) des tribus des wlad Sidi cheikh cheraga .des Banou ghil ou khil ,ou des Doui’e Mni’e » avoua le cheikh tijani.

Jilla assis en tailleur, écoutait silencieux !

Note :
(1)adjoint du cheikh zaouia
(2) Couscous
(3) porte de Tiout
(4)Pays anarchique
(5) indics

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Le mokadem , ayant fait le tour de la question sécuritaire , se tut , Jilla en profita pour poser la question qui était dans l’air et que Si Ahmed traduisais mot par mot :

« Vénérable Mokadem !
–Pourquoi les Tijani ne veulent pas payer les impôts aux ottomans pourtant musulmans ? »

« Pourquoi payer des étrangers que nous n’avons pas désignés d’un et de deux , notre tarika (0) elle même vit grâce aux dons des bienfaiteurs que collectent nos mourides (1) à travers tous les Kessour (2).
–Puis ! même quand nous payons ! ils nous humilient, la preuve : notre tarika affranchit les esclaves et eux pratiquent le rakik (3).

« Malgré tout cela !
–Avant de mourir en 1815 à Féz ou il s’est refugié chez le sultan Slimane ,
–votre grand marabout Si Ahmed Tijani a exhorté , ses enfants et tous ses mourides , d’obéir aux turcs et de payer l’impôt ! » Rappela le vieux guide soudani .

Le Mokadem baissa la tète, cachant mal son ressentiment, et répondit,:

« Son dernier fils Mohamed seghir tijani d’Ain madhi a envoyée une lettre au successeur de son père, le cheikh hadj Ali ben ‘issa Temacini, lui demandant de se rallier pour le djihad contre le bey d’Oran.
—Nous attendons sa réponse. »

Jilla , toujours silencieux, ne comprenant pas le moindre mot dans leur bref échange , demanda à Si Ahmed de traduire , ce que fit sans tarder le vieux guide .

« Qui est ce Marabout hadj Ali ben issa Temacini ? » questionna Jilla .

« C’était le confident du cheikh Ahmed tijani à Féz !
–C’est lui qui a reçut sa Seb’ha (4) et son ordre .
– il est originaire du ksar de Temacine (5) et mokadam de sa Zaouia tijania prés de Touggourt , il s’active à étendre sa doctrine jusqu’à Tombouctou en limitant l’expansion ottomane au Tell ».

Notes :

(0) Voie soufie
(1) Adeptes
(2) PL de ksar
(3) Traite d’esclaves
(4) Chapelet
(5) à 10 km au sud-ouest de Touggourt

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Dans la modeste zaouia de Boussemghoun , lieu de la naissance de la doctrine tijania initiée par Si Ahmed lui-même , jilla et son compagnon y séjournèrent pendant plusieurs jours .

Jilla fut très impressionné par le conservatisme de ses habitants, les femmes sans voile dans les ruelles interdites aux étrangers et la séparation du domaine privé du domaine public, commercial ou religieux .

La majorité des mourides (1) sont des affranchis et des gens pauvres fondamentalement attachés à la Mohamadia (2) prônée par le Cheikh .
Jilla releva un fait nouveau dans la zaouia Tijania , le Zuhd (3) essentiel à toute confrérie soufie n’est pas un cheminement spirituel .
Le rituel tijani est simplifié : Attachement au cheikh ou ses successeurs de leur vivant et interdiction de vénérer leurs tombes.

La chose qui frappa l’esprit de Jilla : c’est le mépris du cheikh Ahmed Tijani pour la politique d’où son exil à Féz , évitant le refus de ses mourides de payer l’impôt au bey d’Oran et la guerre déclarée contre lui .
Le dernier siège à at mazouna [Mascara] , une des résidences du Bey , a couté la vie à son premier fils Si Mohamed el kebir tijani.
Leur principal grief : ils lui reprochent de faire le commerce du blé avec les juifs de la France chrétienne pour le compte du Dey d’Alger et d’appauvrir ses administrés musulmans par l’impôt annuel qui consiste en cire, miel, datte, orge, peaux, laines, dents d’éléphants ou plumes d’autruches.

« Quand les ksars ne peuvent pas payer !
–Soit ! Ce sont les réquisitions abusives,
–Soit ! C’est carrément des expéditions punitives par des attaques ou le ravage des oasis. » Se plaignait le Mokadem triste.

Notes :
(1) Adeptes tijani
(2) Doctrine du prophète (QssL) .
(3) Ascétisme

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La nourriture chez le Moukadem de Boussemghoun est d’une sobriété d’ermite, hormis le royal couscous de bienvenue, leurs repas furent frugaux : des dattes et du lait de chamelle le matin et une soupe d’orge bouilli à l’ail le soir.

Le thé de Si Ahmed, toujours servi et en toute occasion, le mokadem en raffolait.
Quand il venait les voir dans la pièce chaulée des invités, une extension de la salle servant de lieu de prières et de djemaa, il ne manquait pas de dire que c’est pour déguster le thé soudani.

La pièce donne, par une porte en bois de palmier, sur une ruelle couverte qui mène à la cour centrale dite Sahat edjemaa [1] ou se tiennent les habitants ou les visiteurs de passage.
C’est là que se réunissent et discutent les notables du ksar, assis sur des bancs en pierre.

Leurs bêtes étaient parquées à l’extérieur, près des vergers, dans un corral en bois de palmier , gardé par des Mourides ; pour les invités , le foin ou l’orge sont à la charge de la zaouïa , les trois premiers jours de l’hospitalité .

Étant à leur quatrième jour , Jilla s’en alla à l’enclos , s’enquérir de Berk , son alezan blanc , et lui donner sa ration d’orge , lorsqu’il vit un superbe slougui [2] blanc au museau noir , allongé a l’ombre d’un palmier .
Il s’y approcha pour le caresser, le slougui se redressa d’un bond et s’éloigna dans le verger.
Ces chiens de bédouins sont très réservés avec les étrangers.

Jilla sentit en lui une amertume qui l’étreignait.
De doux souvenirs l’envahirent, il se rappela son immense troupeau et ses agiles slouguis délaissés là-bas dans sa steppe natale.

Le hennissement de Berk à la vue de la kharroba en alfa [3] d’orge le ramena de son passé serein et paisible à son présent de fugitif dans un pays disloqué par la fitna (4) et la fewda (5).

Notes :
[1] Place des réunions
[2] Lévrier
[3] sac servant de Pesée
[4] discorde
[5] anarchie

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Assis à califourchon sur la barrière du corral , regardant son cheval secouer de temps à autre la kharouba (1) d’orge accrochée en muselière , le noble prince ruminait mentalement les épisodes très forts qu’il a vécu depuis sa fugue involontaire du campement d’Oum Assel de la hamada (2) du ghir au-delà du Draa et Tafilalet .

« Tout le monde fuyait ! qui de sa tribu, qui de son ksar , qui d’autres tribus , qui même de la patrie ! » se disait Jilla en pensant au cheikh Ahmed Tijani .

Les soulèvements tribaux et confrériques qui sévissent à travers tout le Sud, marqué par la violence et heurts entre tribus et contre le makhzen wahhabite ou la régence turque engendre une situation des plus anarchiques.
Si certaines tribus suivent un islam rudimentaire des zwis(3 ), d’autres n’ont ni dieu ni chef et s’adonnent aux pillages et razzias .
Toutes refusent un pouvoir central, même musulman, le cas de la régence ottomane que traversent Jilla et son compagnon.

En réfléchissant a tout çà ! Jilla ne vit pas Si Ahmed se rapprocher de lui.
Celui-ci tapota sur son dos arcbouté :

« Hé ! Noble prince ! –A quoi tu rêves ? –Berk a fini son orge ! Enlève-lui sa kharrouba zra’a (4), il va déchirer sa anse ! »

Jilla sauta, pieds joints, sur le sable et se dirigea vers son alezan, lui ôta le panier et revint vers le vieux guide et lui dit :
« Si Ahmed !
–Demain, nous pâtirons pour le ksar  »Asla la bédouine » , comme nous avons convenu ! »
Le vieux guide hocha la tête consentant.

Note :
(1) sac en alfa
(2) plateau rocailleux saharien
(3)Pl de zaouia
(4) Panier en alfa d’orge

L

E ROMAN DES NOBLES BÉDOUINS
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Apres leur séjour à Boussemghoun , nos deux voyageurs reprennent leur chemin vers le Nord , après une plaine ondulée , ils remontent un petit torrent à sec, le long d’une chaine de montagnes basses qui se relève par un massif isolé tout près du ksar Chellala Gueblia .
Ce ksar est bâti sur un immense banc rocheux ou vient se perdre à son pied un torrent rocailleux en face du ksar.
Des roches jaillissent trois sources abondantes d’eau excellente.
ils profitèrent pour se désaltérer, faire boire leurs montures et remplir leurs outres .
En bas du Ksar , Jilla vit de beaux jardins bien entretenus , de grandes vignes grimpantes , figuiers , grenadiers , abricots et d’autres arbres fruitiers qu’il ignorait , sont arrosées de huit fontaines . Jilla émerveillé, les a toutes comptées.
Sous leurs pieds, poussaient des légumes grandioses que jilla ne pouvait les nommer.
Si Ahmed, le vieux guide, le secoua de sa fascination en lui expliquant :
« Noble prince ! les chellali sont de vrais jardiniers, ce sont des gens pieux et laborieux , ils travaillent la terre et soignent leurs cultures . Ils se prétendent tous être des chourfa !

Il existe trois ordres religieux différents : La zaouïa des Kadiria de Abdelkader jilani de Baghdâd, La zaouïa des Taibias de moulay Taieb et la zaouïa tijania de Si Ahmed tijani ! »
Pendant qu’il discutait avec Jilla , un homme au teint blond et yeux verts , habillé d‘une abbaya blanche , retroussée à sa taille , sortit d’un jardin , une bêche sur l’épaule et un panier d’alfa à la main , s’avança vers eux .
Arrivé à leur hauteur, il laissa tomber son outil et les salua en arabe bédouin avec un accent berbère.
« Salem alikoum ! –Ya merhaba be zouwar ! (1) »
Il ouvrit son panier et en tira deux beaux fruits, offrit le premier à Jilla et le second à son compagnon. Jilla ayant rendu le salem , prit le fruit en souriant , tout en l’examinant hébété .
Le vieux guide s’empressa de remercier avec enthousiasme, pour informer Jilla de la nature de l’offrande.
« Oh !, une belle toufaha ?(2) Mille fois merci ! » Tout en croquant dedans à plein dents .
Jilla en fit de même et s’exclama de joie :
« Un plaisir de Dieu , qu’il vous bénisse ! Merci ! Merci ! »

Notes :
(1) Bienvenue aux visiteurs
(2) Pomme

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Tous les habitants du ksar Chellala , des ksours alentours : Ghassoul, Brezina, El-Abiod et Boussemghoun sont d’habiles travailleurs de la terre et de l’hydraulique , la culture et les seguias de leurs jardins le prouvent .
Ils ont fait de cette terre ingrate un vrai paradis, sans eux ce n’aurait été que désert aride et désolation. Ces ksour sont une aubaine pour les caravaniers venant de loin.

Jilla et son compagnon remercièrent le cultivateur et se dirigèrent vers Assela.
Sur un mamelon, couvert de tombes, surplombant les jardins, jilla aperçut une Kouba (3) badigeonnée à la chaux.

« A qui appartient cette tombe ? » questionna Jilla.
« C’est la kouba du père de Sidi Cheikh !
Et là !
À l’Ouest ce sont les Kouba , ou ont plantées leurs tentes , Sidi Abdelkader jilani et Sidi Abdeljabar benali ould Moulay Tayeb !
Répondit le vieux guide en désignant deux autres constructions de maçonnerie grossière.

En s’éloignant des jardins , Jilla vit un makam (1)en demi-cercle en pierres chaulées .
Voyant le regard interrogateur de jilla , Si Ahmed expliqua :

« C’est le lieu commémoratif de la visite à Chellala du Cheikh Ahmed Tijani . »

Noble prince ! Toutes les rihlates(1) transsahariennes vers le nord et celle qui traverse le sahara de sijilmassa vers la Mecque via Laghouat se rejoignent au ksar Chellala qui est un grand axe transversal de Trig el hajj (3). »

« Donc ! Tous les grands personnages mystiques du Sud oranais ont soit séjournés ou transités par Chellala ! » Ajouta le vieux guide soudani .

Un moment silencieux, Jilla ne put s’empêcher de dire à haute voix à son compagnon.
« Si Ahmed ! C’est triste, une seule nation, une seule religion, un seul prophète et plusieurs adorations ! »

Notes :
(1) Stèle
(2) Expéditions
(3) Route du pèlerinage

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Le vieux guide , voyant la mine triste du prince , essaya de justifier les raisons de ces multiples koubas (1) de zwi (2) et leur prolifération dans la région :
« Noble prince ! Ces ksours paisibles et prospères faits de laborieux cultivateurs et d’ingénieux artisans furent victimes de la jalousie des pillards du makhzen de Figuig et du Bey de Mascara, Mohammed et Kebir, qui a assiégé Chellala en1786, et la soumise après six jours, au prix de de lourdes pertes parmi ses habitants.
Faibles et sans défense, pour leur protection, ils se sont refugiés dans le mysticisme de toutes les chapelles des marabouts qui les ont visités et des dogmes spirituels des tribus influentes.
« Ou sont leur Rais kabila ? (3) Ou sont leurs mejless choura (4) ? -Leurs imams ? ils ont abandonnées leurs mosquées pour de piètres koubas ! Ils se sont éparpillés ! » S’écria jilla rejetant les raisons invoquées par Si Ahmed .
Celui-ci pour apaiser la colère de son fougueux compagnon osa l’amère vérité : « Noble prince ! Les habitants des différents ksours ne sympathisent pas entre eux , se jalousent ,se surveillent sans se livrer de combats . Chaque ksar se gouverne par lui mm sans s’inquiéter de son voisin. La cupidité et l’égoïsme ont remplacés la foi et la solidarité musulmanes ! »
Jilla changea de sujet et demanda : « Le ksar Assela est ‘il encore loin ? »
« Nous camperons ce soir, in chaa allah , près de ses murs ! » assura le vieux guide soudani .

Notes :
(1) Monument tombal
(2) Pl de zaouïa
(3) Chef de tribus
(4) Conseil des sages

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De loin , nos deux voyageurs aperçurent le minaret du k’çar de Assela , bâti en pierres , coiffant un monticule rocheux .

En s’approchant ils virent l’oasis dans toute sa splendeur.
Au-dessous du ksar, une petite et jolie oasis qui s’étend paisiblement, traversée par un oued d’eau limpide et sur ses deux rives, de beaux jardins de dattiers, grenadiers et figuiers.

L’oasis est parsemée de plusieurs koubbas blanchies à la chaux qui contrastent avec le vert de sa luxuriante végétation.
Si Ahmed essaie de les nommer, en les désignant une à une du doigt, mais en vain.

« Celle-là est de Sidi Ahmed el Mejdoub,
Celle-ci de Sidi Ettoumi,
A droite de Sidi Mohamed bou Semah’a,
A gauche de Sidi Moh’amed Ou’l Il’afian.
Au centre …. ?
Je ne sais pas comment on appelle les autres. »

Jilla souriait à chaque nom de marabout, en restant silencieux, s’abstenant de connaitre les détails.

« Qui habitent ce ksar ?» demanda-t-il au vieux guide soudani .

« La tribu des wlad Sidi Ahmed Mejdoub, elle-même divisée en neuf fractions. » répondit Si Ahmed.

Jilla éclata de rires, Si Ahmed sourit comprenant l’hilarité du noble bédouin et pour le montrer ajouta :

« Les wlad Sidi cheikh tenant leur autorité du prestige de leur origine ‘’chérifienne’’ ont un pied à terre dans le ksar et chaque année, leur marabout vint tenir son audience lors de sa sainte ziara et tous les habitants en profitent pour soumettre à son tribunal suprême leur litiges et affaires pendantes, sans oublier d’offrir à sa sainteté les multiples offrandes et dons. »

Jilla faillant s’étouffer, supplia son compagnon d’arrêter sa narration.

« Ya Si Ahmed !
Notre nation se perd dans l’ignorance du vrai message de notre vénéré prophète (Qssl )et du livre sacré qui prône l’unité de la nation et la solidarité de ses croyants ».

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A la porte d’entrée du ksar, Un homme de taille moyenne et d’une maigreur singulière ; portant un hzam (0) en cuir marron ceinturant une abbaya blanche, vint à la rencontre de jilla et son compagnon, qui avançaient côte à côte, tenant à la main les brides de leurs montures.
« Massa’e noor ! (1) » leur souhaite l’homme, car le soleil ardent commençait à se changer en une pâle et douce lumière du Maghreb (2).
« Salam wa rahma ! » dirent nos deux voyageurs en guise de réponse.
Impressionné par les deux cavaliers étrangers, l’homme rectifia son salut, par un plus respectueux et plus fourni :
« Salam alikoum (3)! wa rahmatou Allah ! wa barakatou ! (4) ,
« Soyez la bienvenue seigneur ?
Puis je vous aider ! Je suis le chaouch du darih (5) Sidi Ahmed del Mejdoub » Ajouta t’il .

« Choukrane ! » remercia jilla, tout en demandant : « On cherche un gite pour cette nuit et le chemin pour la mosquée ? »

« Sans problème pour le gite ; je vous invite !
Pour la mosquée et le darih de sidi Ahmed el mejdoub ?
Suivez-moi ! »

Le chaouch les guida vers la mosquée à travers un dédale étroit qui les obligea à le suivre en file indienne dans le ksar dont la fraicheur fut appréciée par Jilla.

Notes
(0) Large Ceinture
(1) Bonsoir
(2) Couchant du soleil
(3) Que la paix soit avec vous
(4) et que la miséricorde et la bénédiction de dieu soient avec vous
(5) tombe

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Après le souper prolongé par le thé habituel, la conversation s’engage entre Si Ahmed et son hôte. Calme et digne, jilla écoutait en silence. Si Ahmed et leur hôte discutaient sagement, lorsque Jilla, profitant d’une pause dans leur discussion, osa poliment une question à leur hôte :
« Cheikh ! Pourquoi cette multitude de kouba ? » « Cheikh ! Pourquoi cette multitude de kouba ? »

Le cheikh sourit et lui répondit religieusement :

« Noble prince !
L’empreinte physique laissée sur le paysage par les kouba (1) est due grâce au marabout Sidi Slimane ben Abī Smāḥa et ses deux fils , Sidi Moḥamed et Sidi Aḥmed al-Majdoub et leurs descendants qui ce sont imposés dans l’ensemble des ksours de la région de l’Atlas saharien , de Assela , Chellala et Boussemghoun à Tiout ou fut enterrée sa fille Lalla Sfia .
Surtout ! le souvenir des miracles du Marabout, relayés par les manāqib (2). »

« Quels sont les miracles du marabout Slimane ? » demanda le noble prince.

« Jadis, au temps où vivait Sidi Sliman-Abou-Smaha, l’un des descendants les plus vénérés de la famille de Sidi Mâmmar-ben-Sliman-El-Aalya , deux fractions de la tribu des Meharza, les Zobeïrat et les Oubeirat, paissaient leurs troupeaux et labouraient dans la large vallée de Mguiden, entre les dunes et les rochers qui bordent le plateau d’El menia’a.
Les Zobeïrat avaient sept puits ; chaque puits avait sept bassins; à chaque bassin venaient boire sept troupeaux de chameaux, et chaque troupeau était suivi de sept chevaux. Les Oubeïrat avaient sept tentes ; dans chaque tente il y avait sept frachate (3) ; sur chaque Frach sept mekhadat (4), et sur chaque M’khada dormaient un guerrier.
Le cheikh, le guerrier le plus écouté de ces deux familles, se nommait El-Hadj-Ez-Zobeïr qui a refusé d’offrir des cadeaux au marabout et en plus s’est moqué de lui.
Sidi Sliman-Abou-Smaha, qui lui reprochait de n’être ni assez respectueux à son égard, ni assez généreux pour sa Zaouïa , résolut de châtier sévèrement ces deux insolentes et avares tribus. » Expliqua le chaouch avec amples détails.

« Comment il les a punis ? » interrogea Jilla curieux.

« Irrité, il a prononcé contre eux cette malédiction. » dit le chaouch .

Notes :
(1) édifices religieux
(2) récits hagiographiques
(3)Couverture en laine
(4)Coussin en laine

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Emu, il avala sa salive et récita les propos maléfiques qui étaient au bout de sa langue :

« Que Dieu aveugle l’esprit d’ El-Hadj-Ez-Zobeïr,
Et le raye du nombre des vivants !
Qu’il détruise les familles de ceux qui le suivent !
Qu’il prépare une terre pour l’engloutir !
Et qu’il ne laisse pas une femme de sa race, pour le pleurer ! »

Le chaouch narra la suite du récit.

« A la suite de cette malédiction, la discorde s’installa entre les Zobeïrate et les Oubeïrate, et ils en vinrent aux mains avec le plus vif acharnement et se firent la guerre.
Les Oubeïrat, vaincus, se retirèrent avec leurs familles et leurs richesses ; poursuivis impitoyablement par leurs ennemis, ils traversèrent péniblement les dunes et arrivèrent, pendant la nuit, à une guelta (1) dont le fond leur parut solide ; ils s’y engagèrent ; mais le sol céda sous leurs pieds, et bêtes et gens furent engloutis.

Guidés par les traces des fuyards, les Zobeïrate arrivèrent sur la guelta ,qu’ils voulurent traverser, et dans laquelle ils disparurent à leur tour, jusqu’au dernier.

Mais la vengeance du terrible et implacable marabout n’était pas satisfaite.
On se rappelle que sa malédiction se terminait ainsi :

Et qu’il ne laisse pas une femme de sa race Pour le pleurer !

Une femme, parente d’El-Hadj Zobeïr , mariée dans une autre fraction, avait ainsi échappé à la destruction des deux familles maudites.
Un jour, Sidi Sliman-Abou-Smaha l’entendit pleurant et chantant la perte de ses proches en tournant la meule de son moulin.
En apprenant qui elle était, l’impitoyable saint, qui apparemment, ne voulant pas être démenti, s’écria, d’une voix terrible :

« Que la terre l’engloutisse, comme elle a englouti les siens ! »

Et la malheureuse femme, toujours pleurant et chantant et tournant la meule de son moulin, s’enfonça dans le sol, qui se referma sur elle, et son chant et le bruit de son moulin allèrent s’éteignant peu à peu. » termina avec émotion , le chaouch.du Darih (2) de Sidi Ahmed Mejdoub du ksar Assela .

Note :
(1) Mare des sables
(2) Tombeau

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« De quoi ont peur les gens ? Il y a plus de trois siècles, environ vers 1510 que cheikh Slimane-Abou-Smaha est mort ! Maintenant ! Ce n’est qu’une simple haouita (1) en pierres chaulées. » Déclara Si Ahmed.

« Haouita ! Vous dites ? » S’offusqua le chaouch.

« Eh ben ! Lorsque le bey d’Oran, Mohammed-El-Kebir, après avoir saccagé Chellala, s’apprêtait à faire subir le même sort au ksar, la protection du saint couvrit visiblement, dans cette circonstance, ses descendants bien-aimés.

Le Bey était campé tout près du ksar ; il avait fixé au lendemain, la destruction de cette bourgade.
Au moment où il terminait ses dispositions d’attaque, un tourbillon noir et épais jaillit tout à coup de la koubbâ que vous désignez comme « simple haouita », et alla renverser la tente du bey Mohammed, en répandant en même temps dans tout le camp une odeur des plus infectes.
C’était évidemment le marabout Sidi Slimane qui avait répondu ainsi à la demande de secours des assiégés.
Ayant reconnu sans peine dans ce prodige l’intervention du saint, Mohammed-el-Kebir n’avait pas demandé son reste : il s’était hâté de décamper, jurant bien d’y regarder à deux fois avant de chercher à inquiéter des gens si puissamment protégés par leur saint ! »

Si Ahmed sentant que son hôte est un des ikhwan (2) fanatiques de Bousmaha , essaya un échappatoire à la discussion , se retourna vers Jilla toujours silencieux en l’impliquant :
« Noble prince ! Que pensez-vous de ces miracles ? Que dit la tradition ? »
« S’il y a un évènement heureux, çà vient d’Allah ! Et si c’est un malheur ? C’est de nos actes, de nous-même ! » Asséna sèchement Jilla en se levant pour mettre adroitement fin à la discussion :

« Noble Chaouch !
Permettez-moi d’aller donner la ration d’orge à mon cheval ! »

Notes /
(1) Petite muraille circulaire en pierres sèches
(2) Adepte de confrérie !

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Quittant Assela, ses beaux vergers et ses blanches kouba, Jilla et le vieux guide soudani prirent le chemin, au milieu d ‘un parcours d’alfa, d’armoise et de chih , vers Mécheria , via Naama , pays des hospitaliers Hamiyane (1) .

Au bout de deux heures, sortant d’un col montagneux, ils virent, à leur gauche Sud –Est, les crêtes neigeuses du djebel Aissa du nom d’un chef de tribu maure, Aissa ould Abdelkader, venu en 1200 de Séguia- Hamra (2) et qui s’empara du ksar Tiout et sa région.
Devant eux ! s’étalait une large plaine , couverte d’armoise, l’air bon et frais sentait le chih .
Cette plaine est un couloir entre deux montagnes, djebel Aissa à gauche et djebel Morghad et son sommet RasTouil à droite.
La chaleur du soleil était douce et agréable, les cavaliers trottaient sans trainée de poussières.
L’œil vif du vieux guide Soudani décela des fragments de coquilles d’œufs d’autruche et des traces d’empreintes de pattes de gazelles qu’il montra fièrement à son compagnon qui semblait les avoir déjà perçues .
En effet, le prince Filali paraissait évoluer dans sa steppe natale de Tafilalet .même flore et même faune.
Au sortir de ce couloir dit « feijat el betem » (3) , il aperçurent djebel Malha (4), sa sebkha (5) et son village Naama .
Ils entament un terrain semblable à celui déjà parcouru ,un peu ondulé de petites dunes coiffées de touffes d’alfa ou à leur passage détalent de nombreux lièvres et s’envolent de grasses outardes
Ils campent un moment prés des puits, peu profonds, dont l eau est très bonne.

Après la sallat du D’hor (6) , ils repartent pour vieux le ksar de Mécheria située au pied du djebel Antar .
Les flancs et les sommets du djebel Antar sont couverts d’une forêt de genévriers et de romarins abritant des mouflons et des sangliers.
A ses pieds, la présence des perdrix et des pigeons ramiers montre l’existence de sources plus ou abondantes qui ne tarissent pas en été
Jilla fut séduit par la faune et la végétation abondante qui s’étalait devant ses yeux .
« La chasse du gibier doit être très bonne dans ces parages ! » se disait il , en constatant le changement du terrain et du climat .
Ce n’est plus le sahara aride , mais la steppe d’alfa et la végétation alentour , ou l’air est léger et frais .

Notes :
(1) Pasteurs arabes
(2) Sahara occidental
(3) Défilé des pistachiers
(4) Montagne du sel
(5)Lac salé
(6)Prière de l’après-midi

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Avant d’arriver à Mécheria, Jilla et Si Ahmed bifurquent à droite vers le borj (1) d’Ain ben khelil , pays des hemiyanes hospitaliers .
« C’est la piste menant à Tlemcen !
Elle est mauvaise !
Mais l’eau des puits est excellente et se trouve à deux mètres de profondeur. » Conseilla le vieux guide.

Il n y a aucun ksar, ce sont des pasteurs nomades qui font de la transhumance.
Le pays est difficile et nu , les razzias des béni Mguil ou khil sont courantes .
Dans cette zone steppique, les parcours sont très vastes et le mouton à tête brune ou noire appelé ‘’ ghnem hamiyane ‘’ est roi , sa chair appréciée est très savoureuse, cela vient des pâturage habituels, faits d’herbes aromatique (2).
Sa laine fine, est aussi très prisée par les fabricants de burnous et de haiks .

Sur leur chemin , ils virent une tente bédouine isolée , presque perdue au milieu d’une mer d’alfa .
A leur approche, deux chiens faméliques et les cotes saillantes en sortirent et les attaquèrent en aboyant avec hargne , faisant cabrer l’alezan de jilla et ruer la mule de Si Ahmed .
Une voix grave féminine les rappela à l’ordre, mais en vain !

Une vieille femme , en robe multicolore et foulard noir couvrant sa tète et ses maigres épaules , apparut en lançant de grosses mottes de terre vers les chiens de garde qui s’éloignèrent en hurlant.
La vieille , gesticulant des mains pour s’excuser , pria les deux voyageurs d’honorer sa tente .
« Samehouna (3) Oh seigneurs !
-Ces clebs (4) sont nos seuls gardiens !
-Descendez de vos montures et accepter mon hospitalité !
-Faites honneur à mes hommes absents !
-Ils gardent nos moutons un peu plus loin .» la vieille bédouine , au visage tatoué et buriné par le soleil et le temps , voyant jilla descendre de cheval , rebroussa chemin vers sa tente .
Jilla ému par la vieille bédouine ,retenant ses larmes , survenues au souvenir d’Oum el kheir , sa vénérable mère qu’il a abandonnée , ordonna au vieux guide :

« Si Ahmed ! Retire l’outre de froment et celle des dattes ! »
Pendant que le vieux guide farfouillait dans ses bagages , le noble prince se dirigea vers l’ouverture béante de la tente noire et rapiécée de toutes parts.
La vieille ressurgit, portant délicatement, une écuelle en bois pleine, dans ses deux mains .
Notes :
(1) foundouk de moutons
(2) chih et thym
(3) Pardonnez nous
(4) Chiens

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La bonne vieille désignant une natte d’alfa étalée devant la tente, invita Jilla de s’asseoir dessus , en répétant joyeusement :
« Ahlan ! alef Ahla (1) ! » et posa l’écuelle contenait une soupe jaunâtre et deux cuillères en bois , devant lui en disant :

« Seigneur !
-Veuillez recevoir ma modeste soupe ! »

A ce moment, Si Ahmed qui les a rejoints, remis les outres de froment et de dattes à jilla et s’agenouilla à ses cotés.
Ce dernier prit une cuillère de la soupe et la mit dans sa bouche.
« C’est chaud et sucré !
-Hum ! Elle a un goût bizarre ? C’est quoi cette bouillie?» demanda Jilla à Si Ahmed, quand la vieille eut regagnée l’intérieur de la tente.
« Mange, c’est du fortifiant ! ce n’est que de la poudre de sauterelles grillées et bouillie avec de la hmira (2) ! » Informa le vieux guide en avalant deux cuillerées d’affilée.
Jilla eut un haut le cœur et laissa tomber sa cuillère.
La vieille revint avec une cruche en terre cuite et l’offrit à Jilla qui tendait sa main .
« Merci ! Mouima ! (3) Qu’allah vous bénisse ! » lui dit il chaleureusement.
Hésitant , Il mouilla ses lévres , humecta et but une gorgée !
C’est du lait de brebis, il étancha sa soif avec joie , ne laissant aucune trace , dans son palais , de la fameuse soupe qu’absorba entièrement le vieux soudani .
La vieille bédouine, accroupie à l’écart devant la tente, regardait silencieuse les deux voyageurs.
Jilla se leva pour prendre congé et lui dit :
« Noble mère !
Qu’Allah vous rende votre saddaka (4) !
Veuillez accepter la notre ! »
Il déposa aux pieds de la vieille , qui s’est redressée, les deux outres : l’une de froment et l’autre ,de dattes écrasées et dénoyautées .
La vieille femme, embarrassée, fondit en prières et en louanges.

Jilla embrassa la tête de la vieille, rejoignit Si Ahmed resté en retrait et la quittèrent en saluant :.
« Que la paix soit sur vous et sur votre tente ! »
Elle répondit :
« qu’Allah vous protège !
Et éloigne le mal de votre chemin ! »

Notes :
(1) Bienvenue ! mille bienvenues !
(2) Dattes sèches
(3) Petite mère
(4) Offrande

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Les bois de la forêt sont occupés par la tribu Zénète des béni Ournid, robustes bucherons et charbonniers de profession qui approvisionnent en bois et charbon Tlemcen .

Les béni ournid ont installées leurs tentes, introduits leurs bestiaux et pratiquent aussi l’élevage dans la forêt du plateau de Terni qui couronne Tlemcen et des montagnes qui l’entourent jusqu’au ksar Gor à Tafraoua (1) .
Ils détiennent ce plateau et sa vallée bien avant la conquête musulmane et règnent indépendants en maitres des lieux.

Une rivière, l’oued M’affourch , d’eau fraiche et limpide et d’un goût agréable coule sur leur territoire .
La piste hérissée de roc et d’arbustes épineux que prennent Jilla et son compagnon débouche sur une magnifique forêt d’oliviers.

A sa lisière, ils virent une Dechra (2) d’une trentaine de tentes noires, rangées en cercle, semblable au campement des Chorfa du draa .
Une image qui émut le noble prince.
« On dirait notre tribu ! » clama Jilla.
« Bien sûr ! Noble prince ! Ce sont des bédouins et rebelles à tout pouvoir.
Surtout celui de la régence d’Alger.
Leur tribu est l’ennemi juré des turcs et subit en retour leur joug criminel !»
Affirma le vieux guide en racontant une anecdote , pour illustrer ces propos :

« Un jour, comme ils allaient vendre leur lait aigre dans la médina (3) occupée par les turcs, des janissaires turcs les interceptèrent, les ligotèrent et avec des entonnoirs, leur firent boire de force, tout leur lait .
Ensuite, ils les pendirent par les pieds et leur ouvrirent le ventre avec un couteau, juste pour voir en riant, le lait en découler. »

Jilla mordit ses lèvres et dit au vieux guide :
« Allons les voir ! J’aimerais bien les connaitre ! »

Notes :
(1)Actuel sebdou
(2)Groupement de tentes ou villages
(3)Cité

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Les béni Ournid , maitres puissants de la haute plaine de Terni et des montagnes , jalousement gardés autour de Tlemcen sont réduits par les turcs en de pauvres bucherons et de misérables charbonniers , pour leur refus de payer l’ impôt aux beys ottomans de Tlemcen .

Bi-nomades, sans trop s’éloigner de leur territoire, les Beni ournid campent en hiver dans les forêts et coupent du bois pour en faire du charbon et le vendre .
En été, ils occupent la plaine du plateau terni pour les pâturages de leurs bêtes.
Installé près de l’oued dans une clairière , le paisible et circulaire campement d’été semblait hospitalier, des fumées blanches sortent du haut de certaines tentes, au centre du campement, des enfants, pieds nus et abbaya flottantes, jouaient dans la poussière avec bruits en frappant avec des bâtons une boule de chiffons.
A la vue des cavaliers qui s’approchaient des premières tentes, les enfants s’arrêtèrent de s’envoyer la boule , certains accoururent vers eux et d’autres plus âgés s’enfuirent en courant dans les tentes les plus proches.
D’une tente ou était hissé un carré de tissu vert qui flottait , un vieux bédouin sortit en arrangeant son chèche blanc.
Le vieux guide soudani , arrêtant sa mule , averti son compagnon qui avançait prudemment sur son bel alezan .
« C’est le raiis kabila (1)! »
Jilla mis pieds à terre , tenant la bride de son cheval , salua :
« Salam alikoum (2) ! diaf rabi (3) oh cheikh ! »
« Ya m’rhaba ! Ya m’rhaba (4)! bi douyouf (5)Allah ! » Répondit , en un arabe châtié , le vieux cheikh , en invitant sans attendre :
« Approchez ! Approchez !
Ma tente est la votre ! »
Il revint vers la tente , souleva de sa main gauche le bord d’un tapis vert servant de rideau d’entrée et les priant de la droite d’y pénétrer.
Jilla et son compagnon cédèrent leurs montures à un autre bédouin qui sortait d’une tente voisine , attiré par les éclats de voix , et s’engouffrèrent à l’intérieur de celle du chef de tribu qui laissant le rideau relevé sur la tente , les invita à s’asseoir sur un beau tapis persan .
« Hadi kheimat chouyoukh kabila(6) !
Vous étes chez les Béni Ournid , modestes serviteurs de dieu ! Honorables invités! » Annonça le raiis , en s’accroupissant sur un genou devant eux .
Soutenant le regard scrutateur de son hôte , Jilla laissa Si Ahmed lui répondre :
« Honorable raiis !
Voici le noble prince de tafilat , Jilla ben Sidi oul Si Chérif d’Oum Assel et votre serviteur Ahmed Soudani , son guide vers Tlemcen ! »
Notes :
(1)Chef de tribu
(2)Que la paix soit sur vous !
(3) invité de dieu
(4) bienvenue !
(5) hôtes de dieu !
(6)C’est la tente des sages de la tribu

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« Moulay Jilla !
Vous et votre guide Si Ahmed, vous êtes fi amen (1) chez votre tribu,
Les Beni Ournid ahrar ne craignent qu’Allah et sont ses dévoués serviteurs !
Nos aïeux les Zénètes ont embrassaient l’islam sous Abou Al mohajir dinar qui a conquis Tlemcen …
Depuis nous occupons la terre de nos ancêtres » dit l’honorable raïs.
La mine soudain renfrogné ; il ajouta :

« Pour notre indépendance et notre liberté, nous subissons toutes les injustices des tyrannies du makhzen alaouite et de la régence ottomane !

Notre cheikh et poète ben M’saib , Allah yerhamou (2) a dit :
‘’Pour cette ville, les beaux jours ont fui !
Le temps de la tristesse et du malheur est arrivé !
Ruinée, elle s’est pourrie ! Elle a péri, dévastée par la tyrannie.’’

Il a comparée Tlemcen, sous le régime turc :

‘’A la grenouille dans la gueule du serpent. ‘’
Et fini, se lamentant plus loin dans un autre poème.
‘’Elle est vêtue de deuil et couverte d’opprobre,
Le vice a fait place aux anciennes vertus ‘’
On a abandonné ce pays, plongé dans la honte.
Nous avons détourné nos regards!
Tlemcen fut anéantie par l’injustice et l’anarchie ‘’.»

La lecture, de ces poèmes par le vieux raïs Kabila, glaça nos deux voyageurs.
Une colère sourde envahie Jilla en regardant, silencieux, le vieil homme au visage émacié et sombre, se tordant les mains noires de charbon.

Jilla inquiet demanda au Raïs :
« Et maintenant !
Qu’en est-il de la situation à Tlemcen ?

« Elle est divisée en deux partis ennemis,
les derkaoua d’Ahl Ngad et les beni snassen qui ont prêté allégeance au caïd d’Oujda, Abou el Oula idriss , du Makhzen et les cruels koulouglis se sont réfugié dans le Mechouar (3) . » Informa, triste, le vieux chef de tribu.

Notes :
(1) En notre protection
(2) que dieu lui apporte la miséricorde
(3) Citadelle de Tlemcen

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Les charbonniers béni Ournid, déterrent et brûlent les grosses souches de zabouj (1) et autre arbres sauvages et chargent leur charbon sur de petits ânes pour les vendre à la criée aux habitants, en allant et venant dans les ruelles avec des couffins noirs pesamment vissés sur la tête , un travail pénible et salissant pour un maigre profit .
Des particules de charbon, collées sur le visage, font briller le blanc de leurs gros yeux blancs et de leurs dents, leur aspect féroce faisant peur, aux petits Hdar , lors de leur passage.
La nouvelle, que des voyageurs ont fait halte dans le campement des Beni Ournid, se répandait comme une trainée de poudre parmi les vendeurs de charbon qui rentrent de la vieille Medina, jadis cité impériale des Zianides , qui affluèrent vers la tente de la Djemaa (2) pour voir ces visiteurs.
Jilla et son vieux compagnon , assis sur la natte tressée en alfa à l’intérieur de la tente , étaient entourés par un cercle de vieux bédouins , curieux de tout connaitre sur les hôtes du vieux raiis kabila , certains les assaillant de compliments pour leur long et périlleux voyage depuis le Sud lointain en ces temps troubles et d’anarchie.
D’autre leur demandant les raisons de leur voyage.
Jilla confiant y répondit avec le sourire, parfois aidé par Si Ahmed, le vieux guide soudani .
La tente était comblée de charbonniers, les gardiens de troupeaux, venus en retard, l’assiégeaient dehors, assis à même le sol et écoutaient à travers l’entrée, grande ouverte.
Tous admiraient le silhem (3) doré du prince, qui contrastait avec les burnous sombres de leurs vieux sages, que dire leurs noirs haillons.
L’un d’eux souffla à l’oreille de son voisin :
« Il ressemble à notre prince Yaghmorassen ! »
Son voisin hocha la tête en souriant.
« Le roi Yaghmorassen de Tlemcen ! »
Raconte la tradition béni ournid était un enfant du pays, dès son jeune âge,
il gardait les moutons ici .

« Il a étudié les propriétés des plantes que broutaient ses moutons qui s’engraissaient sans cesse, si bien qu’il découvrait une herbe qui transformait le fer en or et en argent. Il chauffa au rouge une barre de fer et la saupoudra de poudre de cette plante asséchée, si bien qu’elle brilla de toute sa couleur dorée.

Les bergers qui ont assistaient à ce miracle lui dirent :« Tu es notre sultan ! »

Devenu roi, il construisit le Mesjed kebir (4) de Tlemcen et plaça un peu de cette poudre dans un des piliers la soutenant et dit à ses sujets :
« Si un jour, ce lieu d’Allah sera démoli, les fidèles trouveront ce pilier, en sortiront cette poudre, transformeront le fer et construirons avec cet or une autre mosquée en l’honneur d’Allah ! »

Notes :
(1) Olivier sauvage
(2) Assemblée
(3) Burnous en soie fine
(4) Grande mosquée

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Le soir venu, une fois le repas terminé avec leur hôte et sa djemaa, la tente du raiis de la kabila beni ournid qui était animée, se vida et jilla et son compagnon sortirent pour se dégourdir les jambes.
Tout le campement dormait autour d’eux,

La fumée de chaque tente ; l’une après l’autre s’éteigne, le grand silence du campement n’est troublé que par les bêlements, qui viennent de temps à autre des troupeaux assoupis dans leur Zriba( 1) .

Près du camp, éclairé par une pleine lune d’été , jilla vit des ombres noires étendues sur le sol, ce sont les gardiens de troupeaux , roulés dans leurs djellabas.

Un peu plus loin, près de la lisière du foret se dressaient hirsutes des cahutes de branchage et de pisé.
« Ce sont les habitations des pauvres charbonniers, les tentes appartiennent aux riches propriétaires de troupeaux et aux robustes bucherons ! » dit le vieux guide soudani.
« Où sont les dépôts de charbon ? » demanda jilla.
« Ils sont dans les endroits défrichés au milieu de la forêt, près des bûchers. »
répondit Si Ahmed.
Sentant dans le dos, la brise nocturne d’été, jilla recommanda de regagner la tente du Raïs.

A présent, sous le clair de la lune , hormis le bruissement de la forêt voisine , d’oliviers sauvages , on n’entendait parfois que quelque toux d ‘hommes , provenant des tentes silencieuses .

A l’intérieur de celle du raiis de la kabila (2), les deux voyageurs causèrent un moment, puis épuisés par une rude journée et une longue discussion, s’endormirent à poings fermés.

Notes :
(1) enclos d’ovins
(2) Chef de Tribu

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C’est le matin au blad des Béni Ournid , déjà le soleil dorait de ses premiers rayons le sommet de la chaine montagneuse de lala Setti
Derrière, sous son flanc Nord, s’étend la Médina millénaire jusqu’au pied du djebel sakhratine (1) .
Jilla et le vieux guide allaient partir, leur hôte le raïs Kabila et quelques cheikhs de la djemaa les entourent, viennent les saluer, en leur serrant la main à tour de rôle.
Ils quittèrent les béni Ournid d’El Meffrouche (2) pour la tombe de Sidi Boumediene, c’est le vœu de Jilla.
Hier, pendant sa longue discussion avec les béni Ournid , ces braves gens n’ont pas cessé de louer ce Saint et ses bienfaits et son ascétisme, d’où sa curiosité.
« Sidi Boumediene chouaib ben el Hossein el ançari , tisserand , savant, poète et soufi andalou , est né à Ichbilia (3) en 1126 .
Ascète, il ne s’écarta jamais de la vérité religieuse, humble, vêtu de laine, il se nourrissait d’orge qu’il semait et récolter lui-même.
Telle fut sa vie jusqu’à sa mort à Tlemcen en 1197 – 98.
Il est l’un des représentants du soufisme le plus connu et le plus vénéré dans toute l’Afrique du Nord et les musulmans viennent de toutes les parties du monde pour visiter son tombeau. »
Pour arriver au sanctuaire, Si Ahmed conseilla de traverser la forêt de Lalla Setti et descendre vers El Eubbad (4) .
Notes /
(1) Montagne des deux rochers
(2) Lac « Etalé »
(3) Séville
(4) Ksar abritant le tombeau

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Arrivés aux remparts de Tlemcen, Jilla et son compagnon entrèrent par la porte de Bab Sidi Bou Median et rejoignirent El Eubbad (1).
Leur entrée fut très remarqués, les pauvres bédouins se retournaient ou s’écartaient sur leur passage.
La tenue vestimentaire, et le bel alezan de jilla impressionnaient, surtout le fusil et le lourd chargement de la mule du vieux guide attiraient leurs regards avides.
« On nous confond avec les riches donateurs, noble prince !
Les ziara (2) des riches bienfaiteurs sont rares à ces lieux » Expliqua si Ahmed.

El Eubbad est une petite agglomération dans la vieille cite Agadir , faite de maisons basses en dur, édifiée sur une colline bien peuplée de maures ou berbères en haillons ou nu pieds et de pauvres artisans.
De loin, on voit un temple blanchi à la chaux et au dedans la sépulture du saint homme : Sidi bou mediane chouaib , fort vénéré par les habitants en faisant des aumônes en son honneur.
A côté du temple, sont bâties une mosquée, une medersa(3) et une salle de médecine traditionnelle.
Tous les arabes et tous les berbères musulmans ou non du Maghreb et du Machrek faisaient le pèlerinage à cette petite cité, soit pour se soigner ou soit pour étudier.
Des artisans ouvraient boutique dans ses ruelles, on trouve des maures tisserands, des forgerons qui maitrisent le fer ou des teinturiers de draps.
Ses occupants sont dans la majorité, de nécessiteux pèlerins ou pauvres Taleb (4) de tous les royaumes.
Par contre , la grande cité , voisine appelée Taghrart , abrite les beaux châteaux du beylik , du caïd et leur serviteurs , de maisons cossues , de militaires koulougli , de prospères négociants ,de grands orfèvres ou de riches commerçants juifs , bien habillés et portant joyaux sur la poitrine ou aux doigts .
La médina des zianides est renforcée d’un mur avec sept portes d’entrées bien gardées. :
Bab el hadid , Bab El khamis ,Bab sidi bou median ,Bab El Djiad , Bab El Karmadine, Bab Zir et
Bab Wahran (5).

Notes :
(1) Couvent de fidèles
(2) Visites
(3) Collège coranique
(4) Étudiants coraniques
(5) Porte d’Oran

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Devant les escaliers du sépulcre de sidi Bou Median, se bousculaient des pèlerins de tout âge.
Les uns entraient, d’autres en sortaient, en psalmodiant des versets et murmurant des prières.
Les pèlerinages et les pieuses ziara au tombeau sacré de Sidi bou Median ont toujours eut lieu et tous les ans, depuis la dynastie des Abd el Wadid .

Jilla et Si Ahmed se frayèrent un chemin au milieu d’une cohue de pèlerins, tout en distribuant les dattes sorties de l’outre que portait en bandoulière Si Ahmed.
C’est dans ce temple béni et depuis des siècles que le pauvre vient demander l’aumône, le malade la guérison, l’étudiant la science et le poète l’inspiration …pour Jilla c’est le respect.

Sur une ruelle pavée de zelij (1) et à sa droite, se trouve la mosquée construite en 1328 par Abou El-Hassan, sultan mérinide de Fès.

On y accède par une dizaine de marches qui montent à un très impressionnant porche monumental couvrant une lourde porte en bois de cèdre recouvert de plaques de bronze fixées par des clous finement décorés .
Une foule occupait l’entrée et des derkaoua animaient la ruelle avec leur mezwad (2) à souffler et leur bendirs(3).

De part et d’autre de cette mosquée, des dépendances comportant des bains maures , une medersa et une salle d’hébergements ou dortoir.
A sa gauche, un peu plus loin, l’entrée du sanctuaire, une porte ouverte et un étroit escalier qui descend au tombeau de Choïab Ibn Hocine El-Andaloussi, dit Sidi Bou Median.

Jilla releva le capuchon de son burnous et pénétra, suivi du vieux guide, ému par les lieux sacrés et leur lourd silence , dans le sanctuaire ou est venu chercher pour son sommeil éternel , le pieux des pieux , le kotb akbar (4) , l’imam Chouaib abou Median

La montagne d’El-Eubbâd, disent les textes, était déjà, bien avant Sidi Bou-Médian, le lieu de sépulture des walis (5), piliers de la foi musulmane.
Car Abd-es-Selàm et-Tounsi, repose aussi dans la Koubba de Sidi abou Médian, et Sidi Abdallah ben-Ali passe pour avoir déjà été enterré, avant Sidi Abou Médian, sur la même colline .

Notes /
(1) carreaux en céramique
(2) peau de chèvre
(3) tambour
(4) le pôle des pôles
(5) Docteurs de la foi

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Jilla descend quelques marches pour arriver à une petite cour carrée, entourée de galeries à arcatures en fer à cheval sur colonnes en onyx , le tombeau de Sidi Bou médian se trouve en contrebas de la cour d’accès. la koubba (1) qui abrite la tombe, isolée par un paravent en bois ouvragé, est une pièce carrée surmontée d’une coupole elle-même couverte d’une toiture en tuiles.

Devant le paravent se tenait une jeune femme , voilée d’un haïk blanc en tissu fin de soie , qui semblait prier , mains jointes sur sa poitrine.
Jilla s’immobilisa, attendant qu’elle eut terminé sa prière, pour lire sa fatiha (1) mortuaire face au tombeau.
La jeune femme , sans regarder derrière elle , sortit une poignée de pièces d’or et d’une main blanche , ornée au poignet d’un massif bracelet étincelant , et les jeta sur la tombe du marabout . quelques pièces ricochèrent et roulèrent sur le zelij(3) aux pieds de jilla qui se pencha pour les ramasser, une par une.
Elle se dégagea du paravent et quitta la petite cour, en jetant un regard furtif derrière elle .
Jilla venait d’empocher les pièces d’or glanées sur le zelij .
Sans un mot et sans tarder, elle s’en alla déçue.

Notes :
(1) Dôme
(2) sourate
(3) Faïence

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Ayant terminée leur ziara (1) Jilla et son vieux compagnon, sortirent du temple, dehors les derkaoua faisait un tintamarre inouï devant la mosquée.
Les danseurs entraient en transe au rythme des bendirs, tournoyant en cercle et sur eux même , jusqu’au évanouissement .
Subjugués, les pèlerins profanes, les entourant, balançaient aussi, sur le point d’entrer dans leur Hal (2).

Nos voyageurs remontèrent la rue, menant au Fondouk, pour récupérer leurs montures.
La rue est encombrée d’allées et venues de pèlerins et de visiteurs et sur ses côtés, des rangées de mendiants, leur tendant la main.
De pauvres bougres, faméliques et en haillons.
Jilla s’approchait d’eux et jetait à chaque fois une pièce en or dans leur misérable chechia (3), épuisant ainsi toutes les pièces récoltées dans l’enceinte du sépulcre de Sidi Bou Median ,
Sans s’apercevoir, il ne vit pas, qu’une nuée de nécessiteux s’est formée derrière lui et maintenant le poursuivait.
Arrivés à sa hauteur, ils s’accrochèrent à son burnous en criant :
« Seigneur ! Seigneur ! Aidez-nous …
Nous avons faim, nous sommes malades !
Votre or nous sauvera ! »
Si Ahmed s’interposa et le poussa vers une vieille porte cochère close, tout en leur criant :
« Oh serviteurs d’Allah !
Le Prince n’est pas riche !
Les seules pièces d’or qu’il vous a gracieusement remises, furent récupérées près du tombeau de votre marabout. »
Les mendiant refusèrent d’écouter et S’étalèrent en lamentations en les encerclant.
La foule grossissait sans cesse.
Jilla agacé par leur avidité, s’apprêtait à les repousser !
Quand soudain, une voix féminine se fit entendre, ferme et menaçante :
« Dispersez-vous !
Laissez le prince tranquille !
Son esclave a raison ! C’est mon or qu’il a ramassé pour vous le distribuer ! » dit-elle en jetant à la volée, le reste de sa bourse.
Une bousculade s’ensuivit, nos visiteurs en profitèrent, pour se dégager et continuer leur chemin , suivis de la jeune femme qui leur cria en les précédant :
« Seigneur ! Suivez-moi ! » Ce qu’ils firent sans hésiter.
Elle se faufilait devant eux, comme un poisson dans l’eau, au milieu d’un dédale de sombres ruelles .
Jilla a déjà perçu ses grands yeux noirs et son teint de porcelaine.
Maintenant devant lui , malgré le haïk l’enveloppant, jilla devinait sa taille svelte et bien faite , une magnifique chevelure noire et une démarche altière .

Notes :
(1) Visite tombale
(2) Etat extatique
(3) Coiffe maure

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Guidés par la jeune femme, jilla et son vieux compagnon, arrivèrent sans incidents au fondouk ou étaient parquées leurs montures.
A la vue du cheval de Jilla !
La jeune femme ne peut s’empêcher de courir vers lui et le caresser, en s’exclamant :
« Oh, le bel alezan ! C’est un prince des sultans ! »
Et se retourna vers Jilla, les yeux embués de joie, le priant :
« Puis je le monter ? »
Jilla hocha la tête affirmative.
Sans attendre, et d’une aisance princière, enfourcha Berk (1).
Celui-ci, se cabra en hennissant et se clama, comme ayant adoptée l’inconnue cavalière, qui aux anges, demanda :
« Quel est son nom ? »
« Berk ! » répondit Jilla qui agrippa sa bride pour le rassurer.
« C’est un pur-sang arabe qui coure comme l’éclair ! »dit la jeune femme.
« Oui ! Il appartient à une princesse Idrisside Filalie (2) ! » Confirma Jilla, caressant l’encolure courbée de Berk.
La jeune femme mit pied à terre, agrippa, des mains de jilla, la bride du cheval, regarda le prince et lui dit :
« Noble émir ! je suis Maria, fille du Rais des kouloughli , ma mère est une Gharnatia (3). »
Jilla détourna son regard des grands yeux noirs surmontés de sourcils fournis, barrant d’un trait le front , de la jeune andalouse, et présenta le vieux guide qui sellait sa mule.
« Voici Si Ahmed mon vieux compagnon et non mon esclave comme vous l’avait annoncé aux Ahl sabil (4) ! »
Celui-ci s’avança vers la jeune andalouse en souriant et lui annonça :
« Honorable Maria !
Je vous présente Jilla ben Sidi ould Si cherif , prince du ribat de Tafilalet et du Draa . »
.

Note :
(1) Eclair
(2) De Tafilalet
(3) De Grenade en Andalousie
(4) Mendiants

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«Nous venons dans votre illustre Medina pour rendre visite à ma famille !»
« Pas question ! Ce sera pour un autre jour !
Maintenant vous êtes mes invites au Mechouar (1) ! » Répliqua la jeune femme.

« Le Mechouar ? » répéta Jilla en fixant d’un regard interrogateur le vieux guide.

« C’est la citadelle de l’ancienne Mechouara (2) des Zianides ! » expliqua Si Ahmed.

« La médina des Zianides , notre rayonnante Tlemcen , jadis florissante et prospère ,croule sous l’anarchie la plus totale.
Ses environs subissent la terreur du bey hassan d’Oran, employée contre les tribus Oulhassa qui ont refuser de payer l’impôt au bey.
Un agent du makhzen , originaire de Fez , le sieur Ben Nouna se fit nommer Caïd de Tlemcen par les Hdar à majorité fassie (3) à la place du Caïd turc , le koulougli Borsali qui est resté barricadé chez lui .
Les kouloughlis cernés et menacés par les hdar (4) ce sont enfermés dans le Mechouar , résolus à résister en attendant la suite des événements .
Voilà trois ans qu’ils tenaient tête aux hdar rebelles et les tribus terrassées par la famine due à la sècheresse.
Le Mechouar , malgré ses hautes murailles est gardé par 500 soldats kouloughli , bien entrainés et très disciplinés sous le commandement de mon père le khoudja Ismael , un raiis puissant et très craint . » Résuma pour ses invités, la jeune andalouse.
Jilla hésitant, objecta :
« Si Ahmed sera-t-il autorisé à pénétrer au Mechouar ? »
Maria bégaya un moment puis avança une issue :
« Oui ! En tant que votre serviteur ! »
Jilla soutenant son regard lui répliqua, les sourcils froncés :
« Honorable Maria !
Votre invitation m’honore, choukrane !
Mais, je dois visiter la famille de Si Ahmed, avant tout !
Ce sera pour une autre fois, in chaa Allah ! »

L’air dépité, la jeune femme consentit :
« Je respecte votre décision !
Je loge au Mechouar au cas où vous aurez besoin de moi ?
Je serais toujours à votre disposition.
Vous n’avez qu’à demander aux sentinelles :
de voir Maria , la fille du khodja Ismael »
La jeune femme, rajusta son voile et prit congé de nos deux voyageurs.

Notes :
(1) Citadelle Forteresse de Tlemcen
(2) Conseil
(3) De Fez
(4) maures sédentaires

LE ROMAN DES NOBLES BÉDOUINS
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La régence d’Alger, après l’incident du consul Duval avec le dey Hossein, est brouillée diplomatiquement avec la France qui ne pouvant s’acquitter de ses dettes, les a transportées sur les puissants négociants du blé, les deux juifs, Bacri et Bouchnak .
Un blocus maritime est enclenchée contre ses frégates de corsaires sur la méditerranée.
Et plus grave !
Un débarquement militaire est programmé et se prépare à Toulon en France.
A l’ouest, tout le pays s’était insurgé sous l’instigation du fassi (2) Ben Nouna contre le bey d’oran et plus précisément à Tlemcen ou vient se réfugier Jilla, les koulouglis se sont déjà retranchés au Mechouar assiégé par les hdar (1).

En temps de paix , les turs s’appuient sur les milices kouloughli , métis de janissaires (4) et de femmes maures pour maintenir l’ordre et réprimer les tribus récalcitrantes à leur impôt.

En temps de révolte ou de guerre , ils les utilisent pour protéger leur familles et leur trésors et celles des tribus alliées dans des quartiers fortifiés ou citadelle comme le Mechouar ou se refugient aussi leurs agents .

Jilla a évité le Mechouar , en déclinant avec politesse l’invitation de la belle Maria .

« Vous aviez bien fait Noble prince !
Dans toute l’Oranie, les marabouts prêchaient ouvertement la rébellion et annonçaient l’anéantissement des turcs cruels et cupides.
Voilà plus de sept ans que le Bey Hassan d ‘Oran leur fit la chasse, il a décapité publiquement plusieurs d’entre eux, d’autres s’enfuirent à Oujda l’alaouite.
L’un d’eux, le hadj Mah Eddine, marabout de la zaouïa de la Guetna (3) et chef de la plus puissante tribu de l’Ouest fut le seul à échapper à la mort grâce aux prières de la femme du Bey, il fut interné à Oran puis relâché. » expliqua Si Ahmed pour confirmer la crainte de Jilla .

Renseignés par le nyati () du foundonk qui a vérifiés les fers de leurs montures , nos deux voyageurs se dirigèrent vers le Mergued (5) désigné .

Notes :
(1) Maures sédentaires de Tlemcen
(2) Originaire de Fez
(3) Lieu-dit près de Mascara
(4) militaires turcs
(5) dortoir
(6) maréchal ferrant

LE ROMAN DES NOBLES BÉDOUINS
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De bonne heure , Si Ahmed quitta le Mergued , laissant son jeune compagnon encore dans les bras de Morphée et s’en alla vers le hay abid (1) ou loge sa sœur m’barka prés de la Mosquée de Sidi lahcene dit l’Aberkane (2).
Ce quartier formant un grand ensemble compact et dense de maisons basses, construites en pisé, autour de la mosquée.
Des masures d’un seul étage, aux toitures en chaumes, sans cour intérieure, avec une unique ouverture chacune, donnant directement sur la rue ombragée.
Dans la rue, des enfants noirs, vêtus juste de bouts de drap blanc , sale et froissé , jouaient au cerceau et gambadaient avec , Si Ahmed se fit un chemin parmi eux pour rejoindre le logis de sa sœur .
Il y a fort longtemps qu’il lui a rendu visite ,se rappelant à peine l’emplacement , rien n’a changé , sauf qu’il y a plus de monde dans les ruelles et la misère plus criante à travers les mines tristes et les silhouettes faméliques des colporteurs et des domestiques qu’il croisait ou cédait le passage.
Le vieux guide emprunte difficilement des ruelles, jadis propres, croulant sous les immondices, en enjambant parfois une rigole puante qui coule en son milieu .ou une flaque d’eau de lessive stagnante.que déversaient les femmes noires , accroupies devant leurs seuils , tordant à bout de bras leurs linges et les pressant dans des bacs en bois .
Consterné, Si Ahmed, n’en croyait pas ses yeux !
De vieilles Mama noires, mijotaient leurs marmites, chauffées par des majmar (3) dehors à même la rue.
Le quartier des noirs comme le Derb yahoud (4) s’est gravement dégradé .

Vu les constructions en ruine tout autour, hormis le mechouar dont la muraille fut surélevée et la restauration de la kouba de Sidi Abou Median par le bey d’Oran en 1793 ,Tlemcen semble n’être qu’une simple garnison militaire pour les turcs , aucun palais ottoman digne d’être cité , n’est édifié par la régence d’Alger .

Depuis la dernière visite , du vieux guide Soudani à sa sœur , il y a une dizaine d’années , la médina a changée , et le hay abid encore plus , tout est désolation et ruines.
Ce qui restait de la belle capitale des mérinides, n’est désormais qu’un simple ksar dépeuplé, attaché au beylek turc d’Oran .

C’est grâce aux indications de vieux passants que Si Ahmed arriva chez sa sœur M’barka .
Elle était absente, mais il reconnut la vielle porte en cèdre de son logis exigu et la pierre rectangulaire en roc , à coté du seuil , qui servait de banc public à M’barka pour prendre le frais devant chez elle , durant les soirs d’été .

Notes :
(1) quartier des esclaves
(2) Le noir en berbère.
(3) Brasero en argile cuite
(4) Quartier des juifs

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Jilla se réveillant, vit le fusil et la cartouchière du vieux guide, étalés sur le seddari (1) voisin , il comprit que Si Ahmed l’a quitté sans le déranger , pour rendre visite à sa sœur au derb Aberkane (2).

Sage et fin stratège, il a préféré partir sans armes, un vieux noir flanqué d’un fusil sans la compagnie d’un raiis arabe ou d’un Aghram berbère n’aurait apporté que des ennuis dans une ville de kouloughli et de rebelles maures ou andalous.
Jilla se rappelant son cheval , s’empara du fusil et actionna sa culasse , la chambre de feu était vide , il prit une cartouche de silex et l’arma en le déposant le canon en l’air prés de son seddari .
Il souleva son oreiller bourré d’’alfa écrasé, retira son pistolet chargé et le mit à sa ceinture.
Il enfila ses bottines de cuir et s’apprêtait à se revêtir de son burnous , quand des éclats de voix et des bruits de pas se firent entendre à l’extérieur du Mergued .
Jilla eut juste le temps de saisir de sa main gauche , le fusil de Si Ahmed , deux énergumènes , armés de sabres , firent irruption dans la chambre , suivis d’autres en chèches qui obstruaient l’entrée en se bousculant .
Jilla ,un instant surpris , garda son sang froid , sortit son pistolet et les mit en joue en s’écriant menaçant :

« Si l’un de vous avance ! je l’abas comme un chien !
Hram alikoum ! comment osez vous bafouer ma hourma (3) !
Sortez de ma hourma et expliquez vous ! » ordonna le jeune prince en les braquant.
Devant le visage austère et l’attitude franche et fière de Jilla , les deux assaillants reculèrent d’un pas retenant la bousculade , ne pouvant sortir .

L’un d’eux , un homme d’une taille moyenne, au teint brun et hâlé, aux yeux noirs et pleins de feu, enveloppé dans une djelaba en laine blanche comme son acolyte , un peu plus trapu , baissa son sabre et annonça en un arabe fassi :

« Nous sommes les hagib (4) du Caïd Ben nouna !
Il nous a ordonna de vous arrêter et de vous emmener à son palais !
Ne résistez pas !
Nous sommes une vingtaine dehors et votre issue est bloquée !»

« Je n’ai rien à redouter !
le temps de ramasser mes affaires et je vous suit ! »
dit jilla d’une voix grave, l’arme toujours au poing droit, il mit en bandoulière le fusil de Si Ahmed et ramassa sa sacoche de la main gauche.
Notes :
(1) Canapé-lit
(2) Noir en berbère
(3) Intimité
(4) Auxiliaire de police

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Dehors, le chef des chaouchs attendait Jilla,
Il avait le visage maigre et hâlé, les bras velus, la démarche hautaine et terrifiante.

A la vue de jilla, vêtu de son sil’ham en soie, le fusil à l’épaule, droit dans ses bottes de cuir et le regard fier , il s’avança conciliant et lui dit à l’oreille :

« Seigneur !
Nous exécutons des ordres, ceux du Caïd !
Veuillez nous suivre ! »
D’un signe de la tête, il ordonna, aux deux autres chaouchs d’encadrer Jilla qui s’approchèrent.

De la main, le Noble prince les écarta :
« Gardez vos distances !
J’ai déjà dit que je suis à votre disposition !
Allons voir ce Caïd qui vous ordonne de violer la hourma des gens ! »
Le chef des chaouchs approuva en hochant la tête.
Les badauds grossissaient la foule et emplissaient la rue devant l’entrée du Mergad.

Ces chaouch, espèce de sergents du caïd ou Cadi , exécuteurs des basses œuvres se sont fait une grande réputation d’administration des coups de bâton , qualité faisait d’eux une terreur ; les honnêtes gens même ne pouvaient les regarder sans éprouver un frisson de crainte ou de répulsion.

Ils traversèrent ainsi toute la ville dans sa longueur vers le derb hdar , et cela au grand étonnement de tout le monde,
Les uns se demandaient si on allait administrer la bastonnade à ce jeune homme et les autres assuraient qu’on le menait hors des remparts pour le passer par les armes.

Ayant empruntés plusieurs rues étroites du quartier des maures aisés et des riches andalous, ils se trouvèrent enfin en face de la porte de la demeure du caïd qui a bien plus l’apparence d’une prison que d’une résidence, cette porte ordinaire donne sur un jardin ombragé par des vignes en treille et orné d’un jet d’eau .

Au fond de ce jardin s’élevait une bâtisse carrée dont l’entrée est gardée par d’autres chaouchs se tenant debout, et balançant de temps en temps leurs bâtons noueux et flexibles.
Jilla et le chef des chaouchs entrèrent dans le diwan (2) du caïd, laissant l’escorte à l’extérieur.

Notes :
(1) Quartier des autochtones
(2) Salle d’audience

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Le diwan est une longue et étroite pièce, couverte de tapis et de coussins : il n’y a comme mobilier, qu’une seule chaise destinée surement au seul caïd et à coté, un tabouret sur lequel étaient entassés pêle-mêle des livres manuscrits et des paperasses.

Le raïs des chaouchs invita Jilla de prendre place sur le tapis en lui offrant un coussin.
Jilla refusa poliment et resta debout sur un couloir de nattes séparant les tapis étalés sur les deux cotés de l’antichambre.
Le raïs marcha jusqu’à une porte capitonnée et tira sur un cordon qui pendait le long d’un ample rideau en étoffe rouge .
Jilla entendit le son timbré d’une clochette.

Un homme d’un certain âge apparut tenant une chapelet à la main, coiffé d’un tarbouche rouge , vêtu d’un burnous en soie jaune et chaussé d’une paire de bligha de même couleur .
En voyant le chaouch s’incliner et baiser la main de l’homme, jilla comprit que c’était le caïd en personne.
Le dignitaire surpris de l’attitude de jilla qui debout, contenant sa colère, le regardait.
En fin diplomate, il salua timidement, faisant mine d’ignorer le courroux du jeune prince et prit place sur l’unique chaise du diwan et demanda d’une voix haute et autoritaire :

« Qui êtes vous ?
et quel est le but de votre visite à Tlemcen ?
Ou est votre khedim (1), le vieux soudani ? »

Silencieux, Jilla attendit qu’il ait achevées ses questions et lui déclara sur un ton grave :

« Je suis un pèlerin et j’ai effectué une ziara (2) au tombeau de Sidi Chouaib Abou Median ! »
« Est-ce interdit ? » ajouta t’il .

« Non ! Mais des espions de la maudite régence d’Alger se mêlent parmi les pèlerins et sèment la discorde parmi nous en distribuant des pièces d’or et des promesses ! » répondit en précisant le caïd.
« Distribuer de l’aumône aux pauvres !
Est ce de la fitna ? » répliqua cyniquement jilla .
Evitant de répondre, le caïd revient à la charge :

« Ou est votre khedim (1), le vieux soudani ?
Quelles sont vos relations avec gens du Méchouar ?
Nos agents nous ont signalé votre excursion à l’Eubbad et au foundouk en compagnie de la fille du raiis des kouloughlis ! »
« Si Ahmed n’est pas mon esclave !
C’était le guide attitré du chef de la caravane de Tombouctou !
Et vos agents doivent savoir où se trouve mon compagnon ! »
Notes :
(1) Serviteur
(2) Visite

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Le caïd, assis sur la chaise, les jambes croisées et égrenant machinalement son chapelet, tout en poursuivant son interrogatoire, observait attentivement l’impétueux jeune homme qu’il venait d’amener par ses chaouchs devant son autorité.

Le jeune homme semblait si sur de lui , plus il portait un fusil sur son épaule , le caid lui même riche notable , éclairé et moderniste voulut percer le secret de l’attitude ferme de Jilla , cherchant une brèche pour le déstabiliser, l’interrogea brusquement :

« Vous prétendez être un inoffensif pèlerin !
Alors pourquoi ce fusil ? »

A cette question , le chef des chaouchs s’approcha du caïd et lui murmura à l’oreille , ce dernier sans attendre ajouta en colère :

« Et en plus ! vous aviez menacé mes gardes avec un pistolet pendant leur mandat de vous amener ! »

Jilla imperturbable, lui rétorqua :
« Comment dois-je réagir à la violation de ma hourma ?
En offrant du thé à des inconnus armés de sabres qui font irruption dans ma chambre ? »
A cette réflexion , le caïd qui se sentit outragé , se redressa , tapa des mains et les deux autres chaouchs , gourdins à la main , pénétrèrent brusquement au diwan .

Le caïd , d’une voix ferme , leur ordonna agacé :
« Désarmez moi ce prétentieux et fouillez le ! »
Ils se jetèrent sur Jilla tels des fauves , lui enlevèrent ses armes et sa sacoche qu’il remirent au caïd .
Jilla stoïque , n’opposa aucune résistance, au contraire il sourit et se laisse malmener.

Le caid farfouilla dans la sacoche et en retira un parchemin, le lut et devint blême.
Il dévisagea jilla , un instant effaré , congédia les chaouchs et s’approcha de Jilla .
« Toutes mes excuses noble prince filali !
Qu’Allah me pardonne ce mépris à votre honorable personne !
Je vis au milieu d’un repaire de chacals , comprenez mon ignoble comportement .» se repenti le caïd , en offrant sa main tremblante à Jilla .
« Salam alikoum honorable prince ! »
Jilla reprit le parchemin de la main gauche du caïd et comprit la volte face subite de celui-ci .
C’est le sauf conduit du nadir du ksar des M’hadid , portant le sceau du sultan Slimane .
Le caïd troublé , ne sachant que faire , se retourna et ramassa les armes de Jilla et les lui rendit confus .
Ne pouvant plus , il s’affaissa sur un coussin en implorant :
« Seigneur ! je suis votre serviteur, prenez place à mes cotés ! »
Jilla imita le caid et s’assit en croisant ses jambes devant le dignitaire dépité.

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Le caïd Ben nouna , sa main sur le genou de Jilla , lui raconta paternel les raisons de son mandat d’amener.
Il lui déclara :
« Que celui avec qui il s’entretenait est marabout comme lui, s’étant consacré dès son enfance à la prière, à l’étude de la religion et au service du makhzen.
Et que depuis la venue des turcs à Tlemcen , sa famille et son entourage de riches commerçants d’origine fassie n’ont jamais coupé les liens avec le royaume alaouite et ne reconnaissent que l’autorité chérifienne de ses sultans .

Ce sont eux et les autochtones andalous qui l’ont investi Caïd à la place du caïd des turcs Borsali .
Et que le 3amel (1) Caïd d’oujda , Abou Ola idriss l’a appuyé ! et que suite aux derniers événements causés par l’anarchie et la discorde, refusa de venir à Tlemcen !

Il nous a conseillé d’envoyer une députation à fez composée de tous les habitants ! kouloughlis , maures et arabes .

Les kouloughlis sont le caid Borsali démis de ses fonctions et les grandes familles fassies , les Ramdan Triki , les Ben dadouch et les Gourmala , les maures sont Mustafa ben ismail l’ Agha des douaiir et Mazari son neveu l’Agha des Zmala .
Toutes les grandes tribus de l’Ouest, les beni Chougrane les Béni Hachem , les Wlad Sidi Cheikh et le cheikh Mohiédine de la zaouia de Mascara et Ghris ont reconnu l’autorité religieuse de notre sultan Moulay Abderrahmane.
La ville croule sous la misère et pire, les kouloughlis retranchés dans le Mechouar , ravitaillés par les Ahl Angad leur alliés , contrôlant les sources d’eau potable , refusent de céder . »
Jilla silencieux, écoutait le caïd, quand il eut achevé son récit lui dit :
« Honorable caïd !
Ce sont tous des musulmans, pourquoi cette désunion ?
Est-ce que les bases du dialogue se sont taries parmi eux ? »

Le caïd évita de répondre et soudain comme illuminé par la dernière réflexion de jilla , s’empressa de lui dire :
« Noble prince ! Allah vous a amené à nous par sa baraka !
Dans tout malheur ? il y a de bonnes chances !
Votre relation avec la fille du commandant du Mechouar nous sera d’une grande utilité pour les rallier à notre cause ! »

Surpris par la duplicité du caïd, Jilla rétorqua :
« Comment ?
J’ai déjà déclinée son invitation ! » et lui narra les circonstances de la rencontre et de la séparation avec l’andalouse Maria , lors de sa ziara au mausolée de Sidi chouaib Abou Median
Notes :
(1) Gouverneur

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Jilla racontait au caïd comment il a déclinée l’invitation de la fille du commandant kouloughli du Mechouar .
Ce dernier en habile instigateur proposa à jilla de renouer avec elle dans l’intérêt de l’union des musulmans.
« Par son truchement !
On peut approcher le Commandant et l’inviter à faire participer à la délégation un représentant des kouloughlis !
Cette délégation ira à Fes demander l’aide et la protection de sa majesté le sultan Abderrahmane. »
Expliqua le Caïd qui finit par charger Jilla de cette mission.
« Noble prince ! Il est de votre devoir d’accepter !
L’union des musulmans est entre vos mains. »
Jilla se tut, ne pouvant ni refuser, ni accepter, car ignorant tout du sérail de Tlemcen, s’excusa.
« Honorable caïd, je dois d’abord consulter mon compagnon Si Ahmed !
Je vous aviserais après ! »
« Sage décision ! Mais faites vite !
Car la délégation est sur le point de partir » approuva le caïd qui se redressa en tapant des mains.
Le chef des chaouchs fit son apparition, le dignitaire d’une voix sévère, lui ordonna :
« Je vous somme de réaccompagner had hajj cheb (1) jusqu’à son Mergued !
Il n’a rien à se reprocher !
Et arrêter de chercher son compagnon !
Ils sont libres de séjourner dans ma ville. »
« Son compagnon est là honorable caïd !
Nous l’avons intercepté près de la mosquée de Sidi bel Lahcen ! » Informa le chaouch.

« Faites le entrer ! »
Dis le caïd, curieux de voir le compagnon de ce jeune prince.

Devant lui, se présenta un vieux noir , les cheveux blancs au corps décharné, au visage émacié aux pommettes saillantes , , l’œil perçant, enveloppé dans une abbaya blanche et chaussé de sandales en cuir de chèvre qui avança leste comme un félin sur les nattes , à la vue de la présence de jilla , Si Ahmed ne fit qu’un bond en s’écriant :

« Noble prince ! Vous n’aviez rien ? »
S’inquiéta t’il puis se retournant vers en le caïd :
« De quel droit vous arrêtez les zouwar (1) de Sidi Chouaib Abou Mediane ? »
Le Caid le toisa du regard et lui répliqua :

« Il a eut méprise sur vos personnes !
Le Noble prince vous expliquera !
Allez regagnez votre Mergad ! vous êtes libres ! » le dignitaire fuyant le regard du vieux Soudani , s’en alla vers la porte capitonnée et quitta le diwan
.
Notes :
(1) Visiteurs

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Au fondouk , Jilla et assis , sur une botte de foin ,regardaient leurs montures entrain de manger , en pouffant , la moitié d’une autre botte étalée dans le râtelier .

« Que penses-tu Si Ahmed de la mission que m’a chargée le caïd Ben nouna ? » dit Jilla , rompant le silence de son vieux ami .

« Ben nouna ? » s’exclama Si Ahmed .
« Oui ! C’est son nom ! » affirma jilla en fixant son compagnon .

« C’est un juif de Fès ! » dit le vieux Soudani en ajoutant :
« J’ai déjà rencontrés des Ben nouna juifs , lors des haltes de ma caravane au caravansérail de Fès . »

« Je ne comprends pas !
Pourquoi un riche juif veut unir les musulmans, maures , hdar et tribus arabes avec les kouloughlis leurs coreligionnaires ? » s’interrogea Jilla .

« C’est un agent du makhzen ! nommé par Moulay Ali , le neveu du sultan et le caïd d’Oujda abou Ola idriss pour rattacher Tlemcen au royaume Alaouite ! » expliqua le vieux Soudani .
« Pourquoi le makhzen ne traite pas avec le cheikh Mohiédine de la zaouïa de Mascara et Ghris ?
C’est un puissant chef musulman ! » insista jilla .

« Tlemcen est divisée en deux parties, les turcs et les kouloughlis qui occupent une citadelle fortifiée et imprenable, le Mechouar , aidés par les Angad et le reste de la cité qui est entre les mains des puissants commerçants juifs originaires de Fés . » résuma Si Ahmed en se levant pour ramasser du foin que sa mule a éparpillé sur le sol .

« Donc ! Le makhzen n’est intéressé que par l’impôt, une fois rattachée au royaume, Tlemcen sera cédée aux commerçants fassis avec une milice de janissaires kouloughlis comme récompense aux dépens des tribus et zaouias musulmanes ! » Conclut Jilla ! »

« Tout à fait noble prince ! » dit Si Ahmed en se rasseyant.

Jilla resta pensif un moment , puis décida :

« Si Ahmed !
Demain nous quitterons Tlemcen pour Mascara !
On doit rejoindre Si Mohiédine qui a failli être décapité par les turcs quand le sieur Ben nouna commerçait avec eux ! »
,« Ala barakate illah ! » se réjouit le vieux guide
Notes :

(1) Par la grâce de Dieu !

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Affairée autour de sa marmite en chantonnant, préparant le souper du soir à ses invités , Mama m’barka la soudanaise , sœur ainée de Si Ahmed est aux anges !

Pour partager sa joie, elle a ameuté tout le voisinage pendant qu’elle faisait ses emplettes dans le misérable Derb des Abid (2).

Lorsqu’on lui a demandé les raisons de son bonheur, elle a répondu :

« Je reçois mon frère Sidi hamadou guide de Tombouctou et son ami Jilla , un prince de Tafilalet ! »

Tout en défiant joyeusement les jeunes prétendantes de tout le gotha Tlemcénien :
« Andalouses ! Belles maures ! Hadriates ( 1)
Venez le voir, il est si beau, on dirait le roi Yaghmoracen Ibn Ziane. »

Dans la pièce voisine , Jilla et le vieux guide se reposaient , étendus confortablement sur une literie neuve et bien épaisse , étalés pour la première fois à leur honneur .

Le doux chant joyeux de Mama M’barka , arrivait à leur oreilles et faisait sourire Jilla :
« Elle est heureuse de ta présence Si Ahmed ! » déclara t’il .

« Oh ! que oui ! Notre séparation a duré plus de dix ans. » soupira le vieux Soudani .

« Ou travaille t’elle ? » demanda , curieux , Jilla .

« C’est la khdima attitrée de hadj mohamed benkalfate , un riche notable hadri possédant un mat’am chaabi (3), prés du Méchouar ! » Renseigna le vieux frère, en ajoutant :
« C’est un grand Monsieur , bienfaiteur et ami des pauvres !
Chaque vendredi, la restauration est servie gratuite pour eux ! »

Jilla ému , émit une prière :
« Allah ibarek fih wa fi 3amaleh ! (4)»
« Amine !
Qu’Allah exauce votre prière ! » Approuva le vieux Soudani .

« Si Ahmed , l’islam repose sur la rahma (5) , et Hajj Mohamed benkalfate , en vrai musulman applique sa doctrine . » trancha jilla .

A ce moment ! souriante , Mama M’barka fit son entrée , portant un grand tajine fumant dans ses mains .
« Assez de discuter et redressez vous, khaouti (6) !
C’est l’heure du diner ! » dit ‘elle

Notes :
(1) Citadines de Tlemcen
(2) Quartier des esclaves
(3) Restaurant populaire
(4) Que Dieu le bénit et bénit son travail
(5) Miséricorde
(6) Mes frères
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C’est depuis le matin que ber’k et la mule, montés par jilla et son compagnon, galopaient sur le chemin muletier de la plaine de la tribu des ouled mimoun , fraction de la tribu amor ,se rapprochant du territoire des ouled sid ali ben youb et des hamyanes : les Ouled Amran et les Ouled – Attia .
Contournant les montagnes abruptes , Si Ahmed en vieux guide chevronné se rappelant les routes romaines qui traversent d’Est en Ouest le tell , citées par les anciens, suivait la route romaine reliant dans l ‘Oranie les avant-postes militaires romains à partir de Pomaria (Tlemcen ).
De nombreux sites romains jalonnent cette route :
En passanr par Altava (ouled mimoun) , les ruines de Sidi ali ben youb , Tenezara , les ruines de Kaputtasaccra (Tenira ) ,Oued Sefioun et Lucu ( Tiliouine) d’où il est possible de gagner vers l’est Cohors Breucorum (Takhmarete ) et de bifurquer vers le Nord en direction de Ghriss pour enfin rejoindre Mascara .

Le long du chemin, en plus des bornes milliaires (1) , souvent saccagées par les nomades gardiens de troupeaux, des dallages, des empierrements et des traces de remblais et déblais signalent encore la route romaine.

Ce trajet fut choisi par Si Ahmed pour éviter les tribus Beni Ameur , les Hassasna et les wlad Slimane .

Arrivés en fin de journée au flanc Sud du Djebel Moksi et au Nord des Forêts de Bou Yétas et Takouka , ils décidérent d’installer leur campement , pour passer la nuit dans le territoire de la tribu des Jaafra ben djaffar et des Ouhaiba .

Jilla demanda à son compagnon s’ils sont dans la bonne direction vers Mascara !
Ils venaient de parcourir des vallées et des monts forestiers sans l’ombre d’un ksar ou d’une cité, que des broussailles et des palmiers nains à profusion.

« Oui Noble prince !
Nous sommes à la borne milliaire du 19eme mille au lieu-dit Touaress Mta Guefifat el hadjel (2) du douar Oued Sefioun,
La Borne du 20 éme Mille est devant nous à l’Est à Lucu ( Tiliouine) .
Dans les ruines de Lucu on va trouver les traces d’une enceinte fortifiée ; des pans de murs en pierres de taille et des restes d’édifices .
Les anciens disent que La cohorte 1ere des Pannoniens y était stationnée au temps de septime Sévère ! » rassura Si Ahmed , en prenant son fusil pour aller tirer quelques perdrix dans la vallée ou coule poissonneux l’Oued Melghir .

Jilla dessella Ber’k et l’emmena à un talus de la rive Sud de l’Oued ou son compagnon a attachée sa mule, la rivière est limpide .
Il fit boire son alezan et s’accroupit pour faire ses ablutions , les lueurs , rouge et or du soleil , qui s’assombrissaient , annonçaient la prière du couchant ou Maghreb .

Notes :
(1) Pierre cylindrique en grès portant inscription romaine
(2) Plaine des perdrix

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Sous la tente aux pans retroussés, Jilla et Si Ahmed dormaient à poings fermés, exténués par leur voyage par monts et par vaux depuis Tlemcen, bercés
par la sérénade nocturne des grenouilles de l’oued Melghir ponctuée par le cri-cri des grillons des broussailles qui bruissaient sous la brise d’été.
Dehors !
C’est la pleine lune , éclairant , de son astre circulaire en argent brillant, toute la vallée.
Quand soudain !
Un hennissement effarent se fit entendre , Si Ahmed le premier , sursauta et empoigna son fusil chargé , Jilla d’un bond se redressa , pistolet au poing et se glissa hors de la tente , en décrochant son cimeterre .

Le hennissement puissant et discontinu de Berk’ et l’ébrouement étouffé de la mule glaçaient Jilla .
« Un fauve attaque nos bêtes !
la mule mordue au cou se débat avec lui » renseigna le vieux guide retenant du bras son compagnon, tout en conseillant :
« Reste derrière moi !
Ils sont peut être plusieurs ! »

On voyait comme en plein jour .
Si Ahmed visa et tira , une énorme masse agrippée au cou de la mule qui s’est redressée en ruant , s ‘écroula comme un sac de sable .

Ils accoururent, trop tard !
La mule , le cou giclant de sang d’une plaie béante , tomba étouffée , raide morte .
Toujours sur ses gardes , le vieux guide , rechargea son fusil en s’approchant avec prudence , visa la tète de la bête qui agonisait et l’acheva .

Jilla ramenant son cheval qui s’est calmé, demanda :

« C’est quoi cette bête immonde ? »
« C’est un vieux lion affamé ! Un solitaire !
Regarde ses cotes saillantes !
il ne lui reste que sa belle crinière touffue et sa longue queue !» répondit Si Ahmed en frappant du pied le cadavre inerte et se tournant vers sa mule gisante, les pattes raides, il avoua à Jilla :
« Sais tu Noble prince ?
Qu’en s’allongeant sur le sol ! la pauvre beghla,(1) nous a sauvée la vie !
Le fauve a choisi la proie la plus vulnérable ! »
Jilla se saisit de la queue de la bête et voulut la basculer dans l’oued .
« Non ! noble prince , cette dépouille est un trophée et vaut 20 dourous !
Nous achèterons avec une autre mule ! » s’opposa en expliquant le vieux guide attristé par la perte de sa monture.

Revenus à la tente , ébranlés par l’incident ! Si Ahmed révéla à Jilla encore sous le choc :
« Tout le Tell et son Atlas étaient infestés de lions et panthéres , ce sont les turcs qui les ont décimés en offrant de l’argent et des médailles à ceux qui les tuaient .
Il y a même un bédouin arabe qui est devenu caid pour avoir eu à son palmarès plus de 100 trophées vendus aux turcs. »
Notes :
(1) Mule
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En longeant la rive gauche de l’oued Melghrir , Jilla marchait en tète devant le vieux Soudani. L’alezan blanc progressait lentement, portant sur son dos , en plus de la charge de la mule , le corps du lion tué la veille , enveloppé d’une couverture ,.

Les deux voyageurs et leur cheval, s’approchaient de Tiliouine , du nom romain « Lucu » . C’est un douar bâti en dur, à coté de l’emplacement des vestiges de l’enceinte fortifiée romaine , décrite auparavant par le vieux guide Soudani .
A voir les pierres des murs , en roc ciselées et bien taillées, des taudis couverts de branchages et de chaume, on comprend aisément leur provenance.

La rue principale en terre battue, bien entretenue est formée par un étroit et long espace séparant l’alignement des chaumières et les ruines de l’antique forteresse.

A la vue soudaine , des étrangers au bout de la rue , des femmes , couvertes d’un fichu sur la tète , qui balayaient avec des feuilles de palmier nain , rentrèrent précipitamment chez elles , quelques arabes enveloppés dans leur burnous apparurent aussitôt , suivis de leur gosses aux tignasses blondes ébouriffées, vêtus d’une seule pièce de drap blanc froissé et pieds nus .

Jilla et son compagnon, tenant la bride de Berk lourdement chargé, avançaient prudemment.
La rue qui était déserte, s’emplissait de bédouins et d’enfants.
Arrivés au milieu de la rue , jilla et Si Ahmed étaient complètement cernés , curieux mais inoffensifs , les habitants affluaient de partout.

Contraints de s’arrêter, les deux voyageurs armés s’immobilisèrent, la foule les entoura en gardant ses distances.
Un vieil homme s’en dégagea , leva haut la main comme salut et apostropha Jilla :
« Seigneur !
Nous sommes de pauvres khammès (1)
Il n’y a aucun impôt à prélever chez nous !
Il n’y a ni Mtamar (2) de grains de blé, ni moulins d’olives, ni troupeaux !
Juste quelques chèvres pour le lait de nos enfants et un hrim (3) pour cultiver nos légumes »
Jilla compris leur rassemblement houleux et craintif, les habitants les ont pris pour des percepteurs du bey d’Oran.
« Salam alikoum !
Non ! Bonnes gens !
Nous sommes de passage et notre destination est la zaouïa de Si Mohiédine ! »
Rassura Jilla.
Avant d’ajouter :
« Nous avons besoin d’une mule contre notre trophée que voici ! » dit-il en retirant la couverture cachant le cadavre du fauve.
Notes :
(1) ouvrier paye au 1/5 de son salaire
(2) silos souterrains
(3) Terre collective

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La foule poussa un cri et recula dispersant le cercle.
Les enfants s’enfuirent dans les bras de leurs mères qui regardaient de loin, depuis le seuil de leurs demeures, certains pleuraient, d’autres criaient :
« Maa ! Sba’a3 ! Sba’a3 kébir ! (1)»
« Non ! Non ! c’est juste sa dépouille inerte, il est froid et mort !
Ces chasseurs l’ont déjà vidé de ses entrailles !»
Tranquillisait une vieille femme avertie en désignant Jilla et son compagnon.

Un groupe d’habitants s’approcha un peu plus et le premier qui a adressé la parole en se plaignant, s’excusa de sa méprise :

« Hamdou allah (5) Seigneur !
Vous n’êtes pas de ces voleurs de turcs avides et impitoyables pilleurs. »
Dit le vieux métayer soulagé ,
Il avança une main vers la dépouille du lion, caressa la tête encore ensanglantée, tout en émettant des propos élogieux.

« Ya Allah ! Un redoutable solitaire !
Un beau fauve ! Sa crinière est formidable ! »
Puis subitement intéressé, il ajouta :

« Je vous cèderais volontiers mes deux petits ânes de corvée contre cette dépouille ! »
Jilla regarda Si Ahmed qui hocha la tête consentant.
« Ramenez vos ânes pour voir ! » dit le vieux guide Soudani .

« Par la grâce d’Allah ! je vous les ramène ! »
Et du menton, il ordonna à un jeune homme, qui collé à ses cotés avait entendu le marchandage, d’aller les chercher, puis regardant Jilla et Si Ahmed, il les invita à prendre du thé chez lui :

« Marh’ba !
Ma maison est là ! » dit il en désignant un taudis tout proche d’eux.

Notes :
(1) Maman ! Un lion, un grand lion !

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Sans trop s’attarder, Jilla et son compagnon traversèrent , en une seule journée , les terres fertiles de la plaine de Téliouine ,M’cid , Hounett et Ain fekan .

C’est dans ce dernier douar que se trouve le tombeau du Chérif (1) arabe , Sidi brahim Tayeb el Mehadji : ancêtre des dix nobles familles de Mehadja :, du M’cid , de Mascara , d’El Gaada , d’Oran et de Mostaghanem .

« Qui sont ces Mehadja ? » demanda Jilla en arrivant à Ain Fekane .

« L’empire Idrisside qui dominait le Maghreb depuis plusieurs décennies s’est émietté peu à peu pour donner naissance à des confréries religieuses plus locales ,se revendiquant de l’empire dont les Méhadja de l’ouest algérien qui se proclament d’appartenir à une fraction des Idrissides.

Ces derniers continuèrent, délestés du pouvoir Idrisside , leurs missions religieuses : celle d’enseigner les préceptes du coran et sa tradition ou Souna du prophète (Saws) pour le perpétrer au milieu des musulmans de l’Oranie sous d’autres dominations et en firent leur principal crédo .
Ce sont des puritains arabes !
Ils ont toujours montré une ferme hostilité aux occupants espagnols puis turcs qu’ils considèrent comme mauvais musulmans ! » expliqua le vieux guide Soudani .

« Ou est leur zaouia ? »interrogea Jilla .

« Ils n’ont pas de mausolées, conservateurs, ils prônent la noblesse par le sang , le coran et la science avec l’ijtihad !
Ils combattent le charlatanisme et refusent le pouvoir temporel, religieux ou politique !
Ils prêchent le juste milieu en enseignant une doctrine simple et puritaine , toute leur activité gravite autour d’un seul centre d’intérêt :
la foi , la science et le djihad» réponds Si Ahmed.

« leur première école coranique fut dans le douar M’cid (2) d’où son nom.
Les anciens disent qu’elle avait 40 talebs (3) d’où la légende des 40 chéchias (4) .
L’un d’eux , le premier imam d’Oran occupé fut un Méhadji : Sidi Mohamed Es-Senni Al Méhadji ,
La tradition orale rapporte au sujet de l’origine du nom Méhadja ou Méhaja
ou ‘’Men hna ja ‘’traduisez littéralement :
il est venu de là bas ! C’est-à-dire de la Mecque ! »
Ajouta plus explicite le vieux guide.

Notes :
(1)Puritain
(2) Ecole en berbère
(3) étudiants
(4) Couvre chef blanc

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Si Ahmed monté sur l’un des deux ânes qu’ils ont échangés contre la dépouille du lion qu’il a abattu sur la berge de l’oued Melghrir et l’autre portant la charge , des outres de ravitaillement , que transportait la mule tuée par le même lion , avançait derrière le cheval de jilla qui rythmait son trot à leur cadence .

Un vaste étang s’offrait à leurs yeux, entouré d’une végétation exubérante faite de longs roseaux verts et de trembles, qui leur donna envie de camper a ses bords.
Ce qu’ils firent sans hésiter.
L’eau douce, l’ombre fraiche et la broussaille verte du site étaient merveilleusement tentants.

« Noble prince ! C’est la Berka (1) d’Ain fekane !
Les eaux abondantes, fraiches et limpides viennent d’un gouffre de 70 mètres de profondeur !
Elles chutent plus bas en une cascade de 16 mètres environ pour former la magnifique rivière d’Ain Fekane dans un vallon, près du douar qui porte son nom et abrite la koubba de Sidi Brahim el mehadji . »
Renseigna Si Ahmed, tout en attachant les deux ânes aux troncs de grands peupliers, Jilla fit de même avec Berk son bel alezan blanc.

« Noble prince !
Nous camperons ici près de cette paisible Merdja , loin du douar ! Et demain nous suivrons la route vers le poste militaire Cohors Breucorum , les anciens disent qu’il était occupé par un détachement romain de la cohorte II prés du ksar Takhemaret et à mi-chemin , nous bifurquerons au Nord via Tizi vers Mascara ! »

« Les Rom (2) et les Koubba(3) sont toujours là où l’eau est abondante, limpide et fraiche ! »signala Jilla.

« Oui seigneur !
Même les eaux thermales les ont attirés dans la région !

Plus au nord d’Ain fekan ?
La vallée fut traversée par énormément d’envahisseurs qui, frappés par sa beauté s’y installèrent et y vécurent.

A Bou hanifia il y a des sources chaudes qui sortent des rochers a une température de 50 degrés et 35 degrés dans les bassins.
Ils furent aussi attires par l’Oued el Hammam ou la rivière aux eaux chaudes : autour d’elle il y a de nombreux douars qui formèrent la Guetna de Si Mohieddine . »

Notes :
(1) étang
(2) romains
(3) Mausolée en pierres

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Les romains ont installé dans la plaine d’El Ghriss de nombreux postes militaires, construisant ainsi une voie de communication stratégique.
À leur départ, la plaine est parcourue uniquement par des Berbères nomades, les Zénètes Béni Rached .
Sur les hauteurs des monts des béni chougrane , ils occupent le col ouThizi qui culmine à 453 mètres d’altitude .
Thizi en langue berbère signifie « le col »
Thizi se situe à environ 80 km au Sud-est d’Oran et à 11 km au Sud-ouest de Mascara, Le ksar est en ruines.
Les ruelles en piteux état et les maisons sont de misérables masures.
Ces dernières sont construites en terrasses, à la mode berbère, certaines sont couvertes en tuiles romaines.

« Les anciens disent que Tizi fut toujours la concurrente de Mascara !
Un , comme antique ksar berbère .
et deux comme col de passage stratégique vers Tlemcen pour les romains et ensuite pour les conquérants arabes !
Dans la fertile plaine d’El Ghriss , le climat est sec , car la chaîne montagneuse des Béni Chougrane empêche les vents humides de lui parvenir.
Ainsi elle est couverte d’alfa jusqu’à Mascara et sert de pâturages à la tribu des Hachem, des Arabes nomades.
Les turcs ont choisi Mascara comme siège de leur Beylik de l’Ouest et utilisent la tribu des Hachem comme auxiliaires pour la perception des impôts! » souligna le vieux guide soudani .

« Des Hachem comme percepteurs ? » s’écria Jilla .

« Oui ! noble prince ! pour protéger leurs droits de pâturages , leur metamores (0) et ne pas payer d’impôts au bey .

« Si Ahmed !
Ni les béni rached de Tizi, ni les hachem de mascara ne nous intéressent !
Notre mission est voir Si Mohiédine le chérif de la famille des Idrissides et connaitre son avis sur ce qui se passe à Tlemcen ? » rappela froidement Jilla .

« Soit ! il faut aller à la Guetna (1) qui se trouve à l’Est de Mascara !
C’est là qu’il reçoit tous les chefs des tribus et les mokaddem des zaouias ! » avertit le vieux guide.
Chose dite , chose faite !
Ils franchissent sans incidents le col et se dirigèrent vers la Guetna à travers une mer d’alfa coupé par l’Oued El Hammam (2)au Nord des monts de Bou hanifia .
Notes :
(0) silos sous terre
(1) Campement de tentes.
(2) Rivière chaude

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Suivant la berge droite de l’Oued Hammam , Jilla et le vieux guide arrive dans un pays accidenté ou jamais les turcs ne ce sont aventurés ou ils trouvent dans les alentours de la guetna (1), d’excellents fourrages pour leurs bêtes .

La guetna est située sur les flancs d’un mamelon élevé sur les bords de l’oued hammam qui se jette dans la rivière Habra .
C’est un ensemble de tentes et de gourbis et quelques habitations en dur parmi elles , une mosquée et une maison fondée par Si Mohiédine qui abrite des séminaires , où les mokadem , réunissaient des jeunes gens pour les instruire dans les lettres , la théologie et la jurisprudence .

Cette maison et la mosquée furent construites grâce aux dons des chefs de tribus hachem et béni Ameurs et des offrandes faites à la zaouia des kadiria ou derkaoua (2) .

Le saint des saints, Moulay Abdelkader Jillani , est très vénéré dans toute la plaine de ghriss , ou se trouve le ksar de Sidi Kada belmokhtar fief de l’ancêtre de Si Mohiédine parmi la tribu des hachem .
Si Mohiédine est le chef des derkaoua et Mustapha son fils ainé est le khalifa de la zaouia derkaouia de la région et son siège se trouve dans la guetna .

« Qui sont ces derkaoua ? » demanda Jilla en se dirigeant avec son compagnon vers la maison du khalifa Si Mustapha .

« C’est un ordre mystique créé par Moulay Larbi Derkaoui à la fin du XVIII e siècle au moghrib aksa (3) et très répandu dans les régions déshéritée de Tlemcen , d’Oran et de Mascara .
Son siège principal est dans Ouancherîch (4) massif montagneux de l’Atlas tellien , , sous l’autorité de Sidi Moussa .
L’ordre des derkaoua intransigeant et fanatique prône la négation de toute autorité !
Il exige des ikhouan (4) de ne reconnaitre qu’Allah comme souverain , de détester tout homme exerçant un pouvoir politique sur ses coreligionnaires et mépriser tout ce qui étranger à l’islam ! » expliqua Si Ahmed ,

Notes :
(1) La guetna est un ensemble de cabanes et de tentes
(2) Adeptes de Moulay Abdelkader Jillani
(3) Actuel maroc
(4) Ouarsenis
(5) Derkaoua

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« Si Ahmed !
Pourquoi les derkaoua ne s’opposent que maintenant aux turcs ? »

« Moulay Amir !
Les derkaoua, refusant de payer l’impôt, se sont toujours révoltés contre les turcs !
La révolte des Derkaoua, la plus longue et la plus violente, a débuté sous le premier beylicat de Mustapha El-‘Adjmi (1800-1805) et s’est poursuivie jusque sous le gouvernement du bey Kara-Baghli (1813-1826).
En 1802 , le chef Derkaoui Abdelkader Benchérif jura leur expulsion et leur anéantissement.
Avec un nombre considérable de ikhouan , Il fit la guerre au Bey Mustafa el Manzali
et s’empara de Meliana , Ténes, Mascara et Tlemcen , toute la contrée entre Oujda et Méliana échappa à la domination turque
La régence d’Alger déposa le bey manzali et le remplaca par un autre Bey Mohamed el M’kallech qui les réprima férocement pendant 10 Jours entre Oued Roumane et Oued khamis ,
Il décapita mille têtes et les envoya au Dey d’ Alger.
8 ans plus tard en 1810, ils se révoltent encore, refusant de payer l’impôt.
Le Bey d’Oran, Ali Kara Barghli , qui était le caïd de Tlemcen, leur infligea de terribles pertes, qu’ils renoncèrent qu’à moitié à la résistance .
Ils payèrent l’impôt forcé même au Bey Hassen jusqu’à ces derniers évènements. » Informa le vieux guide Soudani.

« Et qu’en est-il des béni Hachem ? »Demanda le jeune prince filali .

« Les Hachem sont des tribus indépendantes pratiquant la razzia, ont servi comme irréguliers, tous les sultans de Tlemcen en levant l’impôt parmi les tribus réfractaires, en brandissant leur yatagan (1), toujours prêt à faire tomber des têtes.

Divisés, ils se déchirèrent, les uns descendirent dans la plaine de Tlemcen entre le royaume du Moghrib et la mer, d’autres vers Mostaganem, l’Ouarsenis, Mascara , d’autres s’établirent dans la vallée du Chleff.
Ils ne s’arrêtèrent dans leur exode vers l’Orient que plus loin à Bordj Bou Arreridj.

Les Hachem ont plus de 59 douars et plus 1000 tentes dans la plaine de ghriss et de Mascara .
Mais comme toutes les tribus arabes, des fois unies, d’autres fois désunies, en guerre ou en paix !
Sont divises en deux les hachem cheraga (2) et les hachem ghoraba (3) , tous , ils soutiennent le Mokadem des Derkaoua Sidi Mohiédine . » Répondit le vieux guide Soudani

Notes :
(1) Sabre arabe
(2) les hachem de l’Est
(3) Les hachem de l’Ouest
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A entrée de la mosquée, de vieux arabes emmitouflés dans leur burnous blancs , dos au mur , palabraient gravement entre eux , même la venue de l’élégant cavalier et de sa suite : deux bourricots, l’un monté par un vieux noir , armé d’un fusil et l’autre chargé d’outres de ravitaillement , ne semblait point attirer leur attention , habitués aux fréquentes visites de Taleb (1) et pèlerins venus des quatre coins de l’Oranie et d’ailleurs .

Ces derniers temps, les nouvelles de Mascara , de Tlemcen , de Mazouna , de Mostaganem , de Médéa et d’Oujda étaient mauvaises et les bédouins affluaient de tout le beylek d’Oran.
La fitna s’est répandue dans tout le pays.

On racontait :
qu’Alger est tombée aux mains des français ;
qu’Abdelkader Benchérif le Derkaoui s’est emparé de Mascara , les kouloughli ayant capitulé ont rendu la ville aux Hachem pour la piller ;
qu’Oran est assiégé par les tribus arabes enfin libres ;
et que Tlemcen est livrée à elle même , les kouloughli se sont réfugiés au Mechouar ;
et les hdar ont pris la ville et nommé un des leurs comme Caïd.

La guetna devint le centre de multiples tractations diplomatiques.
Le Bey d’Oran Hassan craignant d’être attaqué , demande la protection de Si Mohiédine , les arabes , les hdar et les kouloughli de Tlemcen , réunis , réclament son arbitrage .
Les vieillards, occupés dans leur chaudes discutions , cherchant le moyen pour faire cesser ce désordre , ne virent pas Jilla , qui descendu de son cheval , s’est approché d’eux .
A son salut prononcé à haute voix :
« Salem alikoum ! »
Ils levèrent leurs regards vers lui , le scrutèrent et répondirent en chœur :
« Salam wa rahma ! »
L’un d’eux se redressa doucement , s’appuyant sur sa canne et rejetant en arrière le capuchon de son burnous blanc , s’adressa à Jilla d’une voix bienveillante :

« Merhaba sayedi (2) !
Voici notre honorable khalifa des derkaoua (2) Sidi Mustapha Ben Mohiédine ! » dit il en désignant un arabe assis au milieu d’eux , les pieds contre sa poitrine , entièrement couvert d’un ample burnous blanc en laine fine , dont seul son visage racé aux grands yeux noirs cernés de sourcils noirs et sa barbe noire fournie apparaissaient .
Un profond respect s’en dégageait de cette silhouette arabe , égrenant religieusement avec les doigts fins d’une main blanche et délicate , un chapelet de grains d’ivoire .

Notes :
(1) Etudiants coraniques
(2) Bienvenue Seigneur !
(3) Successeur

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La Guetna se trouve dans la vallée de l’oued Hammam, bled des Hachem Ghoraba (1) et la maison de Sidi Mustapha ben Mohiedine , khalifa des Derkaoua de ghriss et Mascara est dans cette Guetna .
Jilla et son compagnon sont aimablement accueillis chez lui, comme de coutume hospitalière chez les arabes.
Apres la salât (2) du soir et un couscous frugal de semoule d’orge, arrosé de lait chaud de chèvres.
Une vive discussion s’ensuivit entre l’hôte et ses invités.
La curiosité sincère de Jilla en furent la cause de ces échanges :
« Sidi Mustapha , Honorable Khalifa !
Pourquoi les Derkaoua s’opposent ils toujours au pouvoir central des musulmans ? »
« Noble prince !
Tout Derkaoui qui arrête de s’opposer au pouvoir politique d’un homme sur ses semblables ou se rallie à lui ?
Doit être destitué et risque la mort. » Déclara Sidi Mustapha ben Mohiédine à Jilla et son compagnon.
« Honorable khalifa !
Vous n’aviez pas inquiété durant tout son règne, le Sultan Alaouite, Moulay Slimane, Allah yerhamou ! » Rappela Jilla.
Piqué de vif, le Khalifa s’exclama en fronçant les sourcils :
« Noble Prince ?
Moulay Slimane était Derkaoui avant d’accéder au trône et puis c’est un noble descendant du prophète par le sang d’Ali et de Fatima, Radia allah Anhoum (2) !
Peut-on douter de ses intentions de servir Allah et l’islam ?
Ce n’est pas le cas de son successeur actuel, Moulay Abderrahmane, ce n’est pas un Derkaoui !
On le respecte seulement comme chérif Idrisside !»
Mais on évite les louanges publiques, celles-ci ne sont dues qu’à Allah.
Fixant un moment Jilla en lui remettant le parchemin qu’il tenait entre ses mains, le khalifa des derkaoua ajouta :
« C’est votre cas, Noble prince de Tafilalet ! »

Un strident « Allah akbar ! » fusa de l’assistance des vieux ikhouans (3) entourant Jilla et le vieux guide soudani .
SIDI Mustapha ben Mohiédine se leva et avant de prendre congé harangua les présents:
« Noble prince Filali ,
Vénérable assemblée ,
pieux derkaoua !
« J’approuve volontiers, le devoir de nous unir avec tous les musulmans contre les envahisseurs de cette terre d’islam. »

Notes :
(1) Hachem de l’ouest
(2) Que dieu les agrée
(3) Frères de l ‘ordre

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Depuis la prise d’Alger, les tribus arabes , les Hachem –Gharaba et Cheraga , les béni Ameurs ; les Douair , les Zmala , les Abid et les Bordjia semblaient avoir recouvert leur liberté, mais ils étaient divisés et sans un seul chef ou une raïa (1).
La zaouia de Mohiédine, toute puissante qu’elle était, voyait avec inquiétude la conquête française.
Elle n’était pas influente parmi les tribus, quelques-unes ne lui obéissaient pas.
Certaines, comme les Douair et les Zmala dirigées par L’agha Mustapha ben Ismaël et son neveu El Mazani restaient dans l’expectative, car la majorité des maisons et des entrepôts de Mascara leur appartiennent.
Au milieu des hachem Cheraga (2) , dirigés par un autre marabout du nom de Sidi El Arrach de la zaouia de Sidi kada belmokhtar , la situation s’est aggravée , ils ont assiégé Mascara pendant plusieurs jours , attiré les kouloughlis dans la plaine de Ghriss et les ont massacrés par centaines sur les bords d’oued Ersebia .

« Si Mustapha ben Mohiédine s’oppose qu’on désigne son père Si Mohiédine, Mokadem des derkaoua , comme chef politique de l’insurrection contre l’envahisseur ! » a révélé à Jilla et son compagnon, sous le sceau de la confidence autour d’un thé, le derkaoui qui les héberge sous sa tente.

« Pourquoi ?
Où est le mal !
Le Djihad est un devoir et non un honneur !» Interrogea surpris Jilla.

« C’est contraire à l’ordre strict et spirituel des Derkaoua !
Les Derkaoua ont juré sur le coran de fuir toute responsabilité et toute violence.
Ils prêchent la Rahma ou miséricorde entre les musulmans.
Ils appliquent le coran qui interdit de forcer les gens à croire par la peur ou la contrainte.
L’être humain est libre de croire ou de nier.
Allah est omniscient et lit dans les cœurs des gens ! »
s’empressa de répondre Si Ahmed le vieux guide soudani pour ne pas gêner le généreux hôte qui leur a offert le gite et le taam (3) .
« En effet, nous fuyons le pouvoir temporel des hommes et leurs politiques de puissance et de commerce pour des gains terrestres !
Notre devoir est de n’obéir qu’à Dieu et son prophète, Alih salat wa salam (4) !
Surtout aider son prochain, parmi les pauvres et les nécessiteux de la Ouma (5). » souligna leur hôte derkaoui qui les quitta en les saluant :
« Salam alikoum !
Je vous laisse vous reposer !
Demain ce sera un grand jour pour nous , Inchaa allah !
Toutes les tribus arabes et berbères de l’ouest ont planté leurs tentes dans notre Guetna ! »
Notes :
(1) étendard
(2) Hachem de l’est
(3) couscous
(4)Que la prière de dieu et la paix soit sur lui
(5) Nation
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A la sortie de la Guetna , au bord de la route menant à Mascara via le douar oued el hammam au Nord , jilla et son compagnon , virent un groupe de vieux. Bédouins enturbannés, rassemblés en un cercle, autour d’un jeune cavalier arabe, qui tout en gesticulant , racontait excité à haute voix :

« Je viens d’Oran !
la colère de ses habitants est à son comble , irrités par la trahison du Bey Hassan qui abandonna Mers el kébir que les français venaient d’occuper par la mer.
Ils menaçaient le Bey et son makhzen , composé des tribus Douaiir et zmala , des pires représailles.

Des appels au pillage et à l’incendie grondaient de partout dans la ville .
Des cris de mort au Bey Hassan retentissaient avec une extrême violence, ce dernier terrorisé, envoya l’agha des Douaiir, mustapha ben smail, supplier les français de prendre Oran , avant le carnage et la désolation. »

« Les traitres !
Le Torki kafer (1) ! » S’indignèrent les vieux hchem de la Guetna.

« On va désigner demain à Ghriss, Sidi Mohiédine , Amir mouminine (2) !
Et il jettera à la mer tous les envahisseurs ! » s’écria avec fierté un vieux derkaoui , l’outre d’eau en bandoulière et servant un pot d’eau fraiche au jeune arabe .

Jilla regarda le vieux guide soudani et lui confia en souriant :
« Tout le monde est au courant de la réunion des chefs de tribus ! »

« Oui ! Noble prince !
et c’est le but de notre visite à Mascara ensuite à Ersebia dans la plaine de ghriss !
C’est le lieu ou vont se réunir , in chaa allah ! tous les chorfa et les marabouts de l’Ouest , pour élire un zaim pour le djihad (3)!» répondit Si Ahmed en talonnant sa bourrique pour continuer leur chemin .

« En effet ! Pour faire cesser ce désordre ?
Les chefs de tribus et les marabouts des zaouia doivent se mettre d’accord en urgence pour élire un zaim qui pût commander à tous . » approuva jilla .

Note :
(1) Turc impie
(2) Prince des croyants
(3) Guerre sainte

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Le sultan alaouite Abderrahmane, hésitant, mais intrigant, donna l’ordre à son cousin Moulay ali ben Slimane âgé de 15 ans d’aller occuper Tlemcen avec 500 cavaliers parmi les Oudaya et les Abid el Boukhari , deux redoutables milices du makhzen , l’une arabe et l’autre composée d’esclaves noirs .
Moulay ali et abou ola Idriss, gouverneur d’Oujda entrèrent à Tlemcen, rejoints par toutes les tribus d’Oujda et assiégèrent le Méchouar .
Il le chargea dans la foulée d’installer à Mascara un Khalifa.
Ben nouna le nouveau caïd de Tlemcen et ses agents étaient très actifs dans la région oranaise.
Jilla et son compagnon évitèrent Mascara et rejoignirent la plaine de Ghris ou les chefs des Hachem Gharabas et Cheraga , des Beni – Amers , des Borgia se sont donnés rendez – vous.
« Un grand conseil fut tenu au lieu nommé Ersebia dans la plaine de ghriss pour nommer un chef et faire cesser ce désordre sous la direction de Si Mohiédine, marabout très influent sous la domination turque.
Si Mohiédine tout puissant qu’il était, n’était pas souverain.
Les chefs se réunirent près d’un puits d’Ersebia .
Ils s’assirent en rond à l’ombre d’un palmier séculaire, sur des nattes étendues sur le sol.
La délibération s’ouvrit, il fut question de nommer Si Mohiédine ; mais celui-ci leur dit :
« Que le marabout Sidi-el-Arrach de Sidi kada bel Mokhtar était plus digne que lui et d’un si grand honneur ! »
Le conseil se retira pour se réunir le lendemain.
Ce jour-là, on vit arriver Sidi- el-Arrach :
« Frères, dit-il, en élevant les mains vers le Ciel, cette nuit, le kotb aktab (1)Moulay Abd-el-Kader Jilani m’est apparu au milieu de sa gloire, et m’a dit :
« Sidi-el-Arrach, retiens bien ces paroles d’où dépend le salut de notre race.
Je ne connais qu’un seul homme qui, par ses vertus, son courage et son intelligence-, soit digne de commander aux Arabes : c’est Abd-el-Kader, troisième fils de Si Mohiédine.
Je t’ordonne donc de répéter demain au conseil ce que tu viens d’entendre.
Allah et son prophète s’intéressent à la cause de ses enfants et veulent qu’elle triomphe. »
Mohiédine intervint alors et ajouta :
« J’ai entendu les mêmes paroles que Sidi-el-Arrach, et j’ai reçu les mêmes ordres, mais je mourrai dans l’année qui suivra l’avènement de mon fils.
Telle est la prophétie de mon aïeul. »
Le titre de sultan fut alors accordé à Abd-el-Kader, les chefs s’inclinèrent et lui présentèrent le burnous violet.

Notes :
(1) pôle des pôles

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La plaine de Ghriss était hérissée d’innombrables tentes, impossible de les compter, il y avait des plus grandes, de chefs de tribus et de marabouts vénérés, au plus modestes, de cavaliers armés et de serviteurs, parmi elles, celle de Jilla et son compagnon.
Les riches khaima (1) se distinguent respectivement par l’étendard leur tribu et les beaux tapis étalés devant leur entrées.
Les autres, grossières, se signalent par un, deux ou plusieurs chevaux harnachés et attachés à leur proximité.
Devant celle de Jilla, Berk’ le bel alezan blanc et les deux chétifs ânes noirs sont une curiosité dans le campement.
A l’intérieur, Jilla et le vieux guide Soudani, étendus sur une natte, se reposaient.
Dehors, des acclamations se firent attendre :
« Mort aux envahisseurs ! »
« Abat les traitres ! »
« Longue vie a l’émir Abdelkader ! »
Et des allah wa akbar (2) ou cris de guerre !
La déclaration d’investiture du nouveau prince des arabes de l’ouest résonne encore dans la tête de Jilla .
« Les habitants des régions de Mascara, des deux Ghéris, celui de l’est et celui de l’ouest, leurs voisins et alliés, les Beni chougrane, les Beni Abbas, les Yacoubia, les Beni Amer et les Beni Mahajer et d’autres encore non dénommés se sont unanimement convenus de me confier l’autorité suprême de notre pays; en s’engageant à me suivre dans la victoire comme dans la défaite, dans l’adversité comme dans la prospérité et à consacrer leur personne, leurs fils et leurs biens à une cause qui est grande et juste.
En conséquence, et bien que je m’en sois énergiquement défendu, j’ai accepté d’assumer cette lourde tâche, dans l’espoir de pouvoir être le moyen d’unir la
communauté des musulmans, d’éteindre leurs querelles intestines et d’apporter une
sécurité générale à tous les habitants de ce pays, de mettre fin à tous les actes illégaux
perpétrés par les fauteurs de désordre contre les honnêtes gens, de refouler et de
battre l’ennemi qui envahit notre territoire dans le dessein de nous imposer son joug »
« Si Abdelkader ben Mohiédine, malgré son âge, semble très sage ! »
avoua Jilla à son compagnon qui fut réveillé par le vacarme.
« Normal ! Noble prince, il a reçu une bonne éducation physique et morale ! » Approuva Si Ahmed.
« Chez les Derkaoua ? » demanda curieux Jilla.
Si Ahmed, un instant silencieux, répondit avec forts arguments :
« Un, issu d’une famille de chorfa (descendants du Prophète) de la tribu des Hachem !
N’oublie pas que son honorable mère est très cultivée et que son père est un grand chef religieux !
Deux, il a passe toute son enfance à Oran et Arzew parmi de riches familles dont un cadi ou il a appris la langue, la littérature arabe, les mathématiques, l’astronomie, l’histoire et la philosophie !
Et enfin il a fait le pèlerinage à la Mecca et au mausolée de Sidi Abdelkader Jilani à Bagdad en Mésopotamie ! »

Notes :
(1) tente bédouine
(2) Dieu est grand !
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Une main étrangère releva un pan de la tente de jilla et son compagnon, qui se mirent debout sur le qui vive !
Un homme fit irruption et leur cria enthousiaste :
« Aya forsanne (1) !
Qu’attendez-vous pour rejoindre la waada (2) de Si Mohiedine pour l’intronisation de son jeune fils Abdelkader comme amir Mominine (3) ! »

Ils sortirent de la tente et suivirent la foule qui se dirigeait vers la tente majestueuse des Hachem Gharaba.
Des bédouins joyeux, les chèches défaits se frayaient un chemin en courant.
Des cavaliers tiraient des coups de feu, les uns tiraient en l’air, d’autres sur le sol soulevant de la poussière blanche avec une odeur, mélange de poudre et de ghar’ar brûlé (4).
Un peu plus loin ! Un cercle de bédouins excités entourait un groupe de danseurs d’Alaoui (5), dans un autre cercle, on se battait à la canne, un genre d’exhibitions de jeux martiaux propre à Mascara.
L’attention de Jilla fut particulièrement concentré sur la beauté de l’harnachement de plusieurs groupes de cavaliers bien vêtus de burnous écarlates, représentant chacun une tribu, qui s’apprêtaient, dans un immense terrain nu et arrosé, à faire le Goum(6) devant la tente de Si Mohiédine.
Un sport arabe qui réunit l’équitation, la chasse et la guerre.
Les cavaliers lancent au galop, leurs monture, tout en déchargent leurs armes et en poussant des cris qui se confondent avec le bruit des sabots de leurs chevaux.
C’est un extraordinaire exercice guerrier où des hommes à cheval se livrent à d’incroyables acrobaties et déchargent leurs «moukahla» (7) lors d’un galop effréné dans une parfaite synchronisation.
Séduit par l’ambiance de la fantasia, Jilla s’attarda à rejoindre le vieux guide soudani qui revint en lui rappelant l’invitation de la moulima (8).

« Noble prince !
Rejoignons les invités ! le Taam (9) et le méchoui vont être servis !
J’ai un creux à l’estomac !»

Jilla lui sourit et l’accompagna à la tente du père du nouveau sultan arabe.

Notes :
(1) Oh cavaliers !
(2) Rassemblement convivial et festif
(3) Prince des croyants
(4) Bois de thuya
(5) Danse bédouine de Mascara
(6) Fantasia
(7) Vieux fusil à poudre
(8) Repas collectif
(9) Couscous traditionnel

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Si Mohiédine encadré de chaque coté par ses deux fils , Si mustapha mokadem des derkaoua et Abdelkader , le nouveau prince des croyants , tous étaient assis humblement au niveau de leurs convives sur un beau tapis.
Ces derniers leur faisaient face, dans des rangées alignées, comme dans une prière collective de Vendredi .
Jilla et son compagnon s’accroupirent sur leurs jambes à la façon des bédouins, formant une nième rangée d’arabes en chèches et abbaya (1) blanches.
Impossible pour un profane, comme jilla, de distinguer l’appartenance tribale des invités qui discutaient à demi mot entre eux ou s’échangeaient des nouvelles.

Quand soudain !
Une voix de stentor se fit entendre :

« Ya goum (2) !
Formez des cercles de cinq personnes , le Taam va être servi ! »

Aussitôt les rangées se murent en plusieurs ronds .
Des serviteurs noirs les munirent de maida (3)!
Quand tout le monde, eut pris place et que chacun se fut installé de son mieux devant la maida qui lui était assignée, ils virent un serviteur revêtu d’une serviette et portant sur la tête un large plateau rond en ferblanc se dirigeant vers la maida posée devant Si Mohiédine et ses fils et déposa la moitié d’un mouton cuit sur les braises .
Les autres tables ne tardèrent pas à être également pourvues chacune d’un grand quartier de mouton.
Sur les bords de la table et tout autour, l’on avait mis des galettes de froment , coupées en petits morceaux inégaux .
Le méchoui servi , Si Ahmed , muni d’un couteau se mit à faire de nombreuses entailles dans la chair du mouton ; puis, se rasseyant, il dit :
« Aya bismi Allah rahmani rahim! (4)». »
A Cette bénédiction , fut comme le signal du commencement du repas; chacun planta ses doigts dans la viande et en arracha un lambeau plus ou moins succulent .
La chair était tendre, savoureuse et bien cuite .
Le couscous, plat favori des arabes succéda au méchoui.
Il était servi dans une immense jatte en bois et couronné de quartiers de mouton et de grains secs de raisin.
Ils eurent comme dessert des assiettes de figues, de raisin, des pastèques et des melons coupés en petits morceaux carrés.
Le thé couronna le banquet.

Après la fatiha dite par Si Mohiédinne , l’émir se retira dans la tente en compagnie des chefs de tribus et Jilla , Si Ahmed et les autres invités se dispersèrent , regagnant leurs tentes respectives.
Notes :
(1) chemise longue
(2) Oh cavaliers !
(3) Table basse
(4) Au nom de Dieu clément et miséricordieux
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Rassasiés, le prince Filali et son compagnon s’allongèrent sur leur natte, le vieux guide n’arrêtait pas de louer le festin offert par le Marabout Si Mohiedine .
Jilla, jusque là silencieux, lui dit :
« Si Ahmed ! Pourquoi Cette nation libre, prospère et cultivée est toujours la victime des prédateurs locaux et étrangers ? »
Le vieux Soudani , devinant la pensée de Jilla , lui répondit sans réfléchir :
« Car anarchique et fataliste, oubliant Allah et courant toujours derrière la fortune, le pouvoir et le prestige d’ici bas ! »
Jilla releva aussitôt son torse et se mit sur le coté, la tête sous la main, regardant attentivement Si Ahmed étendu sur le dos, les yeux fermés.

« Comment se fait-il que ce vieux noir aux membres décharnés et aux cheveux blancs à réponse à toutes mes question ? » se demanda t’il intrigué.

« Si Ahmed !
Quand aviez vous cru en Allah et adhéré a l’islam ? »

Le vieux guide, ouvrit grand les yeux et se mit sur son séant, fixa Jilla et lui confia pour la première fois :

« Seigneur Jilla !
J’étais un enfant libre parmi les miens !
Un jour, une tribu arabe a fait une razzia contre notre paisible village de huttes au pays des Soud (1) ,elle a massacré tous les habitants, hommes et femmes et kidnappé tous les enfants.
Notre seul tort :nos bijoux et nos ustensiles étaient en or, recueilli des alluvions du fleuve Sénégal.
Élevé dans une famille de caravaniers fassis (2) comme khedim (3), j’ai appris le métier de pisteur.
Lors d’une attaque de brigands berbères contre notre caravane, j’ai défendu et sauvé d’une mort certaine le maitre à qui j’appartenais, j’étais jeune, agile et vigoureux.
Au retour a la maison, il m’a affranchi devant les siens et nommé guide attitré de ses caravanes.
De caravansérail en caravansérail, j’ai parcouru toutes les pistes du Sahara.
Libre et autonome dans cet immense désert pur et fascinant, comment ne pas y croire ?
J’ai appris le coran dans les illustres zaouïas, pendant les haltes et a jouer le goumbri (3) pour chanter les louanges de notre prophète alih sallat wa salam (4) ».

Notes :
(1) des noirs
(2) de fez
(3) Luth
(4) Que la prière et le salut soit sur lui.

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Le nouvel émir se mit à prêcher la guerre sainte, et il réunit autour de lui plus de 400 hommes braves et dévoués qui lui rendirent de grands services.
Après que l’affaire de la Macta eut consolidé sa puissance, il songea à se créer une force militaire permanente, déploya une grande habileté, et fit preuve d’une rare observation.
Voyant l’armée française composée en grande partie d’infanterie, il forma un corps de cavalerie qui pût attaquer, poursuivre ou éviter un combat inégal.
le 28 Sept 1832 , l’émir établi le siège à mascara et entra dans la « mère des soldats »(1) avec 1 dourou noué dans son chèche .
Pour entretenir sa cavalerie régulière, il imposa des taxes sur les marchandises, il leva des impôts ; puis fit bâtir des magasins de vivres, d’armes et de munitions.
Une contribution de 20 000 Dourou des juifs et des mozabites (2) de Mascara lui assura les 1eres ressources.
Lorsqu’il commença à faire la guerre dans la province d’Oran, le général Desmichels était gouverneur de la place d’Oran depuis le 23 avril 1833.
En Juillet de la même année, l’émir Abd el-Kader prend la route de Tlemcen suivant les traces de son père Si Mohiédine qui a arbitré sans résultats, une année auparavant, le conflit entre le caïd Ben nouna (juif fassi notable de Tlemcen et agent du makhzen alaouite) et les kouloughlis retranchés dans le Méchouar , ravitaillés par la tribu des Angad .

Jilla et son compagnon, ayant pris part à des escarmouches dans les environs d’Oran contre les troupes françaises avec l’émir, le suivirent à Tlemcen.

Comme son père Si Mohiédine, l’émir Abdelkader arriva à Tlemcen , voulant rétablir la paix.

Les hdars lui ont demandé, par une ambassade, de reconnaitre le sultan Abderrahmane à qui ils ont fait allégeance et d’être son vassal.

Mais les kouloughlis aidés par les Ahl Angad, refusèrent de lui livré le Méchouar de peur des représailles des hdars ou maures.
Dans une autre ambassade, Ils demandèrent la tête de Ben nouna , comme condition de leur soumission.
Ce dernier était le contrôleur des subsides, chevaux et armes envoyés par le sultan à Tlemcen et Mascara.

De la Guetna , Si Mohiédine leur promis l’Amen s’ils se soumettent au nouvel émir .

Notes :
(1) Mou Askar ou Mascara
(2) Arabes du M’zab

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