LE ROMAN DES NOBLES BEDOUINS PAGE 138
Le cadi connaissant parfaitement l’usage des convocations écrites et comment ne pas heurter la mauvaise volonté des puissants qui se croyaient au-dessus des lois, surtout celle d’une fondation pieuse comme la Zaouia Naciria de Tamegroute et face à ces résistances , décida d’une autre procédure. Car avec eux ! l’autorité de la convocation ne dépendait pas seulement du message écrit par le cadi, mais aussi de son porteur. . Après mures réflexions ! il trancha de recourir aux services du noble prince de Tafilalat pour faire adresser sa daa’wa (1) au puissant marabout de la Zaouia.
Suivant le récit de jilla à l’audience , ils se sont déjà rencontrés à l’entrée de Tamegroute , lors de sa victoire sur l’embuscade des mourides cagoulés. Cela va conférer une autorité accrue à sa convocation .
Le gholām , habitué des lieux , suivi du hagib , grimpa lestement l’escalier , traversa un vestibule , s’arrêta devant une porte grande ouverte encadrée de deux rideaux de velours rouge , retenus par des embrasses de la même étoffe et annonça à mi-voix : « Honorable Cadi ! votre hagib est là et attends vos ordres. » « Faites le entrer ! » répondit le cadi de derrière les rideaux. Le gholam souleva l’un d’eux et le hagib y pénétra dans la salle d’accueil. Le Cadi debout l’attendait , tenant un parchemin dans la main . Cette attitude le tranquillisa et il put discerner le but de sa convocation nocturne. Le cadi ayant remarqué le regard rassuré du hagib , lui tendit le parchemin et lui dit, d’une voix autoritaire : « Remettez cet ordre au noble prince Jilla ! -Je lui ordonne d’ aller à la Zaouia de Tamegroute demain pour livrer , entre les mains de son cheikh , notre rissalate houdour amamna(1) . Mettez à sa disposition les moyens nécessaires pour bien mener sa mission ! – vous en êtes responsable !» . « Sam’e wa taa’e (2) ! votre honneur ! » s’empressa d’obéir le hagib , soulagé et presque déçu . Car l’’usage des convocations pour faire venir des personnes importantes , le cadi a toujours recours au service du personnel judiciaire de plus en plus élevé dans la hiérarchie. Habituellement ! C’est le premier des hagibs qui est chargé d’une telle mission. Cette fois çi ! la procédure est toute autre ! « Le cadi a ses raisons ! » se dit le hagib en sortant du palais et se dirigeant vers Dar ma’bit (3) de la kasbah ou logeait jilla .
Notes :
(1) Notre lettre de comparaitre devant nous .
(2) A vos ordres
(3) Dortoir
LE ROMAN DES NOBLES BEDOUINS
PAGE 139
Le hagib qui devait remettre le kitāb (1) avec le kḫātam (2) du cadi au prince Jilla ,
réfléchissait à sa nouvelle mission . « Puisque le Cadi a décidé de changer la procédure habituelle en désignant un autre porteur que lui ! il doit s’assurer de l’exécution complète de cet ordre de haute importance . Pour cela : il doit désigner deux honorables mouhtaramine (4) devant accompagner le porteur qui doivent attester qu’il a bien transmis le message ! car sa responsabilité est lourdement engagée.»
Chemin faisant vers Dar Diafa (3) , il déroula le parchemin et lut :
« Au nom de Dieu, le Clément, le Miséricordieux. De Hassani ben Ngadi , Cadi de Zagora au noble prince Jilla de Tafilalat mandaté par nous. , Amène le Chérif cheikh Naceri de la Zaouia de Tamegroute ou son khalifa (5).
Agis sans tarder si Dieu le veut ! Que le salut soit sur toi ! ». La lettre est datée à Zagora et signée du sceau du cadi. Jilla discutait avec Si Ahmed le chantre soudani sur son retour au ksar des m’hadid et rejoindre son idylle : la belle zahra dont il languit de la voir . Etant mis au parfum par Jilla sur leur aventure, Le vieux noir écoutait en souriant. Profitant d’une pause des confidences de Jilla , il posa sa main sur l’ épaule du prince et lui dit : « Noble prince ! Allah est avec toi et te protège ! tu mérites tant de bonheur ! Rejoint ta dulcinée et mariez vous ! Son ksar est tout prés d’oum Assel , fief de ta tribu ! » Ému par la confiance du prince , il se tut un instant et lui confia amer « Quant à moi ! Ma vie s’est arrêtée avec l’assassinat de Si Mansour , notre feu Raiis kafila était mon maitre et mon fidèle ami ! » Jilla troublé lui répondit suppliant : « Viens avec moi au ksar M’hadid ! Zahra serait très contente d’entendre ton luth lui chanter les délices et merveilles de Tombouctou ! Puis arrêtons de parler sur l’avenir ! Advienne que pourra ! Allah seul a le secret » Si Ahmed , cachant son amertume , reprit son goumbri , posé sur ses rachitiques genoux noirs et allait vibrer sa corde quand soudain le hageb du Cadi fit irruption dans la dar diafa .
« Seigneur ! seigneur ! Le cadi a une mission pour vous ! » dit le hageb en lui remettant le parchemin ! » et il ajouta précis , pendant que jilla lisait : « vous partirez demain dés l’aube pour Tamegroute ! Deux Mouhtaramine () t’accompagneront et sous la protection d’une escorte du cadi !»
Si Ahmed et Jilla se regardèrent et éclatèrent de rire !
Notes :
(1) Billet
(2) Sceau
(3) Salle des invités
(4) Respectables
(5) Adjoint
(6) Notables